UN CORPS DISPARU (LUI) RÉAPPARAÎT (NOUS)
Ce jour-là (en avril 30 de notre calendrier ?), au Golgotha, dans une ancienne carrière en-dehors de Jérusalem, les soldats romains ont crucifié trois hommes considérés comme dangereux. Sur autorisation du préfet Ponce Pilate, le corps de l'un d'eux fut remis à l'un de ses amis qui, après l'avoir enveloppé dans un linceul, le déposa dans une tombe proche, taillée dans le roc et devant laquelle une lourde pierre fut roulée. Ensuite, en toute hâte, les rares témoins du supplice, dont quelques femmes, se hâtèrent de rentrer en ville car, dès l'apparition des premières étoiles, commençait la grande fête de la Pâque qui tombait justement un shabbat. L'ordre régnait à Jérusalem.
Si l'affaire Jésus était close à ce moment, nous ne connaîtrions même pas son existence sauf peut-être par une allusion chez un historien juif qui citerait son nom avec d'autres rêveurs qui prétendaient changer la société et avaient échoué. Or, une vingtaine d'années plus tard, en Israël et en Egypte, à Chypre et en Grèce, des dizaines de communautés proclament que Jésus est vivant et elles essaiment partout en dépit de l'hostilité du milieu. En l'an 51, dans l'opulente ville de Corinthe, un Juif appelé Paul de Tarse écrit un billet à une communauté qu'il vient de fonder à Thessalonique, en Macédoine, et où l'on s'interroge sur le sort des défunts. Dans ce document, qui est le premier écrit conservé de l'histoire de l'Eglise, bien avant les Evangiles, Paul assure :
« Nous ne voulons pas vous laisser dans l'ignorance au sujet des morts, pour que vous ne soyez pas dans la tristesse comme les païens qui n'ont pas d'espérance. Si nous croyons que Jésus est mort et qu'il est ressuscité, de même aussi, ceux qui sont morts, Dieu les ramènera par Jésus et avec lui....
Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous » (1 Thessaloniciens 4,13 ; 5,28)
Ce même Paul racontera pourtant dans une autre lettre qu'il était fou de rage lorsqu'il avait appris que certains de ses compatriotes croyaient que Jésus, exécuté comme blasphémateur sur l'ordre du grand prêtre, était vivant, Messie Seigneur : il fallait éradiquer au plus tôt cette croyance absurde et néfaste (Gal 1,13). Désormais Paul est persuadé : non seulement Jésus est vivant mais sa résurrection suscite la nôtre. Que s'est-il donc passé ? Reprenons le récit de Marc.
LA FINALE DECONCERTANTE DE L'EVANGILE DE MARC
Donc à Jérusalem, le 7ème et dernier jour de la semaine, le shabbat, marque le début des festivités pascales. Les apôtres de Jésus et les femmes sont prostrés, en état de choc.
Vers 18 h, au crépuscule, le shabbat est passé, les magasins sont ouverts. « Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus ». Ces femmes, et d'autres avec elles, suivaient et servaient déjà Jésus en Galilée, elles l'avaient accompagné pendant la montée vers la capitale. Alors que les disciples avaient lâchement abandonné leur maître, elles étaient là au Golgotha, regardant Jésus agoniser et mourir (15, 40) puis elles regardaient la mise au tombeau (15, 47). Dans la hâte, elles n'ont pu oindre le corps selon la coutume. Elles n'ont aucun doute : Jésus est bien mort. Tout est fini. Il n'y a plus que des souvenirs. La nuit passe.
Eclate le plus beau matin du monde ! L'histoire va rebondir d'une façon incroyable. Marc poursuit en soulignant avec force la nouveauté de l'aube nouvelle : un vrai commencement
« La nuit passée, de grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au sépulcre au lever du soleil...... Au premier regard, elles s'aperçoivent que la pierre, qui était pourtant très grande, est roulée. En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de peur.
Il leur dit : « N'ayez pas peur ! Vous cherchez Jésus de Nazareth le crucifié ? Il est ressuscité, il n'est pas ici. Voici l'endroit où on l'avait déposé. Et maintenant allez dire à ses disciples et à Pierre : « Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez comme il vous l'a dit ».
