Le Corps et le Sang du Seigneur

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2004-2005

En quelque temps, la pratique de la messe dominicale a connu, en Occident, une chute considérable et - il ne faut pas se leurrer - celle-ci va se poursuivre puisque la relève par les jeunes générations ne se fait guère. On prévoit des fermetures imminentes.

Au lieu de nous effrayer de cette « décadence », peut-être devrions-nous admettre que nous sommes tout bonnement en train de revenir à une situation « normale ». Si Jésus a osé comparer sa communauté au sel de la terre, au levain dans la pâte, il signifiait qu'il n'envisageait jamais une conversion généralisée, et donc que ses disciples demeureraient une minorité.

Par ailleurs, si beaucoup de nos contemporains abandonnent la pratique, ce n'est sans doute pas d'abord à cause des motifs sans cesse allégués (liturgies ennuyeuses, rites monotones, langage incompréhensible...) mais plus probablement parce que l'Evangile et l'Eucharistie prônent un mode de vie radicalement opposé à celui que propose notre société.

Si l'idéal martelé sans arrêt par les médias est : jouir tout de suite, acheter, consommer, voyager, profiter..., il ne faut pas s'étonner que les gens - même les baptisés, hélas - deviennent comme allergiques à une Eglise qui exige de ses membres qu'ils s'engagent tout de suite, sans attendre le nouveau programme gouvernemental, dans une existence de service, partage, réconciliation, solidarité, justice. Quand le monde sacralise un présent de jouissance immédiate des nourritures terrestres, il empêche de désirer un Pain pauvre, aliment pour le pèlerinage d'un peuple en marche vers le Ciel.

DU PAIN GRATUIT AU PAIN DE LA VIE ETERNELLE

Le chapitre 6 de St Jean, dont nous lisons ce jour un extrait, nous raconte qu'il en fut déjà de même dès le début lorsque, pour la première fois, Jésus annonça le Pain vivant.. En effet, quand d'abord il procéda au partage du pain et offrit à manger gratuitement, la multitude fut évidemment prise d'enthousiasme et envisagea même de le couronner roi. Mais Jésus refusa cette exaltation et lorsque, plus tard, les gens le rejoignirent, il leur dit sans illusion :

Ce n'est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez, mais parce que vous avez mangé à satiété.

Et au lieu de réitérer le miracle pour s'attirer des fans, il annonça à la stupéfaction générale :

Je suis le Pain de Vie...Celui qui mangera ce pain vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair donnée pour que le monde ait la Vie.

Devant cette affirmation inouïe, intolérable, les gens se mirent à hurler. Le texte lu dit : « Les Juifs discutaient entre eux ... » mais St Jean emploie un verbe de combat pour souligner la violence de la réaction populaire. L'enthousiasme avait fait place au rejet, à la colère.

Or sans vouloir se justifier par une explication émolliente (« C'est un symbole »), Jésus précisa son projet :

Amen, amen, je vous le dis : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la Vie en vous. Ma chair est la vraie nourriture, mon sang est la vraie boisson...

Et comment se termine le texte ? Il faut lire la suite :

Après l'avoir entendu, beaucoup de ses disciples dirent : Cette parole est dure ! Qui peut continuer à l'écouter ?

Jésus les interpelle :

C'est pour vous un scandale ? ...

Les paroles que je vous dis sont Esprit et Vie.

Et Jean de conclure l'épisode :

A partir de ce moment, beaucoup de ses disciples se retirèrent et cessèrent de faire route avec lui.

Jésus les regarde partir, sans rien faire pour les retenir - car il n'a que faire d'esclaves à sa botte. L'Eucharistie est pierre d'achoppement, scandale. Seuls demeurent les Douze, avec Pierre...et Judas.

Après ce survol général, il nous faut, en ce jour de fête, méditer l'enseignement que Jésus offre ici sur ce que nous appelons l'Eucharistie.

« Le Pain que je donnerai, c'est ma chair donnée pour que le monde vive » : Les hommes vont tuer Jésus. Mais en instituant l'Eucharistie, Jésus, la victime, prouve à ses disciples qu'il accepte cette mort pour eux. Il est plus qu'un martyr : sa mort ne se prolonge pas par le souvenir mais par le repas. Son enseignement, ses paroles, sa passion, son agonie et sa mort : toute sa personne est don, aliment à assimiler par ses disciples.

« ...Pain...vraie nourriture...vraie boisson... » : Jésus ne dit jamais « obligatoire » mais son vocabulaire entend bien dire que l'Eucharistie est indispensable. Peut-on continuer à vivre sans s'alimenter ?

« ...Celui qui mange ce pain A la Vie éternelle » : tout l'évangile de Jean souligne le présent, l'actualité du Royaume de Dieu. Par le Pain du Christ, le croyant entretient en lui la Vie divine reçue au baptême.

« ...Et je le ressusciterai au dernier jour » : mais l'Eucharistie reste aussi Promesse. Elle ensemence, dans notre corps mortel, un gage certain de la résurrection.

« ...Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en Moi et moi, je demeure en lui" (Remarquez l'ordre ) : Manger l'Eucharistie introduit dans le Christ. Celui-ci assume, dans son Corps qui est l'Eglise, tous les disciples qui croient. En retour, ceux-ci deviennent habités par la Présence réelle de celui qui donne sa chair pour eux.

« Comme le Père vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi » : accueillir l'Eucharistie, c'est recevoir une mission. On devient un « fils » envoyé dans le monde pour révéler le Père.

Saurons-nous célébrer notre Eucharistie dominicale avec une telle authenticité que beaucoup de ceux qui l'ont quittée par ignorance, y reviennent afin de chanter avec nous l'immense amour de celui qui a donné sa vie pour nous ?...