Noël

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012

ADMIRER LA CRÈCHE OU EN ÊTRE UN PERSONNAGE ?

CELEBRATIONS : Il est conseillé de lire à la suite les évangiles des « messes de la nuit et de l'aurore »
qui constituent un tout et permettent d'entendre  la note capitale sur l'attitude de Marie.

Il y avait environ 40 ans que Jésus avait été crucifié à Jérusalem lorsqu'un disciple, appelé Marc, collecta quelques souvenirs à son sujet et les présenta non comme une biographie mais comme un « EVANGILE » (Une première dans l'histoire de l'humanité !). Il commença son texte par le récit du baptême car pour lui ce qui s'était passé auparavant dans la vie de Jésus n'avait pas d'importance. Seul comptait le déploiement de sa mission jusqu'à la croix et l'annonce que Jésus était ressuscité.
Dans les nombreuses communautés chrétiennes de l'époque, des questions se posaient, des débats éclataient : au fond Jésus n'était-il qu'un homme qui, lors de son baptême, avait reçu une illumination ? N'était-ce pas à ce moment inaugural que le charpentier de Nazareth avait bénéficié du don de l'Esprit-Saint qui avait fait de lui un « fils de Dieu » ? C'est pour réfuter cette opinion, pour préciser davantage l'identité réelle de Jésus et étoffer ses enseignements que, dans les années 80, deux nouveaux Evangiles parurent : sous les patronages de Matthieu et Luc et s'inspirant du texte de Marc, ils remontèrent jusqu'à la naissance du personnage et même à sa conception. En affirmant la conception virginale en Marie, les auteurs ne voulaient ni dénigrer la valeur du mariage ni raconter un prodige mais enseigner que le Messie Sauveur du monde ne pouvait absolument pas  être l'½uvre de l'homme. En précisant que l'être-Jésus était fruit de l'Esprit -c.à.d. de la Force divine- présent dans le sein d'une femme, ils voulaient affirmer son identité originelle de Fils de Dieu prenant naissance au c½ur de la chair. Quelques années plus tard, Jean donnera la formule de l'incarnation : « Et le Verbe s'est fait chair ».
Voilà pourquoi NOËL n'est pas une fête folklorique et sentimentale ni le charmant tableau d'une jeune mère avec son nouveau-né ni une légende brodée par la 2ème génération chrétienne ni une élaboration théologique.
« Faire une crèche », c'est bien : encore faut-il comprendre « le signe ». Que nous enseigne saint Luc à travers son célèbre récit ?

Que Jésus soit né à Bethléem, le village de David, veut dire qu'il est bien le Messie que les Ecritures annonçaient comme héritier de la dynastie. Depuis des siècles, cette lignée royale ne disposait plus d'aucun pouvoir : aussi Jésus, le lointain descendant, est-il un roi pauvre, démuni, ignoré, sans puissance. Son Royaume ne s'appuiera plus sur les armées, le prestige ou le faste mais sur l'amour. Le petit prince est sur la paille. Il ne donne aucun ordre : il mendie notre amour. Renversement total de l'idée de pouvoir.

Que Jésus soit né au hasard d'un voyage, suite à un édit de recensement organisé par le pouvoir romain, signifie qu'il est bien un homme inscrit sur les listes de la population, un être humain apparu à tel moment de l'histoire et non un mythe. Juif soumis au pouvoir politique, il n'a rien d'un Messie nationaliste pour tramer un soulèvement contre l'oppression romaine. Plus tard il accueillera un officier de l'armée romaine, il ne maudira pas le préfet Pilate qui le juge et le condamne. Avec ses parents, Jésus subit les aléas des circonstances, il est bousculé, entraîné là où il ne voulait pas. Son Royaume s'établira selon les refus et les décisions des hommes de son temps. Autrement dit, la volonté de Dieu se réalise à travers les ordonnances des hommes. Là où César manipule les foules, la grâce de Dieu apparaît en silence. Là où le hasard bouscule, un projet se réalise. Nous maudissons des circonstances qui, plus tard, s'avèrent providentielles.

