La Sainte Trinité

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 12/06/22
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2021-2022

J’ai toujours l’impression que, dans une homélie sur la Sainte Trinité, on attend le théologien, a fortiori le mathématicien, au tournant. Quel que soit le regard que l’on pose sur le Dieu trinitaire du christianisme, il semble que l’on doive toujours buter sur une explication qui se résume à 3 = 1.

Trois personnes divines, un seul Dieu. Le Père, le Fils, le Saint-Esprit, trois individualités distinctes, pourtant le même et unique Dieu. Me voici donc, théologien et mathématicien, au pied du mur.

Ce n’est certainement pas aujourd’hui qu’on va épuiser le mystère, car la Trinité reste de l’ordre du mystère et un mystère expliqué n’en est plus un. Ni le théologien, ni le mathématicien n’en viendront à bout ; tout au plus va-t-on pouvoir expliquer pourquoi un Dieu qui investit la rencontre avec l’humain jusqu’à pleinement s’incarner apparaîtra toujours mystérieux.

Le mystère est d’autant plus épais que les trois personnes de la Trinité ne sont en rien des modes d’apparition de Dieu, qui viendrait au monde tantôt sous forme de Père, tantôt de Fils, tantôt d’Esprit. Non ! Père, Fils et Saint-Esprit sont exactement le même Dieu, justement que rien ne distingue.

C’est difficile à comprendre la Trinité et c’est précisément son rejet qui donnera, au sixième siècle, l’hérésie nestorienne qui s’est répandue vers l’Orient, qui deviendra ensuite l’Islam. Vous savez peut-être que le Coran, bien qu’il parle essentiellement de Jésus et de Marie, rejette la divinité du Christ – qu’il ne voit plus que comme le plus grand de tous les prophètes – et accuse les Chrétiens d’être des « associateurs » des gens qui associent scandaleusement la divinité à l’humanité. Au fond, l’Islam, c’est avant tout un rejet de la Trinité. J’ai tendance à penser : par incompréhension. Et on peut le comprendre : c’est toujours quelque part incompréhensible la Trinité !

Surtout l’idée que la personne humaine puisse, d’une quelconque façon, être parfaitement divine. Comment le comprendre ? Comment puis-je comprendre, moi qui vit en permanence dans la pesanteur de l’humanité – comme l’aurait dit la philosophe Simone Weil – comment moi qui m’affronte quotidiennement à mes limites voire à ma médiocrité ; comment « ne faisant pas le bien que je voudrais ; faisant au contraire le mal que je ne veux pas » – comme dirait Paul [Rm 7, 9] –  comment imaginer que l’humain puisse être divin ?

 

Regardez cette humanité, avec tous ses conflits, sa violence, ses guerres ! Il est déjà difficile de la voir pleinement humaine ; de comprendre l’Amour inouï que Dieu lui porte. Alors de là à l’imaginer elle-même pleinement divine : c’est incompréhensible ! Ma propre divinisation est incompréhensible ! Franchement, qu’avons-nous de divin, à part l’amour que Dieu nous porte ?

 

 

Si le théologien conclut rapidement au mystère, le mathématicien, lui, peut creuser l’explication. Connaissez-vous les états superposés ? C’est une notion de physique quantique … Je vous rassure tout-de-suite : je ne vais pas vous donner ici un cours de science des particules.

 

En physique, des états superposés c’est quand un grain de matière se trouve en plusieurs endroits, en même temps – à la fois, ici et là – mais, dès qu’on cherche à l’observer, on ne le trouve qu’à un seul endroit – ici ou là. Un seul grain de lumière peut passer par deux trous en même temps, mais si vous regardez à l’endroit d’un trou, vous verrez qu’il passe toujours par l’un ou l’autre. Si je ne regarde pas, le grain de lumière passe mystérieusement par les deux trous, mais chaque fois que je cherche à l’observer, il passe par un seul trou. Et la physique quantique me dit, c’est comme ça ! Certes, c’est bizarre, c’est même contre-intuitif, mais c’est comme ça. C’est un dogme.

 

Et bien le Christ c’est la même chose, c’est un état superposé de divinité et d’humanité – à la fois Dieu et homme alors que, dans notre esprit, selon nos observations, les deux ne coïncident pas exactement : il est le seul a réaliser cet alliage mystérieux. Comme la physique quantique, la théologie nous dit : c’est comme ça : le Christ est pleinement homme et pleinement Dieu. Certes, c’est bizarre, contre-intuitif même, mais c’est comme ça. C’est un dogme.

Car, à bien y réfléchir, quand nous cherchons à scruter le Christ, nous le voyons de temps en temps Dieu – quand nous pensons à notre Salut, quand nous le prions, quand nous lui rendons un culte – et, de temps en temps, nous le voyons homme – quand nous méditons les récits de sa vie ou quand nous le voyons à travers la charité fraternelle. Mais parvenons-nous à le voir à la fois homme et Dieu ?

Parce que le danger est là : plus assez humain, et le Christ devient quelqu’un d’inatteignable, trop haut perché dans le ciel pour que nous puissions le rejoindre ; plus assez divin, et le Christ n’a plus aucun pouvoir surnaturel et ne peut donc plus nous sauver de la mort.

Un réel déséquilibre entre humanité et divinité dans la considération du Christ est un vrai danger : si le Christ dans notre regard est trop divin et pas assez humain alors notre spiritualité évoluera vers la bigoterie, la ritualité voire la magie avec leurs corollaires : le rigorisme et la soumission. Si, au contraire, notre regard sur le Christ est trop humain et pas assez divin, alors l’Église n’est plus à nos yeux qu’une ONG, une organisation sociale parmi tant d’autres. Ceux qui ont ce regard sur le Christ vont voir leur prière se déliter au profit d’un activisme social, finalement sans présence réelle de Dieu dans leur vie.

L’amour divin, l’amour de la Trinité est un état superposé : à la fois Dieu nous aime comme nous nous aimons et, à la fois, il nous aime d’un amour surnaturel, qui nous dépasse, proprement inimaginable, mais auquel, au plus profond de nous-même, nous croyons.