4ème Dimanche de Carême

Auteur: Jean-Bertrand Madragule
Date de rédaction: 19/03/23
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2022-2023

L’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke a raconté un jour l’histoire de la mendiante et de la rose, une histoire vécue lors de son séjour à Paris. En compagnie d’une jeune Française, Rilke passait vers midi devant une place où était assise une mendiante qui demandait de l’argent. Sans jamais lever les yeux vers un quelconque donateur, sans exprimer d’autre signe de demande ou de remerciement que de toujours tendre la main. La femme était toujours assise au même endroit. Rilke ne donnait jamais rien, mais sa compagne donnait souvent une pièce de monnaie.

Un jour, la Française s’étonna et demanda la raison pour laquelle il ne donnait rien. Rilke répondit : « Nous sommes invités à donner à son cœur, pas à sa main. » Quelques jours plus tard, Rilke apporta une rose blanche, la déposa dans la main ouverte de la mendiante et voulut poursuivre son chemin.

C’est alors que l’inattendu se produisit : la mendiante leva les yeux, vit le donateur, se leva péniblement de terre, chercha à tâtons la main de Rilke, l’embrassa et partit avec la rose.

Pendant une semaine, la vieille dame disparut, la place où elle mendiait auparavant resta vide. La compagne de Rilke chercha en vain une réponse à cette question : durant ce temps, qui pouvait bien aider la mendiante ?

Huit jours plus tard, la mendiante était de nouveau assise à sa place habituelle. Elle était muette comme autrefois, se contentant de tendre la main. « Mais de quoi a-t-elle donc vécu tous ces jours où elle n’a rien reçu ? » demanda la Française. Rilke répondit : « De la rose... »

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué : c’est un peu ce qui se passe dans l’Évangile d’aujourd’hui. Jésus a guéri un aveugle, et pas simplement un aveugle, mais un mendiant qui était aveugle de naissance. La guérison de l’aveugle de naissance se déroule à Jérusalem au moment de la plus grande fête juive, la fête des Tentes qui rappelle la protection de Dieu à son peuple Israël fuyant l’Égypte. C’est à la sortie du Temple, un jour de Shabbat, que Jésus rencontre sur son passage l’aveugle de naissance.

Un aveugle de naissance à qui personne ne faisait plus attention. Ses voisins et les passants sont habitués à l’observer quand il mendie mais sans vraiment le rencontrer. Il fait tellement partie du décor ambiant qu’ils ne le voient plus.

Mais Jésus, lui, passe et voit cet homme rejeté par la société, qui en est réduit à vivre de la mendicité. Pris de pitié pour lui, Jésus s’arrête et se rend tout de suite compte de sa douleur. Il n’est jamais indifférent aux besoins des personnes qu’il rencontre. Que faire ? « Jésus crache à terre et avec sa salive, il fait de la boue qu’il applique sur les yeux de l’aveugle » (cf. Jn 9, 6). Sans pouvoir voir Jésus d’abord, l’aveugle obéit et lui fait confiance : comme Jésus le lui demande, il part se laver à la piscine de Siloé. Et quand il revient, il voit.

Remarquons que c’est à la deuxième rencontre que l’aveugle voit Jésus. Contrairement aux autres guérisons dans les Évangiles, l’aveugle n’a rien demandé à Jésus et sa guérison n’est pas attribuée à sa foi. Il s’agit d’un cas de la gratuité de l’Amour de Dieu.

À y regarder de près, le récit de la guérison de l’aveugle de naissance nous fait découvrir l’Amour infini de Jésus. « L’Amour rend aveugle », dit-on. Parfois, c’est vrai. Quand on vient de tomber amoureux, on ne perçoit plus certaines choses, il n’y a plus que les côtés positifs de l’être aimé qu’on voit. Je peux cependant affirmer que « le véritable Amour rend voyant ». L’Amour infini de Jésus pour cet aveugle-mendiant fait qu’Il accomplit un miracle. Jésus lui redonne la vue et la dignité.

L’aveugle de Siloé est guéri ! Il n’a pas seulement retrouvé la vue et la dignité, mais il a été touché beaucoup plus profondément dans son être propre, comme la mendiante de Paris et sa rose blanche.La mendiante de Paris et l’aveugle de Siloé avaient auparavant reçu des aumônes. Mais ils n’avaient pas été touchés au fond de leur cœur. Les dons matériels sont certes importants, mais ils ne suffisent pas à rendre une vie heureuse. Dans une famille où les enfants reçoivent de nouveaux jouets, de nouveaux smartphones ou des vêtements de marque, s’il n’y a pas d’amour parental et que le père et la mère sont toujours absents de la maison, les enfants n’auront pas une vie épanouie.

L’Évangile de la guérison de l’aveugle de naissance est toujours actuel. L’élément le plus important n’est pas le miracle opéré, mais les leçons qui en découlent. Pour moi, nous pouvons en tirer trois :

Premièrement : C’est Jésus qui est au centre du récit de la guérison de l’aveugle de naissance. Le miracle est important, mais l’Évangile veut attirer notre attention sur un autre point essentiel : Redécouvrir Jésus. L’Évangéliste Jean précise que le mot Siloé en hébreu veut dire “envoyé”. Il le fait surtout pour montrer que Jésus est cet Envoyé de Dieu qui nous guérit quand on a recours à Lui.

Deuxièmement : L’homme guéri est ici un modèle parfait des croyants. Au départ, il ignore tout de Jésus. Mais la rencontre personnelle avec Jésus et les discussions avec ceux et celles qui l’entourent l’amènent à découvrir peu à peu la vraie identité de Celui qui l’a guéri. Et quand Jésus lui demande : « Crois-tu au Fils de l’homme ? ». Il répond : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. » Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui » (Jn 9, 35-38).

Troisièmement : Cet Évangile nous invite à aller à la rencontre des laissés pour compte de notre société. C’est l’Amour gratuit qui pousse à l’action. L’Amour adoucit les soucis et les duretés de la vie, il permet d’exister dans un monde éprouvé par la souffrance. Dans le cadre du Projet Logos, Pastorale des Étudiants et des Jeunes professionnels, mercredi dernier, j’ai animé en binôme avec M. Pierre-Paul Boulanger, laïc dominicain, un atelier sur le thème : « Implication des laïcs (femmes et hommes) dans l’Église catholique ». Les participants ont souhaité être dans une église qui est à l’écoute, une église qui va à la périphérie. Ils ont raison ! Nous avons peut-être trop souvent des yeux fermés sur ce qui se passe dans nos familles, les oreilles fermées aux cris de ceux et celles qui souffrent de la solitude, de la faim, de la maladie dans notre société. Nos yeux, nos oreilles, nos cœurs ont besoin d’être davantage ouverts. « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». Amen.