La Croix Glorieuse

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Fêtes du Seigneur et Solemnités durant l'année
Année liturgique : A, B, C
Année: 2007-2008

Dans le monde entier, je crois, le dessin du serpent enroulé sur un bâton signale l'½uvre thérapeutique : médecine et pharmacie. Ce symbole très antique qui se retrouve dans la plupart des civilisations ( cf. Dictionnaire des symboles) se rencontre également dans la Bible.

LE SERPENT ÉLEVÉ DANS LE DESERT

Lors de leur longue marche à travers le désert du Sinaï, les Hébreux sortis d'Egypte se mirent à nouveau à critiquer Dieu et Moïse mais ils eurent le malheur d'installer leur campement en un lieu infesté de petits serpents venimeux - ce qui fut interprété comme une punition de YHWH. Alors

" Moïse fit un serpent d'airain et le fixa à une hampe ; et lorsqu'un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d'airain et il avait la vie sauve" ( Livre des Nombres, chap. 21 = 1ère lecture du jour )

 

Cette effigie était tellement populaire que, en dépit de l'interdiction formelle de toute image et toute représentation, elle était dressée dans le temple de Jérusalem et devint l'objet d'un culte : on l'appelait "Nehoushtân" ( en hébreu, "nahash" = serpent). Mais le roi Ezéchias procéda un jour à une grande réforme religieuse et fit détruire cette idole ( 2 Rois 18, 4). Peu d'années avant notre ère, un sage publia son interprétation des prodiges de l'Exode et il expliqua ce curieux épisode du désert : le serpent d'airain était "un gage de salut qui leur rappelait le commandement de ta Loi. En effet, quiconque se retournait était sauvé non par l'objet regardé mais par Toi, le Sauveur de tous...Ta Miséricorde vint à la rencontre de tes fils et les guérit...Ni herbe ni pommade ne vint les soulager mais ta Parole, Seigneur, elle qui guérit tout. Tu as pouvoir sur la vie et la mort..." ( Livre de la Sagesse, chap. 16).

Cette relecture visait à détruire tout culte du serpent et toute pratique magique : ce qu'il faut, dit-il, c'est que l'homme se détourne de son mal, "se convertisse" c'est-à-dire se retourne vers Dieu, se remette à l'écoute de sa Parole et lui obéisse. Alors le mal ne domine plus sur lui, le serpent qui tue est mort : l'homme vit de la Vie de Dieu. Car seul Dieu sauve.

JESUS TORDU EN HAUT D'UNE CROIX

Le disciple bien-aimé - saint Jean, dit-on - se trouvait avec Marie et quelques femmes au pied de la croix où agonisait Jésus (Jean 19, 25). Plus tard, à la lumière de Pâques et sous l'inspiration de l'Esprit qui conduit vers la vérité tout entière ( Jean 16, 13 ), il comprit : dans l'enfer des souffrances du Golgotha, se tordant de douleur sur le gibet, Jésus avait en quelque sorte accompli le symbole antique !! Pour ses juges, il était un blasphémateur, un malfaiteur qu'il fallait exécuter comme on écrase un serpent venimeux. Mais non, proclame Jean, ce Jésus était le FILS, la PAROLE DE DIEU qui s'offrait pour faire miséricorde au monde.

D'où l'évangile de ce dimanche, extrait de l'entretien de Jésus avec le pharisien Nicodème mais qui est une révélation perçue à la lumière de Pâques :

Nul n'est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la Vie éternelle. Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas mais il obtiendra la Vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que, par lui, le monde soit sauvé".

 

Extraordinaire intuition ! Jésus est à la convergence unique de plusieurs figures mystérieuses des Ecritures : Il est le Fils de l'homme, l'homme que le prophète Daniel voyait s'approcher de Dieu et " il lui fut donné souveraineté, gloire et royaume". Au contraire des Empires bestiaux qui s'effondrent les uns après les autres, le Fils de l'homme inaugure "un royaume éternel qui ne passera pas" ( Daniel , chap. 7)

Il est le mystérieux Serviteur Souffrant dont le 2ème Isaïe avait eu la vision :

" il se tordait, il n'avait nul aspect, ...méprisé, déshonoré, broyé par les pires souffrances...mais ce sont nos douleurs qu'il supporte...il est broyé à cause de nos perversités...Le Seigneur a fait retomber sur lui la perversité de nous tous... Seigneur Dieu, daigne faire de sa personne un sacrifice d'expiation, qu'il voie une descendance... ( Livre d'Isaïe, chap. 53)

Il prend la place du serpent élevé sur le bois. Et c'est pourquoi saint Jean parlera non de la "Passion" de Jésus mais de son "élévation" : Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, vous saurez que JE SUIS" ( Jean 8, 28...)

La haine des hommes l'a cloué sur le gibet de la croix - mais son c½ur était sans rancune, plein de miséricorde. A Pâques, les disciples ont compris : ayant renié leur maître, ayant commis un péché qui entraînait la mort, ils étaient malades d'un mal que nul médecin, nul médicament ne pouvait guérir. Mais Jésus s'était offert pour leur guérison. En croyant en lui, ils étaient pardonnés, soignés, guéris de façon définitive. Là était vraiment la Présence de Dieu !

Tout être humain est pécheur, participe au règne du serpent assassin mais s'il se convertit en se retournant pour regarder le Fils suspendu à la croix, alors il peut entendre la Parole qui vient du haut du gibet : Tu es pardonné et je te donne la Vie éternelle. Au moment où nous le supprimons, il se donne à nous. La croix du Golgotha n'est pas la mort d'un martyr ni la glorification de la souffrance : elle est la manifestation, la révélation de l'amour infini du Père :"Dieu a tant aimé le monde...".

C'est pourquoi la croix n'est pas l'échec de Jésus mais sa victoire : du haut de ce "trône", il est réellement "Roi" ainsi que le proclame la pancarte que Pilate a fixée au-dessus de sa tête. Donc la croix, instrument d'ignominie, devient glorieuse : elle est le foyer rayonnant de l'Amour "qui est plus fort que la mort "( Cant.des Cant.8, 6)

Désormais les apôtres, messagers, prophètes, hérauts du Christ, s'élancent dans le monde en proclamant le "kérygme", le véritable message du salut : " Jésus est mort pour nos péchés et il est ressuscité par la puissance de son Père". Sous les yeux de tous, ils élèvent fièrement l'authentique "caducée", la croix de Jésus : ils demandent à tous les humains de regarder ce signe de la Miséricorde car un prophète l'avait écrit : " Ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé" - prophétie, dit encore saint Jean, qui s'est réalisée au Golgotha.(Zach 12, 10 = Jean 19, 37)