Fête de la Sainte Trinité

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2005-2006

Après la Pentecôte, nous fêtons la Trinité et nous le faisons en rappelant l'envoi en mission. « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 26, 20).

La mission et la Trinité sont intimement liées. Cela n'apparaît pas clairement aujourd'hui, après la colonisation. La mission a trop été entachée d'impérialisme culturel. Nous sommes maintenant dans l'ère du dialogue interreligieux. Mais les caricatures ne doivent pas nous faire oublier les montagnes d'héroïsme et de générosité véritablement mystique qui ont été déployés. Les générations antérieures ont porté l'Evangile au bout du monde, en des climats difficiles et des traditions très différentes de celles du monde occidental. Combien ont été touchés ont souffert physiquement, politiquement et moralement, avec parfois des persécutions. Ils ont franchi des distances qui n'étaient pas que géographiques, pour parler les langues et entrer dans les coutumes de ceux qu'ils venaient rejoindre pour leur parler de l'amour vainqueur en Jésus ressuscité.

Une question de fond est posée aujourd'hui : pourquoi vouloir communiquer sa foi ? Pourquoi faire du prosélytisme, pourquoi ne pas se contenter d'être ce que l'on est ? Pourquoi vouloir que les autres adhèrent eux aussi à ce que nous croyons, espérons et vivons ? Cette question de fond s'accompagne parfois d'un certain sentiment d'ingratitude, d'un certain sentiment de culpabilité aussi, après coup, pour avoir manqué de respect, d'un certain sentiment d'échec en voyant l'Afrique par exemple se débattre en grande difficulté. Mais l'Evangile a été transmis, de nouvelles Eglises ont été fondées, des liturgies, des théologies nouvelles ont vu le jour et se sont développées, tous les peuples ont été rejoints et peuvent exprimer à leur manière les merveilles de Dieu.

La foi ne nous appartient pas. La Bonne Nouvelle n'est pas notre patrimoine exclusif. L'Espérance est pour tous. L'amour de Dieu n'a de limite ni géographique ni culturelle. Et je vois trois raisons pour vivre cet appel de Jésus à la mission.

D'abord, nous l'avons entendu, cela ne vient pas de notre initiative, ça n'est ni à discuter ni à réfléchir, c'est Jésus lui-même qui nous invite à communiquer la Bonne Nouvelle de sa Résurrection, à transmettre la Parole de vie.

Ensuite, et c'est certainement plus important. Ce qui nous presse, n'est pas le désir de nous répandre ni celui de rendre l'autre semblable à nous. C'est l'amour qui nous habite et qui, par son dynamisme propre, tend à se communiquer. L'amour ne peut que se partager. S'il n'est pas communicatif, c'est qu'il n'est pas, tout court. L'amour de Dieu est offert à tous, il doit être annoncé à tous. L'événement pascal, l'Alliance nouvelle, sont à tous. Avant même qu'ils ne soient rejoints concrètement, tous les hommes sont déjà concernés. Tous les hommes, tous les peuples, toutes les cultures sont invitées. Le mot Eglise signifie convocation et l'Eglise ne se réduit heureusement pas à l'Eglise visible et à son administration.

La troisième raison de l'importance de la mission, c'est la vie même de Dieu. Le Père aime ses enfants et pour cela c'est lui qui prend l'initiative de les rejoindre en envoyant des témoins. Il nous donne son Fils et notre mission correspond à la mission de Jésus. « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Dans le jargon théologique, la mission correspond à la procession. Le Fils procède du Père et il est envoyé par le Père. L'Esprit procède du Père et du Fils et il est envoyé par le Père. A notre tour, dans le même dynamisme vital et amoureux, nous sommes envoyés. Et cela correspond à l'amour, à l'amour qui est au c½ur de Dieu, à l'amour qui est offert sans limite : « comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ». « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

Etre envoyé, c'est être aimé. C'est être aimé au point d'être traversé par cette impatience partagée. C'est avoir la chance inouïe de communiquer l'amour, de transmettre la vie. C'est la chance, la grâce, d'être pleinement associé à ce qui fait la raison même de la venue du Verbe dans la chair, la venue de l'Emmanuel parmi nous. C'est la chance formidable de découvrir en acte, en le vivant, en l'apprenant, ce que c'est que de communiquer d'un c½ur vivant à un autre c½ur vivant. L'amour fait vivre, la vérité libère, la promesse donne d'espérer. L'Evangile donne d'espérer, parfois contre toute évidence, par delà même l'échec provisoire et le démenti de la mort. Etre chrétien, c'est ne plus jamais être tranquille jusqu'à ce que tous les hommes soient réconciliés.

Ne disons pas « toutes les religions se valent » si nous ne les connaissons pas. Toutes les religions ont une immense valeur, mais notre foi est au-delà de toutes les religions. Elle nous permet d'adorer en Esprit et en Vérité, dans la confiance et le c½ur à c½ur. Dieu nous a dit son nom et il s'est donné sans réserve, jusqu'à nous confier la responsabilité de l'annoncer.

Devant notre responsabilité de missionnaires, là où nous nous trouvons, il y a deux erreurs opposées. Celle d'en faire trop, au sens d'imposer, d'être des colonialistes sans respecter l'autre vraiment. Mais il y a aussi l'erreur opposée : celle de ne rien partager, de ne rien dire et de tout garder pour soi. Le trésor qui nous est confié, nous ne pouvons en vivre que si nous le communiquons. La parole ne se comprend que si elle est prononcée. L'amour ne se vit que s'il est avoué. Le Souffle de Pentecôte n'est donné que si l'on sort de la maison pour parler aux inconnus. Alors seulement on peut expérimenter ce que c'est que sortir de soi, ce que c'est, pour Dieu, que créer du non-dieu, que se communiquer aux hommes et se remettre entre leurs mains. Pour employer un mot contemporain, ce que c'est que déléguer.

Allez annoncez et baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Allez annoncer, Jésus ne nous dit pas comment ? Mais si ! Il le dit : allez sans rien emporter, ni bibliothèques ni comptes en banque remplis. Allez avec votre manque, avec votre maladresse, avec vos mots à vous. Mangez ce que l'on vous donnera. Allez pour recevoir, pas seulement pour donner. Et puis baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Accompagnez les hommes dans le passage vital, se déposséder pour se trouver, faire confiance à la vie, à la mort, à Celui qui est mort et ressuscité pour nous. Faites entrer toute l'humanité dans la danse, la danse de la musique de Dieu.

« Je suis avec vous pour toujours, jusqu'à la fin du monde ». L'histoire du monde se confond avec l'histoire d'un amour immense qui cherche à se communiquer.