Qui a roulé la pierre ? Y a-t-il eu effraction ? Pourquoi ? Audacieuses, les femmes osent pénétrer dans l'antre de la mort, du vide et du silence : or elles découvrent un vivant et entendent une parole. Qui est ce jeune assis à droite (comme on dira que Jésus est assis à la droite de Dieu son Père), vêtu de blanc (comme Jésus transfiguré) ? Un Ange sans doute, un messager d'en-haut, un substitut de la Présence divine. Dans cette expérience subite, les femmes sont figées d'effroi (même verbe quand Jésus entre en agonie : 14,33). Mais l'ange les rassure et leur parle. Donc il ne s'agit pas d'une hallucination (« Jésus serait un fantôme ?») ni d'une conviction que l'on se forge (« Ce n'est pas possible, il n'est pas mort »). Il faut écouter une parole qui vient d'un autre : « Vous cherchez Jésus crucifié : il est « éveillé » (c'est un des 2 verbes - avec « il est relevé »- pour dire la résurrection). Il n'y a rien à voir....mais à présent une mission est donnée : le message reçu doit être communiqué aux apôtres car ces pauvres couards, Jésus ne les rejette pas pour choisir d'autres amis. Il savait qu'ils étaient incapables de le suivre dans la passion : d'ailleurs c'est lui seul, Jésus, qui devait donner sa vie pour le monde. Qu'ils croient donc ces femmes qui ont reçu avant eux le message de la Bonne Nouvelle, et qu'ils retournent vite en Galilée : là ils le verront.
Et Marc termine son Evangile par cette phrase stupéfiante :
Elles sortirent et s'enfuirent du tombeau parce qu'elles étaient toutes tremblantes et hors d'elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne car elles avaient peur.
Cette finale abrupte a dès l'origine intrigué : c'est pourquoi, dans les manuscrits, on a ajouté un petit texte de style différent de Marc et qui donne un sommaire des apparitions (voyez les éditions du Nouveau Testament). Pourquoi donc Marc a-t-il clos son récit sur ce silence effrayé des femmes ?
Parce que, dans l'abîme de leur détresse, à la frontière de la mort, elles viennent de faire l'expérience redoutable du divin. Comment exprimer ce choc ? Il n'y a pas de mot pour dire la résurrection. Si on en parle, l'incrédule conclura toujours à la légende, à l'affabulation. Et il y a grand danger de voir là seulement une « happy end » : le héros de l'histoire a survécu, tout est bien qui finit bien. Fermons le livre.
Il faut au contraire le rouvrir, se remettre à lire Marc à partir de son début. Il nous a d'emblée prévenus qu'il n'écrivait pas la vie de Jésus mais la BONNE NOUVELLE DE JESUS, CHRIST ET FILS DE DIEU (1,1). Tous les épisodes aboutissaient à la question : Qui donc est ce Jésus ?
Nous, lecteurs, nous reprenons la place des apôtres et des femmes qui le suivaient et nous tentons de mieux comprendre. Notre vie de baptisés est une existence à la quête et à la suite de Jésus. Il nous précède toujours dans la Galilée de nos existences ordinaires, il nous instruit, nous apprend qu'il faut donner sa vie pour vivre. Et juste au moment de disparaître, « livré » à ses ennemis, « il se livre » à ses amis : « Prenez et mangez : ceci est mon corps........Ceci est mon sang... ».
Dès lors, à la différence des disciples de Jean-Baptiste qui pleuraient devant la tombe de leur maître mort, nous nous rassemblons non la veille du shabbat (jour de la mort de Jésus) mais le lendemain du shabbat, jour de résurrection. Nous formons CORPS en écoutant l'Evangile ; nous devenons LE CORPS DE JESUS en partageant son Eucharistie. Comme les femmes, nous sommes bouleversés, nous ne savons trop comment dire. Le mystère est indicible puisqu'il nous englobe ! Mais avant d'être exprimée, la Bonne Nouvelle est une réalité effective et vécue. LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE devient pour nous LE JOUR DU SEIGNEUR - en latin : « domenica dies » ; en français DIMANCHE. La pierre qui nous enfermait dans le désespoir est roulée : l'avenir de Dieu est ouvert.
Croix, Résurrection, Cri de la Bonne Nouvelle, Assemblée des croyants, Dimanche, Eucharistie : tout cela ne fait qu'un.
Vide/Présence de Jésus...Dispersion/Assemblée... Semaine/Dimanche... : notre existence est rythmée par la pulsion de la Vie nouvelle. Le C½ur de Dieu continue à battre pour le salut du monde.
Dimanche de Pâques
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps de Pâques
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2011-2012