En lisant ce texte, je ne peux m’empêcher de vous raconter une expérience vécue en Ethiopie il y a quelques années.
J’assistait par hasard à une procession à l’occasion de la fête patronale de saint Georges dans un village que je traversais. Il y avait beaucoup de monde et un cortège précédé par des cérémoniaires richement habillés, des musiciens, des danseurs. Le tout dans une ambiance ritualisée très festive et joyeuse. J’étais dans la foule suivante lorsque, au détour du chemin, le cortège passe au pied d’en grand arbre aux grosses branches basses horizontales. Il y avait du monde dans l’arbre, des enfants et des jeunes adultes. J’ai appris que ce sycomore était un peu le lieu de référence local. Ses branches étaient usées par les jeux d’enfants. Et presque instinctivement, je me suis mis à y chercher Zachée.
Ce petit bonhomme plein de contradictions, enrichi et puissant mais trop petit pour voir quelque chose dans une foule compacte. Craint comme collecteur d’impôts pour l’occupant romain, mais mal vu et traité de pêcheur et donc infréquentable dans la ville de Jericho.
Alors survint une rencontre étonnante. Zachée, élevé sur son arbre, baisse les yeux pour repérer Jésus dans la foule alors que Jésus lève les yeux pour repérer Zachée dans son arbre ! Deux regards se croisent et se rencontrent.
Tous les évangiles sont des expériences de rencontres. Rappelez-vous cette histoire du « fils prodigue » qui a dépensé et gaspillé tout son héritage et revient penaud à la maison avec la crainte d’être très mal reçu. Il rencontre son père qui court à sa rencontre l’embrasse et organise pour lui une grande fête.
Et nous revoila avec Zachée dans son arbre. Imaginez le cocasse de la scène dans l’arbre et à son pied ! Jésus ne s’adresse pas à tous ceux qui sont dans l’arbre pour leur demander à la cantonade s’il n’y a pas quelqu’un qui aurait une chambre disponible pour la nuit. Non, Jésus s’adresse à Zachée ! Il n’y a qu’un seul homme au monde collecteur d’impôts, de petite taille, habitant Jericho, qui s’appelle Zachée. Jésus lui parle en direct.
Il affirme avec autorité : « aujourd’hui, descend vite de cet arbre, je viens chez toi » ! Jésus ne pose pas de question. Il n’accorde pas de temps de réflexion. Il ne demande pas de réponse. Cette demande autoritaire rappelle l’appel des premiers disciples. Il n’y a pas de bonjour, de comment t’appelles-tu, est-ce que tu n’as pas envie de venir avec moi pour tenter une expérience que je t’expliquerai en cours de route ? Etc. … Pas de question ! Une affirmation sans alternative, au futur disciple : « Suis-moi » et à Zachée : « Maintenant je viens chez toi »
Zachée n’a pas eu le temps de réagir, de demander du temps pour mettre un peu d’ordre et faire de la place, pour prévenir sa femme, etc. …. Non, Zachée entend au-delà de ses oreilles, au fond du cœur, quelqu’un qui le connait déjà et lui parle autrement, qui l’appelle par son prénom et peut croire que chez lui ou en lui il y a aussi une place toujours disponible pour accueillir. Tu me cherches dans la foule, lui dit Jésus. Tu veux me voir, eh bien, descends vite de ton arbre, retourne chez toi car j’y suis déjà. C’est chez toi que tu me trouveras, dans ta maison, au fond de ton cœur !
Zachée, après avoir vu et entendu reconnait en lui, dans sa maison, la réalité de la Présence. L’argent qui l’isolait et l’enfermait sur lui-même devient occasion de partage : « Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de ce que je possède … et avec un peu d’humour, il ajoute : « Et s’il y a quelqu’un que j’ai un peu roulé, je vais le dédommager ! »
Jésus reconnait alors officiellement Zachée, malgré son statut de pêcheur, comme fils d’Abraham et l’inscrit ainsi dans notre histoire du salut. Et nous retrouvons pour terminer ce récit une déclaration de Jésus similaire à celle du père du fils prodigue :
« Le fils de l’homme est venu chercher ce qui était perdu ! »
L’expérience de la rencontre est à la base de notre foi de chrétien. Elle se fera toujours quelque part sur le chemin où Jésus nous attend. Mais notre liberté est dans l’audace de décider de nous mettre en route, de dépasser nos peurs, de prendre du recul, de la hauteur parfois, pour repérer celui qui est déjà chez nous.