Nous célébrons aujourd'hui la fête du Saint Sacrement. D'où vient cette fête ? De la Belgique ! On la doit à sainte Julienne de Cornillon et à la bienheureuse Ève de Liège. Cette fête fut instituée en 1245 dans la basilique Saint-Martin à Liège puis en 1264, le pape Urbain IV, ancien archidiacre de Liège, l'institua pour l'Eglise universelle. Cette fête doit donc beaucoup aux belges mais aussi aux dominicains. Le frère Hugues de Saint Cher en a élaboré la théologie, Thomas d'Aquin en a composé la liturgie. C'est lui qui a rédigé ces hymnes que l'on utilise encore aujourd'hui, comme le Pange lingua, le Tantum ergo, le Lauda Sion Salvatorem que les foules chantent à gorge déployée, sans toujours comprendre ce dont il s'agit... A cette occasion permettez-moi d'attirer votre attention sur un verset dont j'ai fait ma devise : quantum potes, tantum aude : « Ose autant que tu le peux ! » Il s'agit d'oser autant que possible dans la louange de Dieu mais je pense que cela peut être élargi à tout un programme de vie !
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La fête du Saint-Sacrement est une dévotion à l'hostie consacrée qui s'est développée progressivement. Cela a commencé par le désir des fidèles pour la voir. Voir l'eucharistie, voir le pain consacré. A la fin du Moyen Age on se met à faire le geste de l'élévation. Il ne s'agit pas d'un geste d'offrande, il s'agit de montrer à l'assemblée, par dessus le prêtre qui lui tourne le dos, le calice et l'hostie juste après les paroles de la consécration.
Cette fête du Saint-Sacrement n'existe ni chez les orthodoxes ni chez les protestants. Elle fait partie d'une dévotion particulière à l'hostie consacrée qui a conduit à l'invention de l'ostensoir en forme de soleil, aux saluts au Saint-Sacrement, aux processions par les villes et, aujourd'hui, aux nuits d'adorations où les jeunes viennent se relayer pour prier.
Alors que Jésus nous dit explicitement « Prenez et mangez, prenez et buvez », ici, il ne s'agit pas de manger, c'est le regard qui est valorisé. Pourquoi ? Parce qu'il permet un autre type de rencontre. Une rencontre avec le Christ et une rencontre avec soi, en prenant son temps. L'exposition du Saint-Sacrement va dans les deux sens : le Christ s'expose à notre regard et à notre prière mais il invite aussi à nous exposer nous-même à son regard. Sûr de sa présence, je peux lui exposer mes pauvretés intérieures, mes infirmités spirituelles et physiques, lui présenter tous mes soucis.
La rencontre de Dieu est de l'ordre de l'absolu et, quelles qu'en soient les formes, c'est souvent le lieu de certains excès. Dans cette dévotion, l'excès sera une forme de magie. Déjà on n'osera plus toucher l'hostie. Même l'ostensoir, et l'on se couvrira les épaules et les mains d'un linge précieux. Ensuite, des petits groupes excités vont se promener dans les rues des grandes villes avec un ostensoir porté bien haut, comme si la « présence réelle » du Christ dans l'hostie pouvait sanctifier la ville automatiquement. Parfois, on inclinera solennellement l'ostensoir au-dessus des malades en espérant une guérison mais n'y a-t-il pas un sacrement des malades orienté à leur guérison ?
Rien de mal à tout cela bien entendu mais les excès sont souvent symétriques et se succèdent comme un mouvement de pendule. Les protestants n'ont fondamentalement rien contre la présence réelle de Jésus dans l'Eucharistie mais ils réagiront violemment aux excès de matérialisation. C'est ainsi que nous avons une chasse, à droite en entrant dans l'église saint Nicolas à Bruxelles, avec les reliques de 19 martyrs, dont Jean de Cologne, un dominicain, tués le 9 juillet 1572 par les calvinistes parce qu'ils défendaient leur foi dans l'eucharistie.
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Pour terminer je rappellerai donc l'essentiel : si l'on conserve le Saint-Sacrement dans une petite armoire, appelée « tabernacle », c'est d'abord pour pouvoir porter la communion aux malades et aux mourants. Nous pouvons prier devant avec respect, sans aucun doute, mais le vrai mystère de ce sacrement est encore plus beau, encore plus profond. Il ne s'agit pas seulement de nous rendre présents et de nous exposer en vis à vis, face à face dans une certaine distance et une certaine extériorité malgré tout, il s'agit radicalement d'être unis à Lui, de le recevoir, de le manger, pour devenir membres de son corps, devenir qui il est, de une communion fondamentale, une véritable unité. « Devenez ce que vous recevez, vous êtes le corps du Christ ! » Ce que Jésus nous propose va bien au-delà de ce que nous sommes capables d'espérer et même d'imaginer. Ce mystère va bien au-delà de tout ce que nous pouvons penser. Il ne s'agit pas seulement de voir, il s'agit d'être nous même transformés en Lui, de faire corps avec Lui.
Le Corps et le Sang du Seigneur
- Auteur: Van Aerde Michel
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2011-2012