« Dieu est le roi de la terre : que vos musiques l’annoncent !»
(Psaume 47,8)
Le récit de l’Ascension (Actes des apôtres 1,1-11)
Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant 40 jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu. Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel ».
Le début des Actes des Apôtres suit un calendrier basé sur deux fêtes juives [1] : la Pâque et la Pentecôte. La liturgie chrétienne a adopté ce calendrier pour déployer le sens de la résurrection qui trouve son aboutissement dans l’Ascension et la Pentecôte. Ainsi, la Pâque où Israël célèbre la libération d’Égypte et la nouvelle vie reçue de Dieu (Exode 12–15) devient le jour où Jésus est relevé d’entre les morts et se montre vivant aux disciples (Luc 24). Quant à la Pentecôte, le 50e jour après la Pâque, elle fait mémoire de l’alliance entre Dieu et Israël et du don de la Loi (Exode 19–20) ; elle devient le jour de la nouvelle alliance entre Dieu et l’humanité à qui est donné l’Esprit (Actes 2). Quant aux 40 jours, ils correspondent à la période où, sur la montagne du Sinaï, Moïse reçoit les tables de la Loi et le plan de la Tente qu’il devra édifier pour Dieu. En Actes, c’est le temps au cours duquel Jésus parle du royaume de Dieu aux apôtres et leur donne ses instructions avec des signes qu’il est vivant. Il nourrit ainsi le témoignage qu’ils devront rendre à la résurrection.
Quand, au terme de cette période, Jésus leur dit d’attendre la venue de l’Esprit pour dans quelques jours, les apôtres parlent de la fin du monde imminente qui verra l’avènement du royaume définitif d’Israël. Jésus dément l’idée et se refuse à parler d’échéance – en fait, c’est Luc qui dément une idée qui a eu cours dans les années qui ont suivi la résurrection. Ce genre de choses ne doit pas préoccuper les apôtres : ce qui commence pour eux, c’est le temps d’un témoignage qui, de proche en proche, va gagner les extrémités de la terre – ce qui devrait donc prendre un certain temps. C’est ce que raconte le livre des Actes des apôtres, où les disciples (Paul en particulier) agissent à l’image de Jésus, démultipliant pour ainsi dire sa présence, sa parole et son œuvre dans l’espoir qu’un grand nombre accueille la vie donnée.
En montrant Jésus s’élever vers le ciel, Luc souligne une dimension de la résurrection : l’exaltation de Jésus par Dieu. Quand les apôtres restent le nez en l’air, ils montrent qu’ils n’ont pas compris ce que Jésus leur a dit, car ils semblent attendre que Jésus revienne sans tarder pour inaugurer le règne de Dieu. Les deux hommes en vêtement blanc – les mêmes que ceux qui avaient accueilli les femmes dans le tombeau vide (Luc 24,4-8) – le redisent à leur tour : oui, Jésus reviendra, mais pas tout de suite. Que les apôtres préparent ce que Jésus a annoncé : la venue de l’Esprit promis qui fera d’eux les témoins de la vie plus forte que la mort.
Le même auteur sur le même sujet… (Luc 24,46-53)
Jésus ressuscité, apparaissant à ses disciples, leur dit : « Il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » Puis Jésus les emmena au dehors, jusque vers Béthanie ; et, levant les mains, il les bénit. Or, tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel. Ils se prosternèrent devant lui, puis ils retournèrent à Jérusalem, en grande joie. Et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu.
Dans l’œuvre de Luc (évangile et Actes), le récit de l’ascension est comme un trait d’union entre les deux parties. L’événement du départ de Jésus y a comme une double face (comme Janus) : il constitue à la fois la fin de la période des apparitions du Ressuscité, et le premier acte de la vie de la communauté des disciples. L’absence de Jésus fait place, en effet, à la venue de l’Esprit qui animera l’évangélisation et accompagnera les premiers pas de la communauté de Jérusalem et de celles dont le livre des Actes relatera la fondation.
Entre les deux récits, il y a de nombreux points communs. Les faits se passent lors d’une apparition. Les disciples sont investis d’une mission universelle de témoignage à partir de Jérusalem (devenue le centre du monde quand les événements du salut y ont eu lieu). Pour cela, Dieu va leur envoyer une force venue d’en haut comme il l’a promis par la bouche de Jésus. En attendant sa venue, ils doivent rester à Jérusalem. Après ses dernières paroles, Jésus s’élève ou est emporté au ciel.
