Je suis étonné du titre donné à cet épisode de l'évangile et qu'on nous a toujours appris qu'on a mis - car ce n'est pas d'origine - comme subdivision dans les évangiles Or le texte n'emploie jamais le mot multiplication
En fait, la première attitude de Jésus est d'accueillir ceux qui ont faim de sa parole Mais cette faim-là s'accompagne de la faim corporelle et il est frappant de voir que Jésus se préoccupe autant du bien-être physique de cette foule que de son bien-être spirituel. On dit aussi que ventre affamé n'a point d'oreille. Jésus sait qu'il est venu pour le bien-être de l'homme dans son intégralité.
Ensuite si Jésus et ses disciples nourrissent une telle foule, c'est tout simplement parce les apôtres - les autres évangiles parlent d'un jeune homme qui avait 5 pains et 2 poissons - qui avaient quelque nourriture dans leur sac ont accepté l'invitation de Jésus à partager le peu qu'ils avaient. Ne dit-on pas " quand il y en a pour deux, il y en a pour trois " ! Revenons au texte : Jésus ne va pas aller acheter pour les autres ni renvoyer tous ces gens : si on accueille, ce n'est pas pour ne pas s'occuper des hôtes. Non, il demande d'abord de voir quelles sont les provisions des apôtres. En effet c'est rare qu'on parte loin sans avoir un " briquet " dans sa poche ou son sac. Peut-être d'ailleurs d'autres personnes avaient quelque provision : peu importe. L'essentiel c'est que Jésus a mis les apôtres - ou ce jeune homme -dans l'occasion et en état de partager. Et c'est peut-être là le vrai miracle. Et au lieu de multiplier, Jésus a divisé. Plus on divise, plus il y en a jusqu'à y avoir de trop. Le texte dit bien en effet que Jésus rompit, donc divisa pains et poissons. Et qu'il y en eut même de trop.
Et c'est clair dans les évangiles que ce geste était aussi prémonitoire de ce que Jésus allait faire de son corps : ce corps qu'il a reçu de sa mère, il le partage pour qu'il nourrisse et fertilise tous ceux qui participent à ce partage. C'est le don le plus grand, pas seulement de ce qu'on a mais de ce qu'on est soi-même.
Communier pour nous c'est participer à cette attitude fondamentale et aimer les autres comme le Christ nous a aimés.
Il nous demande d'abord d'accueillir. Accueillir est déjà un geste de partage ne serait-ce que de la place qu'on occupe dans la maison. Jésus lui aussi voulait être tranquille avec ses apôtres qui avaient un tas de choses à raconter après leur première mission ; mais il est disponible et n'a pas peur de se laisser déranger, manger le temps malgré la fatigue. Le premier don de soi consiste d'abord à faire de la place à l'hôte, à celui qui arrive même à l'improviste. Peut-être a-t-il besoin de parler, de demander conseil : il s'agit d'abord d'une parole partagée et cela est toujours source de richesse
Il nous sera souvent demandé aussi de donner de nous-mêmes en donnant de notre temps. Nous avons toujours tellement de choses à faire. Mais donner de son temps est déjà un réel don de soi.
Enfin donner aussi de ce qu'on a, non comme un geste de riche à pauvre, mais comme un partage. Le partage va d'ailleurs dans les deux sens, c'est-à-dire c'est accepter de recevoir, autrement dit se considérer comme aussi pauvre également, quelqu'un qui a besoin de l'autre qu'on accueille. Ainsi Jésus n'avait rien pour manger, il a dépendu de ses apôtres, ou selon de ce garçon aux 5 pains et 2 poissons. Le partage nous ainsi sur pied de fraternité ; accepter de recevoir nous met en état de donner toujours plus, jusqu'à notre corps, jusqu'à notre vie. En tout cas le partage ouvre notre c½ur à aimer davantage, en actes et en vérité.
Et ce don de soi aide en fait l'un et l'autre à vivre.
Ainsi en est-il aussi du don de Jésus dans l'Eucharistie : c'est son corps à partir de ce que nous offrons en partage le pain et le vin. Symbole de vie comme l'est toute offrande que nous faisons. Si nous n'apportons rien il n'y a pas d'eucharistie Si nous partageons nous recevons encore davantage : la vie même de Jésus. Voyez ce que Justin nous a rappelé dans la première lecture : l'on va alors dans les maisons, on partage ce qu'on a reçu à l'autel, et cela fait vivre parce que fait entrer dans l'amitié, la fraternité.
Tel est sans doute la portée de ce miracle de la division des pains. Et si nous voulons communier en vérité, alors nous devons communier aux sentiments de celui qui se donne à nous pour vivre le même esprit, le même accueil, le même partage. Par le partage de son corps, Jésus se rend mystérieusement mais réellement présent au milieu de nous, et nous en recevons force et vie. Par le partage eucharistique et le partage dans notre vie de tous les jours, d'une façon tout aussi mystérieuse, nous rendons présent le Christ et ainsi nous aidons vraiment à vivre tous ceux et celles avec qui nous partageons, à qui nous nous donnons.