5ème dimanche de Carême

Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique: C
Date : 3 avril 2022
Auteur: André Wénin


 « Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie. »

(Psaume 126,5)

Dieu va faire du neuf (Isaïe 43,16-21)

Ainsi parle le Seigneur, lui qui met dans la mer un chemin et dans les eaux puissantes un sentier, lui qui fait sortir chars et chevaux, armée et puissants guerriers ; tous ensemble ils se couchent et ne se relèvent pas, ils sont éteints, consumés comme une mèche. Ne faites plus mémoire des événements de jadis, les choses anciennes, n’y songez plus. Voici que je fais du neuf : il germe déjà, ne le saisissez-vous pas ? Oui, je mets un chemin dans le désert, des ruisseaux dans la steppe. Me rendront gloire des bêtes sauvages, chacals et autruches, parce que j’aurai donné de l’eau dans le désert, des ruisseaux dans les steppes, pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi. Ce peuple que je me suis façonné racontera ma louange.

Cet oracle que le disciple d’Isaïe adresse aux déportés judéens en Babylonie prolonge le fil qui unit les premières lectures des dimanches de ce carême. Par fidélité à sa promesse solennelle à Abram (1er dim.), le Seigneur décide de libérer les fils d’Israël esclaves en Égypte pour leur donner le pays promis et il appelle Moïse à collaborer avec lui (3e dim.). L’entrée au pays de Canaan sous la conduite de Josué vient sceller la réussite de ce projet de libération (4e dim.). Entre les deux, la sortie d’Égypte et la traversée du désert sont évoquées par le résumé de cette épopée en Dt 26 (2e dim.). C’est de ce grand récit que le passage d’Isaïe fait mémoire, à commencer par le miracle de la mer des Joncs : Dieu trace un chemin au cœur de la mer et il y attire la puissante armée de Pharaon qu’il a « fait sortir » de ses casernes en provoquant le départ des fils d’Israël. En refermant les eaux sur eux, ils les abat définitivement et ils s’éteignent aussi facilement qu’une mèche mouillée (cf. Exode 14). Ces faits sont évoqués au présent, comme c’est de règle dans les hymnes : en rappelant des événements passés, le poète fait des actions divines qu’il évoque une révélation de ce qu’il est en permanence pour son peuple. Le dieu « qui était » est aussi le dieu « qui est ».

Mais si c’est le dieu « qui est », c’est aussi le dieu « qui vient » (cf. Apocalypse 1,8). Le prophète, en effet, ne rappelle l’épopée de l’Exode que pour inviter ses contemporains à ne pas confiner l’agir libérateur de Dieu dans le passé. Il convient plutôt de s’appuyer sur cet agir passé, qui témoigne de l’être permanent de Dieu, pour croire et espérer qu’il viendra au secours des déportés qui connaissent l’exil, le malheur, la mort. Pour eux, le Seigneur va faire du neuf… ou plus exactement, agir comme il l’a fait jadis. Et le prophète d’évoquer la suite de l’aventure de l’exode en l’annonçant pour le futur : la traversée du désert où Dieu abreuvera son peuple avec une telle abondance que même les bêtes du désert chanteront la gloire de Dieu pour ce cadeau inattendu. Pour le peuple que le Seigneur a choisi, ce peuple qu’il a modelé comme il modela le premier humain, ce sera l’occasion de le louer en racontant l’histoire de sa libération, à nouveau à l’instar des Israélites qui, une fois libérés à jamais de l’esclavage, ont chanté la victoire de leur dieu (cf. Exode 15,1-18).

Pour rendre l’espoir à un peuple désorienté et désespéré, le prophète répète que le Seigneur est sans cesse à l’œuvre : il renouvellera son don de vie quand ceux qu’il ne peut abandonner puisqu’il les a élus traversent des situations de mort. Que les déportés ne vivent pas dans le regret du passé, comme si Dieu était seulement le dieu d’hier. Il est aussi le dieu d’aujourd’hui au creux de la mort que connaît son peuple ; il est le dieu de demain qui se prépare à lui rendre la vie. Quiconque voit, avec le prophète, par-delà les apparences, sait que la nouveauté est en train de germer ; il comprend que la mort est le lieu où Dieu travaille en secret à une vie nouvelle. Ainsi, en annonçant le salut à venir, le prophète anticipe déjà la foi en la résurrection – une foi qui est une manière d’affronter la mort dans la confiance et l’espérance en un dieu qui « fait toutes choses nouvelles » (cf. Apocalypse 21,5).

