7ème dimanche de Pâques

Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique: C
Date : 29 mai 2022
Auteur: André Wénin


« Les cieux ont proclamé sa justice, et tous les peuples ont vu sa gloire »

(Psaume 97,6)

La mort d’Étienne (Actes 7,55-60)

En ces jours-là, Étienne était en face de ses accusateurs. Rempli de l’Esprit Saint, il fixait le ciel du regard : il vit la gloire de Dieu, et Jésus debout à la droite de Dieu. Il déclara : « Voici que je contemple les cieux ouverts et le Fils de l’humain debout à la droite de Dieu. » Alors ils poussèrent de grands cris et se bouchèrent les oreilles. Tous ensemble, ils se précipitèrent sur lui, l’entraînè­rent hors de la ville et se mirent à le lapider. Les témoins avaient déposé leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme appelé Saul. Étienne, pendant qu’on le lapidait, priait ainsi : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit. » Puis, se mettant à genoux, il s’écria d’une voix forte : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché. » Et, après cette parole, il s’endormit dans la mort.

Un petit bout du chapitre 7 du livre des Actes des Apôtres… juste la fin du long récit de l’arresta­tion et du procès du « diacre » Étienne (6,8–8,1).

Étienne, l’un des 7 chargés du service de la charité dans la communauté de Jérusalem (voir Actes 6,1-6), fait le bien au sein du peuple. Mais sa sagesse guidée par l’Esprit dame le pion aux sages judéens qui discutent avec lui. On suscite alors de faux témoins qui l’accusent de blasphème contre Moïse et Dieu, on se saisit de lui et on l’amène au tribunal religieux, le Sanhedrin. Le grief : avoir dit de Jésus le Nazôréen qu’il détruira le temple et changera la Loi de Moïse… Invité à se défendre, Étienne prononce un long discours où il décrit la rébellion constante du peuple de l’alliance, rébellion qui se poursuit aujourd’hui : après avoir persécuté ceux qui annonçaient la venue du Juste (Jésus), ils ont trahi celui-ci et l’ont assassiné, et cela, contre la Loi dont ils se revendiquent. Ce discours exaspère les présents, mais l’Esprit donne à Étienne de voir la gloire de Dieu et Jésus debout (ressuscité) à sa droite, ce dont il ne se prive pas de témoigner, avant d’être mis à mort.

Il est difficile de ne pas percevoir, aux extrémités de ce long récit, des réminiscences très nettes du récit de la passion de Jésus telle que Luc l’a racontée. Les œuvres bonnes d’Étienne, son éloquence, la présence de l’Esprit en lui, les faux témoins, l’accusation… puis la vision du fils de l’hu­main à la droite de Dieu (cf. Lc 22,69), la mise à mort hors de la ville, la prière confiante à Jésus pour qu’il accueille sa vie (23,46), le pardon demandé pour les bourreaux (23,34). Dans sa souffrance et sa mort, le témoin est ainsi assimilé à Jésus. Mais la mention de Saul témoin de cette mort qu’il approuve d’ailleurs (Ac 8,1) n’est pas là par hasard. Si Étienne meurt, un jour ce Saul reprendra le flambeau qui s’éteint ici. Ce que le premier n’a pas pu faire, annoncer le Christ aux Grecs, le second le fera quand le Ressuscité se sera fait connaître de lui. C’est, pour Luc, une façon de montrer qu’un témoin ne meurt pas en vain, mais que sa mort est féconde pour la communauté des croyants.

Jésus prie le Père (Jean 17,20-26)

En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi : « Père saint, je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi, et qu’ils contemplent ma gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m’as envoyé. Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. ».