À côté de ces ressemblances évidentes, la version de l’évangile présente quelques particularités. La première et la plus significative se trouve au début du discours de Jésus : il résume l’essentiel de ce dont les disciples auront à témoigner (et plusieurs passages des Actes les montreront en train de proclamer ce message : par ex. 2,36-38 ; 3,18-20 ; 5,30-32 ; 10,39-44 ; 13,33-39 ; 26,22-23) : les Écritures ont annoncé les souffrances et la résurrection du messie, ainsi que son fruit : le pardon des péchés, au nom de Jésus, pour quiconque se convertit en entendant la proclamation qui en sera faite. Ici, l’adieu a lieu à Béthanie où Jésus emmène les disciples (dans les Actes, ils ne se déplacent pas). Là, il se sépare d’eux en les bénissant tandis qu’ils se prosternent puis retournent à Jérusalem, pleins de joie. Pas de regards fixés vers le ciel, pas d’hommes vêtus de blanc, pas de message final. Ici, les derniers mots (du passage et de l’évangile lui-même) enregistrent une autre réaction des disciples : bénis par Jésus, ils bénissent Dieu constamment, reconnaissant de la sorte que le Père leur a donné la vie à travers Jésus.
Une lecture sacrificielle (Lettre aux Hébreux 9,24-28 et 10,19-23)
Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois, comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien ; car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion depuis la fondation du monde. Mais en fait, c’est une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice. Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés, ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude ; il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent.
La lettre aux Hébreux relit la mort et la résurrection de Jésus à la lumière des institutions rituelles des Écritures juives. Le passage retenu pour l’Ascension renvoie aux rites du Yom Qippur au cours desquels le grand prêtre entre – pour la seule fois de l’année – dans le Saint des saints du temple pour y faire l’expiation des péchés par une aspersion de sang et, en lavant le peuple de ses fautes d, le réconcilier avec le dieu trois fois saint. Pour l’auteur de la lettre, c’est bien ce que Christ a fait. Mais avec un saut de qualité radical. Avec lui, on passe en effet de la figure à la réalité et du provisoire au permanent : du Saint des saints au sanctuaire véritable, le ciel ; de l’arche d’alliance à Dieu lui-même ; du sang d’un bouc au sang de Jésus ; d’une rémission des péchés à reprendre chaque année à la destruction une fois pour toutes de ce qui empêche les humains d’être en alliance avec Dieu. Bref, en Jésus, le salut advient définitivement.
Frères et sœurs, c’est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable sanctuaire grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant qu’il a inauguré en franchissant le rideau du Sanctuaire ; or, ce rideau est sa chair. Et nous avons le prêtre par excellence, celui qui est établi sur la maison de Dieu. Avançons-nous donc vers Dieu avec un cœur sincère et dans la plénitude de la foi, le cœur purifié de ce qui souille notre conscience, le corps lavé par une eau pure. Continuons sans fléchir d’affirmer notre espérance, car il est fidèle, celui qui a promis.
Après avoir sauté un long passage où l’auteur déploie cette idée d’un salut définitif et d’une alliance caractérisée par la remise des péchés, il reprend l’image du grand prêtre. Lors du rite des expiations, celui-ci passe « derrière le rideau du sanctuaire » qui sépare le Saint et Saint des saints. C’est bien ce que Jésus, le « grand prêtre par excellence » a fait au cours de sa passion et c’est ainsi qu’il ouvre à tous le chemin vers Dieu. Puisque, en Jésus, Dieu est de nouveau accessible, l’auteur se met à exhorter ceux à qui il adresse son écrit. Il les presse de s’avancer sur ce chemin, avec assurance et foi, dans la pureté qui permet précisément de s’approcher de Dieu. Il les invite à tenir bon en espérant dans le dieu fidèle. Mais aussi (pourquoi avoir laissé tomber ces dernières phrases ?) à « veiller les uns sur les autres pour nous inciter mutuellement à aimer et à bien agir » et à « ne pas déserter leur propre assemblée », mais à s’encourager à rejoindre fidèlement la communauté. S’avancer vers Dieu dans la droiture du cœur et avec l’espérance d’être admis auprès de lui, c’est aussi persévérer dans une vie vraiment fraternelle.
André Wénin
[1] Pour ce commentaire de Actes 1,1-11 : voir Ascension, année A et B (lecture commune aux 3 années).