Veillée pascale

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 2004-2005

Pour comprendre ce que nous vivons en cette nuit pascale, permettez-moi de vous lire l'extrait suivant : « je t'ai placé au milieu du monde afin que tu puisses plus facilement promener tes regards autour de toi et mieux voir ce qu'il renferme. En faisant de toi un être qui n'est [...] ni mortel ni immortel, j'ai voulu te donner le pouvoir de te former et de te vaincre toi-même ; tu peux descendre jusqu'au niveau de la bête et tu peux t'élever jusqu'à devenir un être divin. En venant au monde, les animaux ont reçu tout ce qu'il leur faut, et les esprits d'un ordre supérieur sont dès le principe, ou du moins bientôt après leur formation, ce qu'ils doivent être et rester dans l'éternité. Toi seul tu peux grandir et te développer comme tu le veux, tu as en toi les germes de la vie sous toutes ses formes ». Passage d'une étonnante actualité alors qu'il a été écrit au quinzième siècle par Pic de la Mirandole, l'auteur d'un des plus grands textes sur la dignité de l'homme.

D'après ce penseur, nous, les êtres humains, ne serions ni mortels, ni immortels mais des êtres capables de nous élever jusqu'à devenir un être divin appelé à rester dans l'éternité. A première vue, cette phrase peut paraître étonnante et pourtant, elle dévoile quelque chose du mystère de la résurrection que nous célébrons ce soir.

Tout d'abord, prétend Pic de la Mirandole, nous ne sommes pas mortels. Il me semblerait plus adéquat d'affirmer que nous ne sommes plus mortels. Par la résurrection du Fils de Dieu, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la mort de la mort. Une mort qui n'a plus de prise sur l'être humain. Il est vrai que nous en ferons toutes et tous l'expérience puisque, comme le disent les juristes et ils ne s'engagent pas beaucoup avec une telle affirmation : la mort est un événement futur et certain. Toutefois, dans la foi, la mort n'est plus un état mais une traversée de la vie terrestre à la vie céleste. Un peu comme si par la mort, nous entrions dans le temps de l'éternité. Nous ne sommes donc plus des êtres mortels. Et encore moins immortels.

En effet, toutes les traditions philosophiques ou religieuses qui affirment l'immortalité voient celle-ci comme étant automatique, une sorte de retour continu à une situation originelle. Dans cette perspective, nous serions des êtres déterminés à l'immortalité qui n'est qu'une simple prolongation de notre existence. Dans la mort, je retourne à un état antérieur. Ce qui signifie que la mort ne serait que la continuation infinie d'une situation déjà connue puisque l'immortalité est toujours tournée vers un passé qu'il s'agit de conserver et d'améliorer. En comprenant l'immortalité de cette manière, elle me paraît profondément ennuyeuse et je crains qu'elle risque de durer vraiment très très très très longtemps. Revivre constamment le déjà vu, le déjà vécu. Quelle horreur.

La mort ayant été vaincue par le Fils, nous ne sommes plus mortels. Créés créateurs par le Père, nous participons à la création de l'humanité entière par le don de la liberté reçue. Nous sommes des créateurs et non pas de simples recopieurs immortels. Mais des créateurs capables de nous élever jusqu'à devenir un être divin appelé à rester dans l'éternité.

L'éternité est par définition l'opposé de l'immortalité. En effet, l'éternité est offerte à chacune et chacun de nous en une proposition que nous avons la liberté d'accepter ou de refuser. Elle est d'abord et avant tout un don. De plus, par le don de la résurrection, l'éternité nous conduit dans une situation nouvelle, celle du partage de la vie de l'Eternel. L'éternité est donc bien un projet, la proposition d'une destinée offerte à notre liberté par les choix que nous posons. De la sorte, l'éternité est toute tournée vers un avenir, vers un inconnu, vers une véritable nouveauté vécue en Dieu. L'éternité sauve notre avenir. C'est pour toutes ces raisons que l'éternité promise est plus qu'un au-delà de la vie, qu'un au-delà de la mort. Par sa mort et sa résurrection, le Christ vient nous dire que la foi en la vie éternelle signifie de prendre la vie au sérieux et de la vivre jusqu'au bout et ce, malgré les blessures intérieures qui marquent nos existences de cette empreinte à jamais gravée en nous. Notre vie n'est pas une roue qui tourne sans fin mais une flèche qui maintient une espérance.

Ni mortels, ni immortels mais éternels et l'éternité commence dès maintenant car en Dieu, la vie est si vivante que c'est la mort qui est mortelle et la vie éternelle aura toujours le dernier mot. S'il en est vraiment ainsi, alors il ne me reste qu'à nous souhaiter une belle et heureuse fête de Pâques. Amen