Quand on songe à la fête de la Sainte Famille, on ne peut s'empêcher de revoir ces images doucereuses des années30. On y voit un homme barbu qui travaille à son établi, une dame voilée qui tisse un vêtement et un enfant qui joue sagement aux pieds de sa maman. Tout cela est bien doux et paisible, un peu éc½urant comme des gâteaux gorgés de crème fraîche. Et pourtant l'Evangile d'aujourd'hui nous montre une image toute différente de la Sainte Famille. C'est la panique. Ce sont des scènes de panique qui nous sont présentées. C'est dans la hâte que Joseph emporte sa femme et son enfant. C'est une course contre la mort. C'est une course contre la montre. Et c'est là peut-être une première leçon à tirer de cette célébration. Non, la Sainte Famille n'est pas un havre de paix et de protection, c'est un lieu de combat contre le mal, c'est un lieu de déchirement. Joseph emporte sa femme et son enfant, et se réfugie à l'étranger. Il partage le sort de tant d'hommes et de femmes que nous voyons ces jours-ci, que nous avons vus ces dernières semaines, ces dernières années fuir la guerre, fuir la mort. Et combien ne partent-ils pas à la recherche d'une vie meilleure pour sombrer dans le racket et l'exploitation ? La vie d'un homme est faite de déchirements. La vie ne commence-t-elle pas par un premier déchirement. Le f½tus quitte le ventre de sa mère pour affronter le monde extérieur. Le jeune homme et la jeune fille quittent leurs parents pour fonder un nouveau foyer. L'homme et la femme quittent l'école pour affronter le monde du travail. Et un jour nous quitterons ce monde-ci pour aller à la rencontre de la vie éternelle. Oui, la vie est faite de déchirements et la question qui se pose aujourd'hui est de savoir si nous ne sommes pas trop attachés à certaines choses qui sont certes utiles, mais qui nous retiennent et nous empêchent de vivre et d'entreprendre. Car la Bible le montre : tous ces déchirements ont été fondateurs de vie nouvelle. Abraham a quitté sa ville natale d'Our en Chaldée pour fonder un peuple nouveau en Palestine. Joseph a été vendu comme esclave à des Egyptiens et a pu ainsi sauver son peuple de la famille qui l'accablait. Les apôtres ont quitté leur village et leur métier pour annoncer la Bonne Nouvelle au monde entier. Oui, il y a des déchirements qui sont fondateurs de vie, d'une vie nouvelle.
Et c'est alors qu'apparaît le personnage central de cet Evangile : ce n'est pas Marie, ce n'est pas Jésus. C'est Joseph. Oui, Joseph, celui dont on se moque toujours un peu par ce qu'il n'a pas l'air d'être un vrai homme. Et pourtant c'est un homme de décision : il se lève, il emporte sa femme et son enfant sur le champ. Il n'y a chez lui aucun signe d'hésitation. Et pourtant il part pour un pays étranger, l'Egypte, et il ne revient pas chez lui puisqu'il s'installe en Galilée. Et c'est là sans doute un autre enseignement de cette célébration. Les grands personnages de la Bible ne se sont pas laissé abattre. Ils ont toujours transformés une situation dramatique en un événement de salut. Abraham était menacé en Palestine, Dieu l'a aidé. Le peuple hébreu était réduit en esclavage, Dieu l'a arraché à son triste sort. La fête de la Sainte Famille ne nous invite pas à espérer mener une petite vie bien tranquille. Elle nous invite à transformer les circonstances difficiles en événements de salut. Et cela, tous nous pouvons le faire, même Joseph qui n'a pourtant la réputation d'être un homme bien viril.
Mais Joseph nous ouvre à une nouvelle perspective. Il a réagi à la suite d'une vision. Et s'il a pu recevoir une vision, c'est qu'il était tout entier ouvert à la Parole de Dieu et aux projets de Dieu. Et c'est là sans doute une nouvelle question que nous pose cette célébration : quelle place laissons-nous à l'inattendu de Dieu ? Tout est-il bien définitif dans notre vie, alors que nous savons que les circonstances peuvent évoluer et que nous aussi nous pouvons changer ? Ne courons-nous pas le risque de nous accrocher à ce que nous avons au point de passer à côté de ce que Dieu peut nous offrir ?
La fête de la Sainte Famille est décidément bien surprenante : elle nous rappelle que notre vie est faite de déchirements, de décisions fortes et importantes à prendre, ainsi que d'une ouverture aux interventions divines. Puisse cette nouvelle année 2014 être placée sous le signe de l'aventure, l'aventure de la vie animée par Dieu.
Sainte Famille, année A
- Auteur: Henne Philippe
- Temps liturgique: Temps de Noël
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014