Je ne te condamne pas (Jean 8,1-11)

Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il parut dans le Temple, et tout le peuple venait à lui, il s’assit et les enseignait. Les scribes et les pharisiens amènent une femme surprise en train de commettre l’adultère, la mettant au milieu. Ils disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider de telles femmes. Toi, donc, qu’est-ce que tu en dis ? » Ils parlaient ainsi pour le tester, afin d’avoir de quoi l’accuser. Mais Jésus s’étant baissé, écrivait du doigt par terre. Comme ils persistaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Que celui d’entre vous qui est sans péché soit le premier à lui jeter une pierre. » Et se baissant de nouveau, il écrivait par terre. En entendant cela, ils s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme là, au milieu. Se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle dit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

La scène est connue. Elle se déroule dans le temple – un cadre particulièrement significatif – et oppose Jésus et les spécialistes de la Loi en présence de « tout le peuple » à propos d’une femme adultère prise sur le fait. La plaçant « au milieu », ils la dénoncent publiquement, tout en faisant d’elle le centre de la question qu’ils posent à Jésus. C’est une question de légalistes. Constatant un délit, l’adultère, ils connaissent le châtiment prévu par la plus haute autorité législative : la mort par lapidation – une façon d’appliquer la peine sans toucher le coupable et donc sans être contaminé par son péché. Manifestement, ils sont prêts à exécuter la sentence. Avant cela, ils profitent de l’aubaine pour faire d’une pierre deux coups (si je puis dire) : amener Jésus – dont ils connaissent l’attitude bienveillante envers les pécheurs – à s’opposer à la Loi de Moïse et se rendre passible de mort à son tour. Que va-t-il conclure, une fois connu le délit et la peine prévue ? On voit bien la perversité de la démarche : utiliser un coupable manifeste pour faire chuter un innocent… Et on comprend ce que ces gens font de la Loi : un instrument de mort au service de leur pouvoir, que Jésus conteste par ses comportements et ses paroles. Pourtant, Dieu a donné cette loi en vue de la vie !

Il est impossible de préciser ce que Jésus écrit (ou dessine) sur le sol. En revanche, en se baissant, il évite d’affronter le regard des accusateurs ou de poser les yeux sur l’accusée. En, se taisant et en adoptant une attitude inattendue plutôt que de répondre, il déconcerte ses opposants, peut-être pour voir comment ils vont réagir. Voyant qu’ils ne désarment pas, il leur sert une phrase lapidaire (si je puis dire). Celle-ci met à nu la logique qui sous-tend leur stratagème : selon leur logique, tout le monde devrait être châtié car il n’est pas humain qui ne transgresse la Loi. Au nom de quoi instrumentalisent celle-ci contre la femme (et, potentiellement Jésus) et pas contre eux-mêmes ? Ce faisant, Jésus renvoie chacun ses opposants à lui-même, avant de se courber à nouveau pour éviter de les regarder. L’effet ne se fait pas attendre : tous s’éclipsent sans plus rien dire, un à un, chacun avec sa conscience. Et les plus âgés ayant l’ardoise la plus remplie, ce sont eux qui ouvrent le lamentable cortège. Car si l’on fait de la loi un instrument de mort, nul ne peut échapper à sa rigueur.

À la fin, seule la femme reste « au milieu », c’est-à-dire à la place de l’accusée, puisque, objectivement, la Loi l’inculpe toujours. Jésus montre alors sa conception de la loi : pour lui, elle ne sert pas à condamner et à châtier : elle est un instrument de conversion et donc de vie ! Jésus renvoie la femme aussi à elle-même et au respect de la Loi qui conduit à la vie. Il sauve ainsi la femme… mais pas sans elle. En lui disant « Va ! », il la fait sortir du milieu du cercle des accusés où, désormais, Jésus restera seul.

André Wénin

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin