Au lieu du 32ème dimanche ordinaire, la liturgie nous demande aujourd'hui de célébrer l'anniversaire de la dédicace de la basilique du Latran qui est la véritable cathédrale de Rome et donc du Pape. Un magnifique édifice où les vagues incessantes de touristes n'en finissent pas de flasher sur des chefs-d'½uvre. Profitons de l'occasion pour méditer sur la réalité profonde de l' EGLISE.
L'EGLISE EST D'ABORD UNE COMMUNAUTÉ
Dans le langage actuel courant, le mot "église" désigne d'abord un bâtiment dans lequel se célèbrent les cérémonies du culte : "nous allons à l'église" veut dire se rendre dans un édifice sacré.
Or, pour toutes les premières générations chrétiennes, le mot "Eglise" veut dire la communauté des croyants, l'assemblée qui se réunit pour prier et célébrer. Quand Saint Paul écrit "à l'église de Dieu qui est à Corinthe", il s'adresse à la communauté des fidèles qui habitent cette ville. "Aller à l'église" en ce temps-là veut bien dire "rejoindre la communauté en réunion" L'Eglise, ce sont des personnes de toutes origines, de toutes conditions, juifs ou païens, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, riches ou pauvres qui ont entendu l'appel du Christ et qui sont sortis de l'incroyance ou de l'idolâtrie pour se retrouver ensemble et former un peuple nouveau (Le mot français "église" vient du mot grec "ek-kaleo" qui signifie "appeler hors de").
Tous nos ancêtres chrétiens, pendant trois siècles, n'ont jamais disposé d'églises, de chapelles, d'édifices spéciaux : ils se rassemblaient chez l'un d'eux, un chrétien dont la maison était assez spacieuse pour accueillir le groupe. L'engagement du chrétien riche n'était pas de distribuer sa fortune ou de vendre sa maison mais d'y accueillir ses frères et s½urs, d'offrir l'hospitalité à ceux qui partageaient la même foi.
Longtemps les chrétiens n'ont jamais connu que des messes à domicile et ils inventaient de la sorte quelque chose d'inouï. Car dans la société, les gens se réunissent parce qu'ils appartiennent à la même classe, parce qu'ils goûtent telle espèce de musique, tels spectacles, tel sport ou telle distraction ( philatélie, bridge...), ou encore parce qu'ils collaborent à telle oeuvre. Les chrétiens, eux, se rassemblaient, toutes distances disparues, unis par la même foi, le 1er jour de la semaine (jour du soleil qui deviendra "jour du Seigneur", domenica dies, donc dimanche) pour célébrer leur Seigneur Vivant.
Il s'agissait bien d'une nouveauté absolue, prodigieuse : au même endroit, dans la même demeure, le même jour, chaque semaine, riches et pauvres, armateurs et dockers, professeurs et élèves, patrons et ouvriers, vieux et jeunes, juifs et païens se retrouvaient dans l'allégresse. On ne se jugeait plus d'après le costume, le niveau de vie, la culture, la nationalité... On partageait un repas "tiré du sac" comme on dit aujourd'hui, en échangeant les nouvelles, en s'intéressant les uns aux autres. Puis on se recueillait pour célébrer le mémorial du Seigneur. Des lecteurs proclamaient la Parole de Dieu : on détaillait les prophéties, on expliquait clairement l'Evangile du Seigneur, on discutait pour discerner comment le vivre parmi les difficultés du moment. Puis le président prenait le pain, prononçait la bénédiction, en distribuait un morceau à chacun. De même avec la coupe qui circulait de l'un à l'autre...On priait, on chantait des cantiques, on portait ensemble les malheurs de certains, les joies des autres. On était une famille, UN SEUL CORPS, LE CORPS DU CHRIST. Evidemment la réunion durait plus des 45 minutes d'aujourd'hui !!
NAISSANCE DE LA "CHRETIENTE"
Et puis, un jour, au 4ème siècle, l'empereur de Rome se convertit : il offrit des terrains et fit construire d'immenses et luxueux édifices que des artistes ornèrent de mosaïques, de peintures et de sculptures. Le christianisme devint religion officielle ; la majorité de la population fut baptisée. On était fier de visiter la Basilique du Latran ou celle de Saint Pierre, garnies de chefs d'½uvre, où des foules de prêtres célébraient avec faste tandis que des chorales chantaient à 4 voix... Et les fidèles cessèrent de s'accueillir les uns chez les autres, ils allèrent à des maisons sacrées, à des cérémonies sans plus se connaître, sans même parfois se saluer. On ne partagea plus un seul pain mais on donnait à chacun une hostie ; et on cessa de donner le calice sous prétexte du grand nombre de participants. La messe dominicale devint une habitude : on pouvait y arriver en retard, on en sortait dare-dare ( ce qu'on ne se permet jamais ni au théâtre ni au stade) . "Qui sont mes voisins ? Je ne sais pas !...J'ai eu ma messe"". L'intimité, la cordialité, la charité fraternelle s'étaient terriblement amoindries.
LE TEMPLE DU CORPS DU CHRIST
Or, aujourd'hui où l'on fête justement un des plus magnifiques édifices sacrés de la chrétienté, la liturgie nous fait entendre la fameuse scène où Jésus purifie le temple de Jérusalem. Ce temple totalement rénové se dressait comme une véritable splendeur, faisant l'admiration béate des multitudes de pèlerins qui venaient y offrir des sacrifices...Mais Jésus ce jour-là fit un esclandre qui allait lui coûter cher - car si on admirait ses guérisons et ses sermons, les pontifes ne lui pardonneraient jamais d'avoir osé lancer aux marchands installés sur l'esplanade :
" Enlevez cela d'ici : ne faites pas de la maison de Mon Père une maison de trafic"....Et il ajouta : "Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai". Les Juifs répliquèrent : " Il a fallu 46 ans pour bâtir ce temple et toi, en trois jours, tu le relèverais ???".....
Jésus tourna les talons sans se justifier : c'était peine perdue. Mais plus tard, après Pâques, saint Jean éclaira la déclaration :
"Le Temple dont il parlait, c'était son corps. Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l'Ecriture et à la Parole que Jésus avait dite"
Après Pâques, transfigurés par les apparitions de Jésus vivant, par l'Esprit qu'il leur avait communiqué, et par l'Eucharistie qu'ils commençaient à "faire", comme Jésus leur en avait donné l'ordre, les apôtres comprirent l'énigme : oui le temple de Dieu, ce sont les croyants unis au Christ vivant !
Et saint Paul, le premier, le déclara aux chrétiens de Corinthe ( 2ème lecture)
"Frères, vous êtes la maison que Dieu construit... Les fondations, c'est Jésus Christ... N'oubliez pas : vous êtes le temple de Dieu, et l'Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira car le temple de Dieu est sacré, et CE TEMPLE, C'EST VOUS !"
Aujourd'hui, les jeunes générations connaissent nos multiples institutions et nos ½uvres sociales mais ils ne nous rejoignent pas. Ils guettent ce que personne ne peut leur offrir : une EGLISE DES PERSONNES, une assemblée vivante où l'on s'accueille dans la simplicité, toutes barrières disparues, où l'on est porté par la même espérance, où l'on partage le même amour. ¼uvre gigantesque...bien plus colossale que de construire la Basilique du Latran ! Mais là serait le vrai chef-d'½uvre de Dieu !