DON DE L'ESPRIT - LIBERTE - CONCORDE- MISSION
Les trois fêtes de Pâques, Ascension et Pentecôte n'en forment évidemment qu'une. Pourquoi donc Luc - et lui seul - a-t-il reporté le don de l'Esprit à la Pentecôte juive, 7 semaines après Pâques ? Il est très intéressant de voir comment la conception de cette fête a évolué.
FETE NATURELLE DE LA MOISSON -- Dans les temps anciens, à la fin des moissons (qui duraient environ 7 semaines), les agriculteurs du Proche Orient célébraient les dieux (appelés baals) pour leurs bienfaits : « Fête de la Moisson » ou « Fête des Semaines ». La nourriture était assurée pour les familles donc on allait pouvoir vivre une année nouvelle. A ce premier stade, les fêtes sont rythmées par les saisons, elles scandent le cycle perpétuel de la nature. L'homme vit une relation avec les dieux dont dépend sa subsistance.
FETE HISTORIQUE DE LA LOI - Au contraire, en Israël, les prophètes enseignent qu'il n'y a qu'un seul Dieu, que les baals sont des idoles inexistantes et qu'il ne sert à rien de les prier (ce que la science confirmera : le climat résulte d'un jeu de forces). Et en méditant sur l'histoire de leur peuple, ils remarquèrent que leurs ancêtres, libérés de l'esclavage d'Egypte lors de la fête de « Pessah et des pains azymes », avaient atteint le mont Sinaï, « le 3ème mois après leur sortie » (Ex 19, 1), ce qui pouvait correspondre au 50ème jour, au moment même de la « fête de la Moisson ».
Dès lors, en Israël, les fêtes prirent un sens radicalement nouveau : Pessah (Pâque) devint la fête de la libération et la Fête de la Moisson devint la « Fête de l'Alliance avec Dieu et du Don de sa Loi » (Torah). Lorsque la langue grecque s'imposa, on dénomma cette dernière « pentécostès » (50ème).
Dès lors l'année fut rythmée par le souvenir d'événements historiques : les grandes fêtes célébraient la mémoire des interventions de YHWH en faveur de son peuple, elles scandaient l'histoire afin que le peuple la poursuive dans la fidélité. Dieu n'était plus au service des hommes pour leur donner ce qu'ils demandent mais au contraire les croyants se mettaient à son service pour vivre selon sa Loi et donc libérer l'humanité.
ECHECS ET PROMESSE -- Hélas, la Bible raconte inlassablement que si la Loi était lue, proclamée, vénérée, apprise par c½ur, en fait elle était sans cesse bafouée et trahie. On s'exhortait à bien connaître les préceptes de Dieu et on ne parvenait jamais à les mettre en pratique. YHWH avait beau envoyer des Prophètes pour dénoncer les comportements pécheurs, appeler au changement, menacer de châtiments graves si on ne se convertissait pas : rien n'y faisait.
Et la catastrophe arriva. En 587 avant notre ère, Jérusalem fut prise, son temple incendié, son roi, la cour et la population déportés à Babylone. Le chant des fêtes était éteint à jamais, semblait-il. Israël allait probablement se fondre dans le magma des peuples et disparaître de la scène de l'histoire.
C'est alors que retentit un message absolument inouï (au sens propre): le prophète Jérémie qui avait tant hurlé pour appeler son peuple à la repentance et qui s'était lamenté sur les ruines de Jérusalem, proclama un message jamais entendu :
« Oracle du Seigneur : Des jours viennent où je conclurai une NOUVELLE ALLIANCE. Elle sera différente de celle que j'avais conclue avec leurs pères quand je les ai fait sortir d'Egypte. Ils ont rompu cette Alliance mais moi, je reste le Maître chez eux...Je déposerai mes directives au fond d'eux-mêmes, je les inscrirai dans leur être. Je deviendrai Dieu pour eux et ils deviendront un peuple pour moi. Ils ne s'instruiront plus entre frères en répétant « Apprenez à connaître le Seigneur » car ils me connaîtront tous. Je pardonne leur crime, je ne parle plus de leur faute ». (31, 31-34)
A la même époque, le prophète Ezéchiel, dans la même ligne, écrivait :
« Je ferai sur vous une aspersion d'eau pure, je vous purifierai de vos impuretés. Je vous donnerai un c½ur neuf ; je mettrai en vous un esprit neuf...Je mettrai en vous mon propre ESPRIT et je vous ferai marcher selon mes lois ».(36, 25-27)
Comprenons bien ce tournant capital. Dieu ne rejette pas Israël, « peuple à la nuque raide », pour en choisir un autre, il n'édulcore pas les exigences de la Loi en supprimant les commandements trop difficiles, il ne supprime pas la Loi, ce qui entraînerait l'anarchie et la violence.
