Voilà Jésus, avec ses disciples, à l'étranger, dans la région de Tyr et Sidon, au nord de la Galilée et près de la méditerranée. Ce n'est pas comme la Samarie qui est une région enclavée entre Galilée et Judée que Jésus a souvent traversée dans les deux sens. Nous sommes ici en dehors du territoire Juif.
Jésus est là, entouré de ses disciples et voilà qu'une femme cananéenne se précipite à ses pieds et l'implore en criant " Seigneur, fils de David", pour venir au secours de sa fille atteinte de folie. Les disciples, agacés, demandent à Jésus de renvoyer cette femme.
Et voilà alors la réponse de Jésus qui nous surprend : "Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues d'Israël " ! Jésus serait 'il raciste et réserverait-il sa mission à ses disciples et proches concitoyens ?
Nous sommes en plein milieu de l'évangile de Matthieu. Et cette histoire de la femme cananéenne permet à Jésus de confronter ses disciples à la réalité de sa divinité grâce à l'intervention de cette étrangère. Les disciples sont encore en "formation". Il faut du temps pour entrer avec Jésus dans l'expérience de la réalité de Dieu au cœur de notre humanité.
Au début de l'évangile (10,6), Jésus dira d'ailleurs à son équipe à peine formée de douze disciples : "Ne prenez pas le chemin des païens, allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël". Jésus rappelle aujourd’hui à ses disciples ce qu'il leur avait recommandé.
Pas trop vite ! Pas tout de suite. Avant de parler de moi à l'étranger, commencez par découvrir qui je suis en milieu plus familier. Cela ne fait que quelques mois que nous sommes ensemble. Vous n'êtes pas encore prêts à prendre mon relais!
D'ailleurs, ce n'est qu'à la fin de l'évangile de Matthieu, que Jésus ressuscité, dira aux onze, rassemblés sur la montagne (28, 19) : "Allez donc, de toutes les nations faites des disciples ". Une page se tourne alors. C'est après la résurrection que Jésus se confie aux onze disciples et que leur mission, dont nous faisons partie, devient universelle.
Mais revenons alors au milieu du temps de cheminement et d'apprentissage des disciples. Je me souviens d'un prêtre polonais spiritain récemment nommé curé dans une paroisse. Parlant mal le français et ne connaissant pas la population de sa paroisse, il avait difficile mais ne s'en faisait pas trop car sa mission de prêtre spiritain était d'abord de s'immerger dans un contexte peu familier, de rencontrer, d'écouter, pour petit à petit devenir porteur de l'évangile qui lui était confié.
Avec l'histoire de cette cananéenne, Jésus anticipe en filigrane le chemin qu'il reste à parcourir aux disciples !
Tout de suite, en s'adressant à Jésus, la femme proclame : "Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David". "Fils de David", c'est le messie promis par les prophètes à Israël !
Via la Cananéenne, Jésus rappelle à ses disciples d'où il vient ! Et, poussé par ses disciples conformément aux consignes données, il signale à cette femme qu'il n'est pas là pour les étrangers, les brebis perdues d'Israël ! Mais la femme insiste en s'adressant au Seigneur qui sauve et Jésus lui répond comme la première fois par l'image des petits chiens qui nous parait même humiliante ! La femme ne lâche pas prise. Même les miettes du pain donné aux petits chiens me conviennent… Et voilà que Jésus craque. La foi de cette femme, sa confiance totale en ce Jésus capable de guérir et donner la vie font intégrer l'appel de cette étrangère dans le programme de formation de Jésus à ses disciples. Les miettes de pain ne sont alors plus des déchets tombés par terre. Elles sont déjà surplus du pain de vie donné en abondance, en surabondance. Ce pain que Jésus seul peut offrir est disponible pour tous.
Ce récit anticipe déjà celui de la multiplication des pains et du repas pascal qui suivront dans l'évangile de Matthieu.
Jésus met en évidence pour ses disciples la grande foi de cette femme devant le peu de foi souvent reconnu aux disciples et aux populations rencontrées.
Dans la foi de cette femme, le pain pris avant le partage devient déjà source de guérison, source de vie. Ce pain, plus tard reçu et partagé, deviendra celui de notre eucharistie.