Jn 13, 1-15
Aujourd'hui, nous sommes venus fêter l'eucharistie de Jésus. Comme les disciples, nous nous sommes réunis autour de la table pour partager le pain et le vin, symboles de la vie de Dieu donnée et partagée. Jésus a célébré la Pâque avec ses disciples et a demandé que l'on refasse ce geste de partage en mémoire de lui. Nous sommes ici pour faire mémoire du dernier repas de Jésus, moment de fête pas comme les autres puisque déjà imprégné d'une ambiance lourde : « Quelqu'un va me livrer », dit Jésus.
Chose bien curieuse, l'Evangile de ce jour, écrit par Jean, ne nous raconte pas le dernier repas du Christ. Alors que les autres évangélistes, et même Saint Paul, nous décrivent l'eucharistie de Jésus, Saint Jean nous parle d'un tout autre événement : Jésus a lavé les pieds de ses disciples.
Le fait de laver les pieds, dans la culture de Jésus, est un geste d'accueil et d'hospitalité. En entrant dans la maison, alors que les pieds sont couverts de poussière, les marcheurs apprécient la fraîcheur de l'eau qui nettoie les pieds. Généralement, ce sont les servants qui versent l'eau sur les pieds des invités.
Or, aujourd'hui, c'est Jésus lui-même qui prend la place du serviteur. Loin de se comporter en chef et en seigneur, il s'abaisse pour poser cet acte simple et humble qui fait du bien aux autres. Jésus se met à genoux, plus bas que son disciple, pour donner du confort et de la fraîcheur à celui qu'il aime.
Saint Jean nous raconte ce geste tout simple en lieu et place du repas pascal car il est animé d'une conviction profonde : le corps de Jésus, c'est aussi celui des disciples. Dans l'eucharistie, Jésus offre son corps, c'est-à-dire sa vie, pour que les chrétiens vivent en communion avec lui et son Père.
Dans le lavement des pieds, Jésus prend soin de son propre corps. C'est le paradoxe de l'incarnation. En effet, en prenant notre chair, le Christ est présent en toute humanité, en notre vie humaine. Nous formons le corps du Christ parce que lui-même s'est rendu présent en chacun de nous. Jésus est présent en chacun de nos frères et s½urs. Le prolongement de l'incarnation signifie que le corps du prochain est le corps du Christ. Lors du repas pascal, Jésus offre son corps pour faire vivre celles et ceux qui vont lui donner corps après sa mort. En venant dans la chair, au c½ur de l'humain, Dieu a créé une solidarité des corps comme expression de la communion divine. Nous sommes porteur d'un mystère étonnant que nous n'aurons jamais fini de contempler.
A cause de l'incarnation, le corps eucharistique, c'est à la fois le pain consacré et le corps du prochain. Vivre l'eucharistie ne se limite pas à partager le pain, cela s'étend au service des autres. A côté du sacrement de la table, il y a le sacrement du frère. Dans les deux cas, Dieu se rend présent pour nous. Il nous est accessible également dans la rencontre du prochain. Dieu se fait concret dans la relation de service.
Jean veut nous faire comprendre que la communion au corps eucharistique s'accompagne naturellement du « prendre soin » des personnes. Dieu est présent dans le pain et le vin. Mais Dieu est également présent en chacun de nous. Prendre soin de son frère, c'est prendre soin du Christ. « Ce que vous faites au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites » disait Jésus. « En se portant à leur secours, on célèbre une véritable eucharistie » a écrit le théologien belge Gesché, qui trouve que le lavement des pieds est un authentique sacrement trop longtemps oublié.
Bien que nous ne sommes pas dans la culture du lavement des pieds, est-ce que ce geste est pour autant dénué de sens pour nous ? Nous pouvons lui donner une nouvelle signification. Nous pouvons par exemple nous placer du côté du disciple qui se laisse laver les pieds. En effet, il n'est pas facile de se laisser faire par un autre, de lâcher-prise. La plupart du temps, nous sommes un peu comme Pierre qui refuse de dépendre d'un autre. Nous voulons nous débrouiller tout seul. C'est sans doute vrai à l'égard de nos proches, c'est un peu vrai aussi vis-à-vis de Dieu. Nous avons du mal à nous abandonner entre les mains du Dieu de tendresse.
Le lavement des pieds signifie aussi que sommes invités à vivre au service des autres, surtout des plus faibles. Ils sont le corps du Christ. Nous sommes aussi le corps du Christ. En posant sa vie pou nous, Jésus nous invite à entrer dans son mouvement de lâcher-prise. Il nous invite aussi à découvrir sa présence en ceux qui ont besoin de nous. Pour le rencontrer concrètement, Jésus nous montre le chemin : c'est le chemin de son corps étendu à tout être humain. Nous pouvons faire l'expérience d'un Dieu vulnérable, un Dieu de tendresse, en allant vers le corps du prochain.
Saint Jean a mis en valeur le lavement des pieds comme signe du corps du Christ. C'est le même Jean qui a écrit : Le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous. Puissions-nous le vivre en plénitude dans des gestes quotidiens.
Amen.