La Loi demeure la même mais Dieu promet de donner à son peuple ce qui lui manquait toujours : la force intérieure de la mettre en pratique et de vivre en communauté universelle.
JESUS ACCOMPLIT LA PAQUE -- Plusieurs siècles vont passer apportant leur lot de malheurs mais la Promesse de la NOUVELLE ALLIANCE, conservée et transmise, maintient Israël dans l'espérance jusqu'au jour où survient Jésus. « Je ne viens pas abolir la Loi, dit-il, mais l'accomplir » : il la radicalise, la pousse à ses exigences ultimes : « On vous a dit ; moi, je vous dis... ». Cette prétention paraît blasphématoire aux yeux des autorités : elles font arrêter ce perturbateur qui est condamné et exécuté sur une croix.
Mais Jésus se manifeste à ses disciples comme ressuscité et il leur explique les Ecritures. Il est mort précisément le jour de la fête de Pessah-Pâque, où l'on immolait l'agneau pour commémorer la sortie d'Egypte. Emerveillés, les disciples enfin comprennent : Jésus est le véritable agneau. En vivant sa mort comme un don total de lui-même par amour, il fait « sortir » ses disciples non d'un pays mais de la prison du péché. En leur présentant ses plaies, il leur donne sa paix et les introduit dans son Royaume de Vie. Le véritable « passage » est réalisé : le sens de la Pâque est enfin dévoilé et accompli.
LA NOUVELLE ALLIANCE -- Ensuite de même que les fils d'Israël, sortis d'Egypte, avaient mis 50 jours pour atteindre le Sinaï, entrer dans l'Alliance de Dieu et y recevoir sa Loi (Décalogue), ainsi fallait-il 50 jours pour que les disciples de Jésus accueillent l'Esprit de la NOUVELLE ALLIANCE. C'est pourquoi Luc raconte la fête de la nouvelle Pentecôte en parallèle avec la scène du Sinaï.
Ici on n'est plus sur une montagne dans le désert mais dans une pièce du premier étage à Jérusalem.
Plus d'orage, d'éclairs, de tremblement de terre, de panique mais des flammes qui illuminent les apôtres et les font brûler d'un feu nouveau.
Plus de tempête impétueuse qui jette à terre mais un Souffle léger qui fait courir vers les autres.
Plus de terreur et d'effroi mais une joie toute neuve qui pétille comme une douce ivresse (Les gens diront : « Ils sont pleins de vin doux » - Ac 2, 13). Non, nous ne sommes pas ivres, répond Pierre aux gens mais Dieu a réalisé sa Promesse : C'est la nouvelle Pentecôte ! Nous avons reçu l'Esprit de Dieu ! Nous sommes dans la Nouvelle Alliance ! Rejoignez-nous, acceptez le baptême et vous recevrez ce même Esprit. Et Luc souligne le choc de cette première annonce : les gens étaient « déconcertés, stupéfaits, perplexes »
La vraie Pentecôte marque la naissance de l'Eglise et le début de la reconstitution de la famille humaine. L'impérialisme veut toujours dresser un système central intangible et imposer au monde l'unité en laminant les différences, en forçant les hommes à n'avoir qu'une culture, à parler une même langue (symbole de la tour de Babel). A la Pentecôte, les gens comprennent le message de Jésus et de l'Esprit chacun dans sa langue. Magnifique symbole de l'amour qui respecte la différence de l'autre, qui dialogue au lieu d'asséner sa vérité. La beauté de l'Eglise est dans sa diversité, dans la richesse des différences.
Et de même que les fils d'Israël, à partir du Sinaï, avaient dû longuement cheminer dans le désert où ils étaient nourris par la manne, ce pain de misère, ainsi les disciples de Jésus, à la Pentecôte, deviennent le peuple de Dieu en marche parmi toutes les nations. Ils s'enfoncent au milieu des contradictions, des sarcasmes, des attaques du monde ; ils sont assaillis par de terribles tentations de découragement ; mais tout au long de leur route, ils sont nourris, consolidés, réunis par le Pain de Jésus et son sang : « Cette coupe est la NOUVELLE ALLIANCE en mon sang versé pour vous » (Luc 22, 20).
L'Evangile n'est pas un texte, si beau soit-il, car « la lettre tue » (2 Cor 3, 6) : la seule et véritable Bonne Nouvelle, c'est que des êtres humains, faibles et lâches, commencent à vivre de l'Esprit.
« La Loi nouvelle consiste principalement dans la grâce de l'Esprit-Saint » (Saint Thomas d'Aquin).
Fête de la Pentecôte
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps de Pâques
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2012-2013