Que l'enfant naisse en pleine nuit nous suggère qu'il est bien la Lumière scintillant -oh si peu !-dans les ténèbres mais qui rayonnera de sa clarté jusqu'aux limites du monde, éclairant les âmes de sa vérité. Les ténèbres du péché ne seront jamais assez épaisses que pour empêcher la venue du pardon et de la joie.

Que des bergers soient les premiers à venir le reconnaître n'est pas une image bucolique. Ces jeunes sont des hommes éveillés, sur le qui-vive, protégeant les troupeaux des attaques des prédateurs ; ils sont catalogués par les bien-pensants comme chapardeurs, illettrés, minables,  infidèles à la Loi. Plus tard ne sont-ce pas des pauvres, des publicains, des prostituées, des hors-la-loi qui se presseront pour venir écouter Jésus et se convertir ? « Veillez » sera l'ultime consigne de Jésus : rien n'est plus essentiel à écouter dans une société qui nous anesthésie !

Des Anges innombrables louent Dieu en chantant : «  Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes qu'il aime ». Dieu s'humanise, l'abîme entre ciel et terre, entre Dieu et nous, est comblé. Si, par la science, l'homme peut aller marcher sur la lune (où sa condition reste inchangée), par la foi il peut accueillir Dieu qui vient marcher sur la terre  et sa condition change du tout au tout ! Jésus est signe vivant de l'amour de Dieu. Donc sa présence unit. Quand la Gloire de Dieu est reconnue et chantée, la vraie paix peut s'établir entre les hommes. Crier « Paix sur terre » sans louer la Gloire divine : tentation permanente des peuples,  toujours vouée à l'échec, aux carnages, aux ruines.

« Marie cependant retenait tous ces événements et les méditait dans son c½ur ». Lors de l'Annonciation, un garçon lui était promis qui serait roi au trône éternel....et là voilà, pauvre mère jetée dans une détresse qu'elle ne pouvait prévoir. Mais pas plus que naguère, elle n'exige des éclaircissements, des garanties, des explications. Tout doit avoir sens, même ce qui paraît inexplicable et scandaleux. L'exil, la nuit, la mise à l'écart, la crèche, la paille, les bergers... : il faut retenir les moindres détails, méditer sur les circonstances, les rassembler, les éclairer par les Ecritures antiques. A l'Annonciation « elle était bouleversée ... elle se demandait ce que pouvait signifier » ce message qu'elle percevait par bribes (4ème dimanche de l'Avent). Ici à nouveau Marie est vraiment « intel-ligente » (non au sens scolaire) : elle nous apprend à « lire-dedans », à entrer dans  la profondeur du vécu.

C'est pourquoi lorsque saint Luc et sa communauté divulguent leur Evangile après avoir, comme Marie, « retenu et médité », ils ne précisent ni le jour ni l'année de l'événement, ce qui le renverrait dans l'histoire ancienne. Ils ne conseillent à leurs lecteurs ni d'installer une crèche avec des santons ni de partir en pèlerinage à Bethléem. Ils racontent ce qui nous est encore lu aujourd'hui. Et les premiers chrétiens, toisés de haut par les malins, suspects au pouvoir, dépouillés de leurs biens, quittent leurs maisons dans la nuit et se hâtent vers l'Eglise qui, pour eux, n'est pas un édifice mais une communauté. Ils tendent la main, ouverte comme une crèche, pour recevoir un pauvre morceau de Pain et, pleins d'allégresse, ils chantent:
« Gloria ! Gloria ! ...Gloire à Dieu qui nous aime et paix entre nous ».

Ce qui est arrivé arrive encore. Une paroisse est un « Beth-léhem » - en hébreu la MAISON DU PAIN -  toujours ouverte pour accueillir ceux et celles qui veillent dans la nuit et qui, méditant dans leur c½ur la vie de Jésus et leur propre histoire, comprennent, comme Marie, le Mystère dans lequel ils sont investis.