Jésus est pris de panique. Bientôt il va monter à Jérusalem. Là il sera arrêté, condamné, mis à mort, mais ce n’est pas cela qui lui fait le plus peur. Ce qui l’inquiète vraiment, c’est la réaction de ses apôtres. Il sait bien qu’ils seront profondément ébranlés, qu’ils partiront, qu’ils s’enfuiront. Mais il a surtout peur qu’ils réagissent comme les disciples d’Emmaüs, c’est-à-dire qu’ils retournent chez eux, la tête basse, le cœur écrasé par la déception.
Alors il a décidé de frapper un grand coup. Il a décidé de leur montrer qu’il était vraiment le Messie, le Fils de Dieu. Pour cela, il n’a pas pris tout le monde. Il n’a pris que Pierre, Jacques et Jean. Ce n’étaient pas nécessairement les plus intelligents, mais c’étaient ceux qui étaient les plus ouverts à cette découverte. La preuve, c’est que c’est Pierre qui dira tout étonné à Jésus : « tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » Tous les trois, Pierre, Jacques et Jean, étaient les plus capables de découvrir la dimension surnaturelle de Jésus-Christ. Les autres auraient pu être effrayés et crier au fantôme. Mais les trois apôtres n’ont rien dit. Ils étaient trop surpris, ou mieux trop éblouis pour dire quelque chose.
Et il y avait de quoi être ébahis. Ne voilà-t-il pas que Moïse et Elie parlent avec Jésus. Ce n’était pas n’importe qui. Moïse symbolise la Loi reçue sur le mont Sinaï et Elie symbolise tous les prophètes, c’est-à-dire que c’étaient les deux parties principales de la Bible juive : la Loi et les prophètes. Autant dire que c’était toute l’histoire du salut, depuis Abraham jusqu’à ce moment-là, qui était ainsi résumée. Jésus n’était pas un petit révolutionnaire qui apparaissait à partir de rien, comme certains dictateurs ou certains théologiens qui inventent une nouvelle religion. Jésus s’inscrivait dans une longue histoire, celle de l’amour de Dieu pour les hommes.
Mais il n’était pas seulement l’héritier de cette longue tradition. Il en était aussi l’auteur. La preuve, c’est qu’il parlait avec Moïse et Elie, c’est-à-dire que c’était déjà lui, le Fils de Dieu, qui parlait avec Moïse sur le mont Sinaï, et qui parlait avec Elie et tous les prophètes pour leur dire ce qu’ils devaient proclamer aux rois et au peuple élu. Oui, Jésus voulait montrer à Pierre, Jacques et Jean qu’il était beaucoup plus qu’un nouveau prophète ou un faiseur de miracles. Il était vraiment le Fils de Dieu.
Et cela n’a pas provoqué de terreur chez les trois apôtres. Ils étaient certes étonnés et admiratifs, mais ils n’étaient pas écrasés par la toute-puissance divine. Ils étaient bien au contraire heureux et en paix. Ils n’ont pas vu le temps passer. C’était le signe que tout était parfait et que tout allait bien. Et c’est peut-être cela l’éternité : être avec Dieu et ne pas voir le temps passer. On a parfois cette expérience quand on passe un bon moment entre amis, ou bien quand on est assis devant un beau paysage. Dans le silence, on est comme emporté vers un monde de paix et d’harmonie où le temps est comme suspendu.
Et le plus important, c’est qu’on ne revient pas déçus de cette expérience, déçus de devoir reprendre la vie normale. On est bien au contraire plus forts, mais pas forts pour être plus violents, mais forts pour être plus costauds dans les épreuves moralement et intérieurement plus stables. Pourquoi ? Parce qu’on est illuminés de l’intérieur. Oui, la grâce de cette rencontre a allumé comme une chaude lumière dans notre cœur, et cela nous permet de voir l’avenir avec confiance.
Et c’est cela que nous pouvons vivre au cours de cette eucharistie par la prière célébrée tous ensemble, par la Parole de Dieu entendue et méditée, et par le Corps de Christ reçu dans notre corps. Oui, la Transfiguration, ce n’était pas une rencontre réservée à quelques élus. C’est aussi et surtout une rencontre offerte à chacun d’entre nous, dans l’Église, par l’Église et grâce à l’Église.