Jésus n’a décidément pas la bonne façon d’attirer les gens. Après nous avoir dit qu’il fallait toujours pardonner, il nous dit maintenant que, même si on fait cela toute notre vie, nous serons dépassés par d’autres nouveau-venus, des gens qui ont bien profité de la vie et qui n’ont pas connu le poids de la fidélité.
C’est ce qui m’avait le plus effrayé et révolté quand je suis entré au couvent. Je voulais bien être obéissant et vivre dans la pauvreté et la chasteté, mais je trouvais injuste de me faire doubler à la fin de mon parcours par des personnages qui se seraient amusé toute leur vie et qui, après une bonne confession, auraient été accueillis bras ouverts au paradis. Cela ne me donnait pas tellement envie de faire tant d’efforts pour être un bon chrétien et un bon religieux. Mais c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que cela n’avait pas d’importance. La vie chrétienne, ce n’est pas comme une journée passée à l’usine : on trime, on travaille et on gagne son salaire. Dans la vie chrétienne, il n’y a pas de salaire. Il y a une présence amoureuse. Et c’est cela le plus important : non pas gagner quelque chose, mais profiter de quelqu’un, de son amour, de sa présence. Et ceux qui parmi nous ont pu vivre une longue histoire d’amour savent de quoi je veux parler. Il y a comme un sentiment de plénitude d’avoir ainsi pu partager toute une vie avec quelqu’un. On a pu s’enrichir de l’autre et se soutenir l’un l’autre pendant les périodes de tempête et de combat.
La seule chose qu’on souhaite, c’est que chacun puisse avoir la même chance : connaître Jésus, l’aimer, le servir. Alors, oui, cela n’a pas d’importance si certains vont au ciel avant moi. Je connais déjà Jésus. J’ai la chance de pouvoir le servir tous les jours. C’est à la fois un avantage et une responsabilité.
Parce que, si je connais Jésus-Christ, je n’ai pas le droit d’être triste ou découragé. Vous imaginez Roméo en train de ronchonner parce que Juliette a raté sa pizza. Il y des choses plus importantes que ça. Elle est là, Juliette, avec lui et la vie est comme rayonnante de la chaleur de sa présence. Comment être découragé ou déprimé si on se sent soutenu, porté, transformé par cette douce complicité ? C’est pour cela que nous, les chrétiens, nous devons sans cesse nous émerveiller de tout ce que Dieu nous donne : la vie, l’amour, des frères et des sœurs, et aussi les sacrements.
Nous avons la chance de pouvoir nous réunir ainsi chaque semaine dans cette église. Nous ne sommes pas seuls. Par la prière et par le chant, nous sommes tous rassemblés et tournés vers la même personne. Et c’est encore là une chance pour nous, les ouvriers de la première heure. Alors que le monde est déchiré par l’ambition personnelle et l’égoïsme individuel, nous avons la chance de pouvoir déposer les armes et de vivre entre frères.
Mais cette communauté que nous formons n’est pas seulement une communauté de prières, c’est aussi une communauté d’entraide, ne fût-ce que par les services que certains d’entre nous rendent dans la paroisse, que ce soit dans la décoration florale, le nettoyage de l’église ou l’entretien des bâtiments. Voilà qui crée des réseaux de complicité pleins de bienveillance et de respect les uns pour les autres. Cela vaut également pour les associations paroissiales d’aide à la catéchèse et aux plus pauvres. Riches de cette fraternité chrétienne, certains n’hésitent à s’engager dans le monde et la société pour y apporter la joie de connaître Jésus.
Oui, nous sommes heureux d’être les ouvriers de la première heure. Cela nous permet de goûter la présence de Jésus et la solidarité de nos frères dans la vie de tous les jours. Cela ne se reçoit pas d’un seul coup. Cela s’apprend. Mais nous avons un bon maître, Jésus-Christ. Il nous donne son Corps et son Sang. Il nous donne aussi envie de recommencer tous les jours.