L’histoire de Marthe et Marie, l’histoire de la râleuse au grand cœur et de l’écoutante silencieuse, nous est bien familière et très souvent, voire trop souvent, on a fait de ces deux femmes les modèles de deux vocations qui se contredisent ou se complètent : la vie active et la vie contemplative. La vie apostolique et la vie de prière. Le dévouement bruyant et l’oraison silencieuse. Mais est-ce cela que le texte veut vraiment dire ? Sommes-nous toutes et tous appelés par cette histoire à devenir l’un et l’autre ? Ces deux attitudes sont-elles les deux facettes d’une même pièce ?
Nous avons à prendre au sérieux les paroles de Jésus lorsqu’il affirme que la seule chose qui est nécessaire et qui constitue la meilleure part est de prendre le temps de s’asseoir et de l’écouter. Car, souligne notre frère Raphaël Devillers, s'il faut entretenir les besoins du corps et reprendre « des moyens de vivre », il est bien plus essentiel de trouver des « raisons de vivre ». C’est ce que Marie semble avoir compris. Pour elle, lorsque le Seigneur passe chez elle, il n’y a plus qu’une seule chose qui importe, c’est de se mettre à son écoute, de prendre le temps - beaucoup de temps- pour « se nourrir » de sa Parole qui donne la Vie. A lire le texte de plus près, il me semble que Jésus opère par son attitude une véritable libération du type de rôle attribué aux femmes de son temps. En effet, dans l’épisode que nous venons d’entendre Marthe s’affaire aux tâches domestiques avec vraisemblablement beaucoup de compétences. Elle prend soin de sa maison jusqu’à en être totalement absorbée. N’est-ce pas encore aujourd’hui la situation de tant de femmes dans notre société : veiller à penser à tout ce qui est nécessaire au bien-être de leur famille et de leur maisonnée. Certaines, dans un élan de générosité, veillent à penser à tout, dans les moindres détails, avec parfois ce sentiment que le souci du quotidien absorbe leur être propre. Un peu comme si elles étaient perdues dans leur rôle de femme maîtresse de maison. C’est à elles que le Christ s’adresse aujourd’hui encore et par conséquence, à nous les hommes également. Il appelle chacune d’elle par le redoublement de leur prénom : Marthe, Marthe. De cette manière, il souligne cette familiarité qu’il souhaite créer avec chacune d’entre elles afin de les aider à les ramener à elles-mêmes et à prendre conscience que la femme n’a pas comme vocation première à être au service de sa progéniture et de son époux. Elle a d’abord et avant tout sa place comme femme à part entière conviant son mari à prendre également sa place comme il se doit, c’est-à-dire dans un rapport d’égalité puisque dès l’instant de la Création, le Père les fit homme et femme. Toutes et tous nous avons à partager l’ensemble des tâches qui permettent la bonne atmosphère de nos maisons et de nos communautés. Ne nous enfermons pas alors dans des rôles préétablis comme s’ils étaient assignés par notre genre. Trouvons notre juste place, c’est-à-dire la place qui est ajustée à la volonté de Dieu. Et, avec le récit de Marthe et Marie, Dieu nous invite à être chacune et chacun des maîtres et maîtresses de maison conscients qu’une seule chose compte : s’asseoir et écouter. S’asseoir et écouter, c’est choisir la meilleure part, une part qui ne pourra pas nous être enlevée. Mais quelle est-elle donc cette part ? S’asseoir et écouter, telle est la part du disciple du Christ. Dans le monde juif, le disciple étudiait aux pieds de son maître. Il y étudiait la Torah et cette étude était exclusivement réservée aux hommes. En agissant comme il l’a fait, le Fils de Dieu vient annoncer avec force que la condition de disciple n’est plus uniquement réservée aux hommes et que toutes les femmes sont également invitées à devenir son disciple en se mettant à son écoute. Voilà en quoi ce texte est profondément révolutionnaire. Il n’enferme pas la femme dans une condition féminine au service de la maison mais il la libère en déclarant qu’elle a choisi la meilleure part et que celle-ci ne lui sera pas enlevée. N’est-il pas temps que notre Église lise de cette manière ce récit de Marthe et Marie pour qu’enfin, chacune et chacun soit à sa juste place, une place ajustée à la volonté divine, une place où tout un chacun est disciple du Christ. Rien n’est plus simple : il suffit de s’asseoir et d’écouter.
Amen