C’est de l’humour ou de l’ironie. En tout cas, cela ne fait pas rire. Saint Luc, au début de son évangile, énumère tous les personnages importants de cette époque : un empereur, un gouverneur et le roi Hérode. Il y ajoute encore les grands prêtres du moment, Anne et Caïphe. Et, après cela, après toute cette liste de gens respectables et bien connus, il arrête brutalement les tambours et les trompettes, et il dit que la parole de Dieu fut adressée à quelqu’un dans le désert. Le contraste est saisissant : de la cour royale au champ de sable, du Temple de Jérusalem aux cailloux brûlés par le soleil.
Mais Luc aime bien souligner ce genre de contraste. Il racontera plus tard la Nativité de notre Seigneur. Et alors il signalera comment les bergers ont appris cette grande nouvelle. Ces pasteurs étaient tout seuls, dehors, sur une petite colline, dans la nuit et dans le froid. Et voilà que des anges viennent leur dire qu’un sauveur est arrivé. C’est lui qui va arracher le peuple juif de l’occupation romaine et qui va rétablir le royaume d’Israël. Et quel est ce sauveur ? Un nouveau-né, un bébé qui n’est même pas né dans un château ou une belle maison, mais qui est couché dans une étable, au milieu de courants d’air, dans le froid de l’hiver et dans les risques de neige. Un rhume, une grippe, et hop ! Il meurt aussitôt. Le voilà le grand sauveur de l’humanité : un bébé
Et c’est cela que l’Evangile et toute la Bible aiment bien montrer : ce n’est pas à des riches qui ont tout ce qu’il faut que Jésus est venu apporter sa vie. C’est à des gens qui ont tout perdu et qui n’ont plus rien qu’il s’adresse tout d’abord. Cela commençait déjà comme ça dans l’Ancien Testament. C’est à Joseph vendu par ses frères que le Seigneur a donné le don de lire les songes et de devenir grâce à cela le grand ministre de Pharaon (Genèse 37 – 41). C’est à David, le petit garçon qu’on avait oublié dans les prés alors que Samuel venait chercher le futur roi, c’est lui, le petit dernier, le moins que rien, que le Seigneur avait choisi et qui deviendra le premier grand roi d’Israël (1 Samuel 16). Jésus fit de même pendant toute sa vie terrestre. Il y avait alors beaucoup de gens pieux, mais c’était des pharisiens. Il y avait aussi des gens savants, mais c’était des scribes. Il s n’avaient pas besoin de Dieu. Jésus est allé chercher des gens que personne n’écoutait, parce qu’ils faisaient un métier bête et stupide : chercher du poisson pendant la nuit dans le lac de Galilée.
Ce sont ces gens-là que Jésus est venu chercher : des gens qui crient de désespoir dans le désert de leur vie, des gens qui tous les jours travaillent sans que jamais personne ne les regarde ou ne leur dise simplement merci. Ce sont des mendiants d’amour et de reconnaissance. C’est ce que nous, les dominicains, nous demandons le premier jour que nous sommes au couvent. Le supérieur nous demande alors : « que cherchez-vous ? » et nous répondons : « la miséricorde (c’est-à-dire l’amour) de Dieu et la vôtre ». Nous nous reconnaissons mendiants non seulement le premier jour, mais aussi tous les jours de notre vie au couvent. Et c’est là sans doute la grande révolution qui nous est demandée pendant cette période de l’Avent : reconnaître que nous avons besoin, infiniment besoin de Dieu. cCe sera peut-être la meilleure façon de recevoir Jésus, non pas dans une grand maison encombrée de mille bibelots, mais dans un cœur dépouillé de toutes fioritures.
Le bonheur n’est pas dans le palais, ni dans le pré. Il est dans le désert, parce que là il y a de la place, beaucoup de place pour Dieu, et pour son amour.