Pendant la colonisation belge au Congo-Kinshasa, il y avait trois professions importantes : les Prêtres avaient le rôle de convertir les populations locales au Christianisme, tandis que les Médecins étaient là pour soigner les maladies locales et les Enseignants pour éduquer les populations locales.
Mon père, Badi Pascal, était un enseignant. Tous les samedis, mon père, d’heureuse mémoire, s’asseyait quelque temps sous la paillote. Il y nettoyait toutes les chaussures de chacun d’entre nous, aussi sales soient-elles, et elles recevaient toutes un nouvel éclat de sa main. Il terminait ainsi sa semaine bien remplie avec ce service pour ses enfants. Et le dimanche, toute la famille se rendait à l’église.
Pourquoi cette histoire est-elle restée gravée dans ma mémoire jusqu’à aujourd’hui ? C’est sans doute le fait que celui qui était notre « Pater Familias », celui qui aurait pu me dire : « Toi, Jean-Bertrand, nettoie les chaussures ! », a assumé ce service pour nous tous. Il l’a fait par amour pour sa famille. Il nous a fait sentir à ce moment-là à quoi pourrait ressembler une vie en famille, une vie en famille dans laquelle il n’y a plus de domination d’un père (cf. Mt 23,9) sur ses enfants. Il voulait nous dire ce qu’est la vertu de l’humilité.
Et ce geste paternel me fait penser aux deux derniers versets de l’Évangile de ce 31edimanche. « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé » (Mt 23, 11-12).
Si, dimanche dernier, Jésus était interrogé par un pharisien sur le plus grand des commandements, aujourd’hui en s’adressant à la foule et à ses disciples, il critique vigoureusement et en particulier les pharisiens.
Et pourtant, les pharisiens sont des hommes qui observaient scrupuleusement la Loi de Moïse. Dans l’Évangile de Luc, les pharisiens invitent Jésus trois fois à leur table (cf. Lc 7,36 ; 11,37 ; 14,1). Il ne faut pas oublier non plus que les pharisiens viennent avertir Jésus, en route vers Jérusalem, du danger qu’il encourt pour sa vie. Ils lui disent : « Pars d’ici, car Hérode veut te faire mourir » (Lc 13, 31). C’est aussi un pharisien, Nicodème, qui exprime son admiration pour Jésus et qui a une longue conversation avec lui, la nuit (cf. Jn 3, 1-3). Notons enfin que l’Apôtre Paul, qui avait persécuté les Chrétiens et s’était ensuite converti sur la route de Jérusalem à Damas (cf. Ac 9,3-19), était aussi un pharisien !
S’il en est ainsi, comment comprendre alors les dures critiques que Jésus adresse aux scribes et aux pharisiens ? Ces critiques sont une façon pour Jésus de mettre en garde la foule et ses disciples vis-à-vis de certaines pratiques de ces Docteurs de la Loi. En effet, ceux-ci disent et ne font pas (cf. Mt 23, 3). En d’autres termes, leur vie n’est pas souvent en accord avec leurs paroles. Ils utilisent leur autorité ou leur fonction pour imposer aux autres des exigences qu’ils n'observent pas eux-mêmes (cf. Mt 23, 4). Ils aiment paraîtrepour se faire remarquer (cf. Mt 23, 5). Ils recherchent avec vanité le prestige et les honneurs (cf. Mt 23, 6).
Jésus qualifie cette attitude des scribes et des pharisiens d’hypocrite. En effet, si tous n’étaient pas des hypocrites, certains utilisaient leurs « pouvoirs » n’ont pas pour guider les brebis qui leur sont confiées, mais pour les rendre esclaves, donc prisonnières des lois. Attention ! Jésus ne dit pas à la foule et à ses disciples de ne pas suivre la Loi de Moïse. Au contraire, il dit qu’il est nécessaire de suivre ce que disent les Docteurs de la Loi, mais de ne pas imiter ce qu’ils font. Car il y a une incohérence entre leur parole et leur action.
Chaque personne adulte parmi nous ici présente dispose d’une parcelle d’autorité ou de pouvoir qu’elle exerce en famille, en communauté ou tout simplement dans la société. Mais la question que l’Évangile d’aujourd’hui te pose, et à moi aussi, est la suivante : Utilisons-nous vraiment notre autorité ou notre pouvoir pour faire grandir l’autre ou bien pour le dominer, faire de lui un esclave ? Combien de fois ne profitons-nous pas de nos titres ou de nos fonctions pour mépriser, dominer, rejeter et juger les autres ? En agissant ainsi, ne sommes-nous pas loin de Celui qui est venu chercher et sauver ceux qui sont perdus ? (cf. Lc 19, 10).
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus met en garde ses disciples, et nous aussi, sur le fait que nous utilisons parfois notre autorité pour dominer l’autre en lui ôtant sa liberté et en lui laissant croire qu’il est libre. C’est pourquoi l’Évangile de Matthieu nous rappelle que nous avons un seul Père qui est aux Cieux (cf. Mt 23, 9), et que c’est lui qui nous rassemble autour d’un seul Maître et Seigneur, le Christ (cf. Mt 23, 9), Lui qui fait que nous soyons tous des frères et sœurs (cf. Mt 23, 8), membres de la grande famille des enfants de Dieu (cf 1 Jn 3, 2).
Chers frères et sœurs, que pouvons-nous retenir de l’Évangile d’aujourd’hui ?
Trois enseignements :
Premièrement : Pour comprendre et vivre cet Évangile au cours de la semaine, la Parole de Dieu t’invite à tourner ton regard et ton cœur vers le Christ. La première lecture du livre de Malachie te rappelle que le grand Roi, c’est le Seigneur (cf. Ml 1, 14). Si tu reconnais et accueilles le Christ dans ton cœur comme ton unique Seigneur, et s’il occupe la première place dans ta vie, les événements que tu es en train de vivre à l’instant, tu pourras les vivre avec foi autrement : une fenêtre s’ouvrira pour toi. Jésus s’est donné sur la croix pour ton salut.
Deuxièmement : La Parole de Dieu t’invite ici et maintenant à te mettre, au nom du Christ, au service de tes frères et sœurs. En lavant les pieds de ses disciples au soir du Jeudi Saint, Jésus t’apprend à aimer et à te mettre au service les uns des autres. C’est pour cela qu’Il te le rappelle dans l’Évangile d’aujourd’hui : « le plus grand parmi vous sera votre serviteur » (Mt 23, 11). C’est le service qui te fait grandir aux yeux de Dieu et de tes frères et sœurs. Et la valeur d’une vie se mesure à l’amour que tu as pour Dieu et pour tes frères et sœurs.
Troisièmement : En célébrant l’Eucharistie ensemble aujourd’hui, Jésus t’invite à mettre en pratique une des grandes lois d’amour : la force de l’humilité et de la fraternité chrétienne.« Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé » (Mt 23, 12). L’humilité signifie le courage de servir, le courage de se mettre parfois en arrière pour mieux servir dans le secret ses frères et sœurs. Ouvre ton cœur à la Parole de Celui qui est doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29), Jésus le Christ, notre Seigneur.