Il y a une dizaine d'années est sortie cette pièce où entraient en dialogue Freud et un inconnu qui était Dieu. Permettez-moi en ce jour de Noël de vous livrer l'extrait suivant : Tu es tout-puissant, déclara Freud. Faux, répondit l'inconnu. Le moment où j'ai fait les hommes libres, j'ai perdu la toute-puissance et l'omniscience. J'aurais pu tout contrôler et tout connaître d'avance si j'avais simplement construit des automates. Alors pourquoi l'avoir fait ce monde ? demanda Freud. Pour la raison qui fait faire toutes les bêtises, répondit Dieu, pour la raison qui fait tout faire, sans quoi rien ne serait... par amour. Tu baisses les yeux, mon Freud, tu ne veux pas de ça, hein, toi, un Dieu qui aime ? Tu préfères un Dieu qui gronde, les sourcils vengeurs, le front plissé, la foudre entre les mains ? Vous préférez tous ça, les hommes, un Père terrible, au lieu d'un Père qui aime... Et pourquoi vous aurais-je fait si ce n'était par amour ? Mais vous n'en voulez pas, de la tendresse de Dieu, vous ne voulez pas d'un Dieu qui pleure... qui souffre... Oh, oui, tu voudrais un Dieu devant qui on se prosterne mais pas un Dieu qui s'agenouille. (E.-E. Schmitt, Le Visiteur, Actes-Sud, 1994, p. 53-54). Si parfois, dans nos vies, lorsque nous sommes confrontés à l'expérience de la souffrance, de la maladie et de l'injustice, nous souhaitons retrouver un Dieu tout-puissant qui puisse agir et changer en un coup de baguette magique le cours des événements, Noël est là pour nous rappeler qu'il en va tout autrement. Par l'événement de l'Incarnation, Dieu a choisi de s'agenouiller auprès de son humanité. Il n'attend pas que nous le vénérions, que nous l'adulions. Non, il semble souhaiter pouvoir venir s'agenouiller auprès de nous pour nous prendre par la main. Il vient auprès de nous. Il est avec nous. Mieux encore, il est en nous. Dieu s'est fait homme, non seulement pour que l'homme devienne Dieu, écrivit déjà au deuxième siècle saint Irénée mais aussi pour que le Père puisse se mettre à notre niveau. Il se veut un Dieu proche de son humanité. Je me risquerais même à dire, que malgré nos travers, Dieu aime profondément sa Création et ce, de toute éternité. Il savait qu'un jour il s'incarnerait, qu'il deviendrait un des nôtres. Et comme le souligne depuis des siècles la théologie, Dieu n'avait pas besoin du péché de l'homme pour s'incarner. Il devait s'incarner pour embrasser notre humanité afin de montrer le chemin qui conduit à la vie et de nous permettre de prendre un part active dans l'½uvre de sa résurrection. Ainsi, par la venue de Fils de l'Homme, nous participons mieux encore à son ½uvre créatrice. Toutes et tous, malgré nos fragilités, nos faiblesses ou notre maladie, nous continuons à être des co-créateurs de notre humanité. Chacune et chacun a sa manière. Il ne faut pas être valide pour répondre à un tel appel. En effet, tant de gens blessés par la vie ont été des étoiles d'espérance au c½ur de notre humanité. Et c'est donc dans un monde comme le nôtre, habité par des personnes comme nous, que, tout simplement Dieu s'invite à partager quelques années de notre condition humaine. Il vient s'agenouiller auprès de nous. Il vient poser sa main divine sur nos propres mains et il nous invite à nous émerveiller de tout ce que nous avons pu vivre depuis l'instant de notre conception. Il nous convie à nous réjouir de tous ces gestes de tendresse, ces moments d'amitié vécus dans la vérité de la rencontre, ces années d'amour offert l'un à l'autre, ces paroles de douceur échangées. En ce jour de Noël, il nous propose de les cueillir pour oser se les offrir à nous-mêmes. Dieu vient à nous. Dieu est en nous. Agenouillé auprès de nous, nous tenant fermement la main, il nous prie alors le c½ur rempli de la beauté de notre humanité de nous laisser guider par notre étoile intérieure, don de l'Esprit Saint, pour nous amener là où la vie nous conduit mais en toute confiance cette fois car nous sommes convaincus que ce Dieu qui s'est agenouillé auprès de nous, nous tient la main sur la route à parcourir pour que nous puissions nous aussi, pris dans notre réalité humaine, laisser éclore en nous toute cette part divine qui est présente afin que la lumière de Noël éclaire la beauté intérieure de chacune et chacun d'entre nous. Par l'événement de Noël, Dieu est avec nous, Dieu est en nous. Il vit agenouillé au plus profond de nous. S'il en est vraiment ainsi, alors heureux sommes-nous de pouvoir nous dire les uns aux autres : Joyeux Noël.
Amen