« Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour
la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres. »
(Psaume 145,8-9)
La lecture des Actes des Apôtres prévue pour ce dimanche est un passage assez anecdotique concernant un voyage de Paul. Je ne la commenterai donc pas.
Nouveauté (Révélation 21,1-5a)
Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. ».
Un ciel nouveau et une terre nouvelle ! Selon le livre de la Révélation une nouvelle création est à l’horizon de l’histoire. Elle a été inaugurée par la résurrection de Jésus, et même si les malheurs des temps donnent penser le contraire, elle est en train de faire inexorablement son œuvre de vie. C’est ainsi que l’auteur du livre encourage les disciples de Jésus à tenir bon dans les épreuves qu’ils traversent.
L’extrait retenu évoque donc la fin du processus initié par la résurrection. Une façon de saisir son importance est de lire en lien avec ce que la Genèse dit de la première création. Au ch. 1 de la Genèse, le monde réel est présenté comme le résultat d’une victoire de Dieu sur le chaos initial. Pour créer le ciel, les mers et la terre, il a dompté les abysses chaotiques par la seule force de sa parole pour instaurer l’équilibre sur lequel repose le monde. Mais cet équilibre reste instable, comme le montre le récit du déluge (Gn 6-8). De même pour la lumière que Dieu a imposée dans les ténèbres initiales dont la nuit continue à être le domaine. Mais ici aussi, le déséquilibre guette, comme en témoignent les ténèbres qui envahissent l’Égypte quand Pharaon s’obstine à refuser la liberté que Dieu revendique pour les fils d’Israël (Exode 10,20-23) ou quand elles couvrent la terre au moment de la mort de Jésus.
La première création est un monde où les puissances du chaos restent présentes et potentiellement actives. Soumises par Dieu au moyen de sa parole, elles sont susceptibles de se déchaîner. Il suffit pour cela que les humains leur donnent quartier libre par des comportements à l’opposé de la voie que le créateur leur trace par sa parole de bénédiction et le don de la nourriture (Genèse 1,28-30). Dès qu’ils génèrent de la violence, ils perturbent l’ordre de la création visant à garantir la vie, ils plongent le monde dans les ténèbres. C’est ce qu’expérimentent les disciples du Christ pour qui le livre de la Révélation est écrit. Mais son auteur le répète : en Jésus, l’être humain fait le choix de l’amour qui combat la haine et tout ce qui sème le chaos. Voilà ce qui rend possible cette nouvelle création où la mer a disparu et où la lumière du Christ brille sans cesse (cf. 21,23-35). Voilà pourquoi la mort est bannie de ce monde, avec la souffrance et les pleurs qu’elle entraîne.
En Genèse 2, l’histoire commence dans un jardin où les humains vivent en harmonie avec Dieu. Mais ils font le choix de la convoitise, de la mainmise, du refus des justes limites ; se détournant de la parole divine qui tient la mort à distance, ils quittent le jardin et la violence fait son œuvre en Caïn. Pour tenter d’échapper à la solitude résultant du meurtre du frère, Caïn crée une ville. Mais lieu de vivre-ensemble, la ville est aussi un lieu où la violence peut se déchaîner. Babel est la ville où la singularité de chacun est niée et où les anonymes deviennent des esclaves qui font des briques pour construire une ville et une tour à la gloire d’un autre. Les villes de Ninive et Babylone s’illustrent dans la Bible comme génératrices d’une violence qui détruit les peuples…
À la fin du livre de la Révélation, la nouvelle création ne consiste pas à réintégrer le jardin perdu. Elle prend la forme d’une ville qui, cette fois, symbolise l’humanité unie et riche de ses différences, enfin alliée à Dieu comme le suggère l’image de l’épouse parée pour son mari. Ainsi, l’histoire humaine avec ses erreurs, sa violence et ses atrocités, mais aussi avec son désir d’un vivre ensemble pacifique (contradiction figurée par l’image de la ville) est assumée tout entière. Mais elle est transformée par la victoire de l’amour sur la haine, et de la vie sur la mort que la résurrection de Jésus représente. Elle devient ainsi le lieu où Dieu peut réaliser le rêve qui était le sien dans l’Éden : demeurer avec les humains et, enfin, devenir leur Dieu.
Un commandement nouveau (Jean 13,31-35)
(Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples,) quand Judas fut sorti (du cénacle), Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’humain est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. [Vous me chercherez et, comme j’ai dit aux Judéens : “Là où je vais, vous ne pouvez pas venir”, je le dis maintenant à vous aussi.] Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
En donnant le feu vert à Judas (« Ce que tu as à faire, fais-le vite », Jean 13,27), Jésus consent à la Passion qu’il va vivre. Le traître à peine sorti, il fait une déclaration que le contexte rend paradoxale sur la gloire du « Fils de l’humain » – ce véritable humain à l’image du Créateur, maître des forces de violence et de mort. Cette gloire sera révélée dans sa passion et sa mort : en allant jusqu’au bout du don de soi pour casser le cercle infernal du mal, Jésus va révéler quel humain est vraiment à l’image de Dieu : c’est celui qui combat le mal par l’amour (« il les aima jusqu’au bout »). Voilà sa gloire, ce qui fait qu’il a du poids, au point de changer le cours de l’histoire. Et c’est sur ce critère que les humains seront jugés par ce « Fils de l’humain » quand Dieu l’instaurera juge de l’humanité (voir Daniel 7).
Un tel être humain rend gloire à Dieu, dans la mesure où son comportement est conforme à Dieu et révèle Dieu par le fait même. Aussi, ce dernier lui rendra gloire « bientôt », en le relevant des morts, en prenant parti pour ce juste injustement condamné, en approuvant son choix. Sur cet arrière-plan, on comprend mieux le commandement de l’amour mutuel que Jésus donne ensuite à ses disciples. Seul un tel amour peut être signe du disciple authentique. C’est celui ou celle qui, comme Jésus, se fait serviteur de tous en leur « lavant les pieds » ; celui ou celle qui agit avec amour même envers ceux qui, comme Simon Pierre, refusent la logique de Jésus (« Toi, Seigneur, me laver les pieds ? Non, jamais ! ») ; celui ou celle qui partage son pain même avec le traître, comme Jésus avec Judas. Cet amour à partager n’a donc rien à voir avec l’affection que l’on peut éprouver envers un(e) autre. C’est une manière d’être à l’image de Jésus, dans le service et le pardon. C’est une façon de penser et d’agir en vue du bien de tou(te)s.
André Wénin