« L’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu
dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné »
(Lettre aux Romains 5,5)
La sagesse et la création (Proverbes 8,22-31)
Le Seigneur m’a créée, prémices de son œuvre,
avant ses œuvres les plus anciennes.
Depuis toujours je fus établie,
dès le principe, avant l’origine de la terre.
Quand les abysses (marins) n’étaient pas, je fus enfantée,
quand n’étaient pas les sources aux eaux abondantes.
Avant que soient implantées les montagnes,
avant les collines, je fus enfantée ;
alors qu’il n’avait pas encore fait la terre et la campagne
et les premiers éléments du monde.
Quand il affermit les cieux, j’étais là,
quand il traça un cercle à la surface de l’abîme,
quand il condensa les nuées d’en haut,
quand se gonflèrent les sources de l’abîme,
quand il assigna son terme à la mer
– et les eaux n’en franchiront pas le bord –
quand il traça les fondements de la terre,
j’étais à ses côtés comme le maître d’œuvre,
je faisais ses délices, jour après jour,
m’ébattant tout le temps en sa présence,
m’ébattant sur la surface de sa terre,
et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes.
Ce passage du livre des Proverbes est une évocation de la Sagesse. Pour le peuple de la Bible comme pour les autres nations du Proche-Orient de l’Antiquité, la Sagesse est ce qui préside à l’ordre de l’univers. Elle est la première chose que Dieu crée et, et elle lui sert ensuite de modèle ou de source d’inspiration pour créer l’univers et tout ce qui le peuple. C’est ce que ce texte évoque de façon poétique, en décrivant la naissance de l’univers tel que nous le percevons par les sens : les eaux salées et douces dans toute leur puissance, le paysage avec montagnes et collines, la terre cultivable et la nature sauvage. Il rappelle comment Dieu a créé le ciel qui retient les eaux d’en haut, et le littoral qui confine les eaux d’en bas dans les océans, de manière à dégager l’espace terrestre. Maître d’œuvre de la création, la sagesse fait le plus grand bonheur du créateur en jouant devant lui. Mais c’est aussi pour le plus grand bonheur des humains qu’il l’a créée. Car, fondamentalement, il est là la fine pointe de la création que la sagesse rend possible : l’épanouissement de la vie des êtres humains.
Le poème ne se contente pas de célébrer la sagesse du créateur, sagesse dont le monde est la trace visible. L’essentiel vient ensuite. Car si la sagesse est source d’épanouissement, la question est de savoir comment l’acquérir. Voici la suite (Pr 8,32-36) :
Et maintenant, mes fils, écoutez-moi !
Heureux ceux qui persévèrent dans mes voies!
Écoutez l’instruction pour devenir sages, ne la négligez pas!
Heureux l’être humain qui m’écoute,
en veillant jour après jour à mes portes
et en gardant l’entrée de ma maison!
Car celui qui me trouve trouva la vie,
il obtient la faveur du Seigneur.
En revanche, celui qui me rate se fait du tort à lui-même.
Tous ceux qui me haïssent aiment la mort.
Puisque l’univers est régulé par la sagesse divine, les humains deviendront sages en vivant en accord avec l’ordre du monde et se conformant à ses lois. En écoutant la leçon que la Sagesse donne à travers l’harmonie de l’univers, en marchant sur les chemins qu’elle montre de cette manière, ils trouveront la vie et la faveur du Seigneur, parce qu’ils apprendront à s’ajuster à ce qui garantit l’ordre du monde et le rend à la fois bon et plaisant. En revanche, quiconque manque la Sagesse, passe à côté d’elle, fait violence à sa propre vie. Pire : quiconque la hait aime la mort sans le savoir. Inconsciemment ou volontairement, en effet, il se trouve en porte-à-faux avec ce qui, selon la volonté de Dieu, fonde le monde, assure la pérennité du vivant et conduit l’être humain vers la vraie vie. (Encore un passage de l’Ancien Testament qui n’a absolument aucune pertinence pour aujourd’hui !)
Je prolonge cette réflexion. Dans la tradition juive, la sagesse qui émane de Dieu, c’est aussi sa parole. Au chapitre 1 de la Genèse, la parole est en effet la première « création » de Dieu : « Quand Dieu commença à créer le ciel et la terre… Dieu dit ». C’est cette parole qui, sortant de sa bouche, crée la lumière puis, avec sagesse, fait advenir le reste du monde créé, et finalement l’achève avec les êtres humains, point culminant de son œuvre (du moins avant que ceux-ci y mettent du leur !). C’est aussi cette parole qui énoncera la Loi permettant à Israël de trouver le chemin de la sagesse et de la vie, comme le soulignera Ben Sira (ch. 24).
Sagesse et parole se superposent donc en Dieu. Mais d’où lui vient cette capacité à parler ? Le début de la Genèse le laisse deviner. Comme toute parole, elle vient du « souffle de la bouche » comme le dit le Psaume 33 (v. 6). Or, ce souffle est comme « mis en scène » dans les versets 2 et 3 du 1er chapitre de la Genèse. Au verset 2, il est introduit comme une « tempête de Dieu le père » : « le vent de Dieu agitait la surface des eaux » des abysses primordiales. C’est en domptant et en apaisant ce vent puissant, puis en modulant ce souffle maîtrisé que Dieu se met à parler en disant : « Qu’il y ait de la lumière ».
Souffle, parole, sagesse. Le Nouveau Testament exploitera ces « moyens » de l’agir créateur de Dieu pour parler du Christ, Parole et Sagesse du dieu vivant, et pour évoquer l’Esprit, souffle et puissance créatrice. Est-ce pour cette raison que ce texte des Proverbes a été retenu pour la solennité de la Trinité ?
L’esprit et Jésus (Jean 16,12-15)
[Jésus disait à ses disciples :] « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les supporter maintenant. Quand le paraclet sera venu, l’Esprit de la vérité, il vous conduira dans toute la vérité, car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il entendra et vous annoncera les choses qui viennent. Il me glorifiera parce qu’il prendra de ce qui est de moi et vous l’annoncera. Tout ce que le Père possède est aussi à moi ; voilà pourquoi j’ai dit qu’il prend de ce qui est de moi et qu’il vous l’annoncera. »
Encore un petit bout du discours de Jésus pendant la Cène. En fait, l’évangéliste répond ici à une objection bien compréhensible, que ne manqueront pas de lui adresser ceux qui liront son livre après avoir entendu les apôtres ou lu les autres évangiles, Marc, Matthieu ou Luc. Je résumerais cette objection comme ceci : « Cher 4e évangéliste, Jésus n’a jamais dit tout ce que tu lui fais dire ! Tu n’es vraiment pas crédible en inventant tous ces discours ! Ne serais-tu pas un imposteur ? » Sachant cela, l’évangéliste anticipe l’objection… en mettant la réponse dans la bouche de Jésus (il est malin !). En gros, il lui fait dire : « Je n’ai pas tout dit aux disciples avant de mourir, car ils n’auraient pas été capables de comprendre. Mais l’Esprit leur sera donné et leur permettra d’aller plus loin et de saisir la vérité de ma parole dans toute sa profondeur. Ce ne sera pas neuf par rapport à ce que j’ai dit. Simplement, l’Esprit annoncera ce qui était déjà en germe dans mes paroles, mais que je n’ai pas pu développer avec eux. Ce n’est donc pas un concurrent : nous coopérons, au service du Père, de sa parole et de sa vérité. Et en reprenant ce qui vient de moi, l’Esprit permettra de mieux saisir toute l’importance de la parole divine que j’ai proclamée ». C’est donc cet Esprit qui inspire l’évangéliste quand il fait dire à Jésus ce qu’il n’a pas dit.
Tel est le modèle sur lequel, dès les premiers temps de l’Église, les leaders des communautés chrétiennes ont justifié le développement théologique de la parole de Jésus : l’Esprit donné à l’Église est celui du Christ, et c’est lui, l’Esprit, qui permet aux disciples d’aller plus loin dans la compréhension ce que Dieu a dit en Jésus.
André Wénin