Il y a des pages de l’Évangile que je n’aime pas (c’est moins vrai pour l’Ancien Testament J). C’est le cas du chapitre 17 du 4e évangile (la prière dite « sacerdotale ») qui achève le long discours que Jésus tient à ses disciples au cours de la Cène. Cette page m’irrite, et je pense que c’est parce qu’elle parle d’unité. La lecture que j’en ai souvent entendue jadis faisait l’éloge de l’unité comme d’une sorte de fusion (« Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi… Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un »). Une fusion dans un grand UN, où tous sont une seule chose (en grec c’est le neutre, hen). Dans le monde catholique, cela résonnait (résonne ?) comme un idéal d’unité idéologique, d’absence de conflit, d’accord sur la doctrine régulée d’en haut et donc d’obéis­sance, de sacrifice de soi. Une telle lecture (peut-être biaisée a posteriori par ma mauvaise foi) suscite en moi une profonde allergie, tant elle est opposée à ce que je trouve de plus pertinent dans le Testament de la première alliance. L’uniformité, c’est Babel : elle écrase, étouffe, nie les différences et appauvrit d’autant l’humanité. Pour y répondre, le dieu d’Israël invente l’élection : il appelle un peuple à cultiver sa singularité, à être « saint », c’est-à-dire différent comme lui, pour témoigner de ce que Dieu désire pour chaque peuple, chaque être : qu’il soit lui-même. C’est là la seule chance pour qu’une humanité se construise dans l’harmonie selon une logique d’alliance.

Alors, j’essaie de voir si ce passage évangélique que je n’aime pas ne peut pas signifier autrement. Je fais peut-être erreur, mais je ne demande à personne de me suivre. Quand le Jésus johannique dit « Père » et même « père juste », il parle en fils – on a donc affaire à une métaphore. Alors, je me pose la question : quelle unité peut exister entre un père et son fils ? Ce ne peut en aucun cas être une fusion. Entre père et fils, la différence est irréductible : au sein de leur relation, le père ne sera jamais fils et le fils ne sera jamais père. Pourtant, père et fils n’existent que l’un par l’autre : il n’y a pas de fils sans père, mais pas de père sans fils, puisque c’est le fils qui lui donne d’être un père. Chacun donne donc à l’autre d’être ce qu’il est, constitue l’autre dans sa différence, une différence radicale puisqu’on ne peut inverser les places. Par ailleurs, la paternité n’est pas essentiellement biologique ; elle est plus radicalement relationnelle. La psychanalyse montre que la fonction paternelle consiste à mettre du tiers dans le rapport d’abord fusionnel entre mère et enfant, à couper ce dernier de la mère pour permettre son devenir autonome dans des relations larges. La « loi du père » permet à l’enfant d’accéder à la parole et de devenir un sujet à part entière. Elle permet ainsi à l’enfant de devenir comme le père – mais dans sa singularité propre. (Évidemment, les choses ne sont jamais aussi simples, mais l’orientation générale est bien celle-là.) C’est ce qui rend possible le face à face du père et de l’enfant adulte, sans que les places soient confondues (la Loi dit : « Honore ton père… ») ni les différences niées.

À la lumière d’une telle relation entre père et fils, l’unité dont parle le texte de Jean peut être comprise autrement. Être « un » n’est plus être « unis », mais être « singulier, unique ». Quant à la préposition traduite par « en », on pourrait la comprendre à partir de son correspondant hébreu qui peut aussi signifier « par », « au moyen de » (ce ne serait pas la première fois dans le grec du NT). Cela donnerait ceci : « Que tous soient uniques, comme toi, Père, tu es unique par moi (comme père de ce fils-là) et moi par toi (comme fils de ce père-là). Dans ce cas, l’unité « parfaite » n’est pas fusion dans un grand tout, mais union d’êtres uniques et singuliers reliés par l’amour. Car telle est l’œuvre de l’amour : permettre que l’autre soit lui-même dans ce qui le singularise. Chacun, avec sa différence, participe alors à la création d’une unité plurielle à l’image de l’arc-en-ciel, signe de l’al­liance entre Dieu et tous les vivants (voir Genèse 9,9-17).

Mais je mets peut-être l’évangile à ma sauce…

André Wénin

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin