3ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 23 janvier 2022
Auteur: André Wénin

 

« La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; 
la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples»
(Psaume 19,8)

Joie pour la Torah (Néhémie 8,2-10)

Le prêtre Esdras apporta la Torah devant l’assemblée composée d’hommes, de femmes et de quiconque était capable de comprendre en écoutant. C’était le premier jour du septième mois. Esdras se mit à la lire, face à la place qui est devant la porte des eaux, de l’aube jusqu’au milieu du jour, en présence des hommes, des femmes et de ceux qui étaient en âge de comprendre ; et les oreilles de tout le peuple étaient (tournées) vers le livre de la Torah. Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, que l’on avait dressée pour l’occasion. [Se tenaient à côté de lui Mattityah et Shèma et Ananyah et Ouriyah et Hilqiyah et Maaséyah à sa droite, et à sa gauche Pedayah et Mishael et Malkiyah et Hashoum et Hashbaddana, Zakariah, Mashoullam].

Le scribe Esdras ouvrit le livre aux yeux de tout le peuple, car il était en position élevée par rapport à tout le peuple, et quand il ouvrit le livre, tout le peuple se tint debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu grand, et tout le peuple répondit : « Amen ! Amen ! » en levant les mains, et ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, face contre terre. [Josué, et Bani et Shéréviah, Yamîn, Aqqouv, Shabbetay, Hôdiyah, Maaséyah, Qelîtah, Azaryah, Yozavad, Hanan, Pela’yah et les lévites expliquaient la Torah au peuple, le peuple restant à sa place]. Ils lisaient le livre, la Torah de Dieu rendue claire et signifiante, et ils expliquaient la lecture (miqra’).

Néhémie le gouverneur, Esdras le prêtre scribe et les lévites qui expliquaient au peuple, dirent à tout le peuple : « Ce jour est saint pour le Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car tout le peuple pleurait en entendant les paroles de la Torah. [Esdras] leur dit : « Allez, mangez un bon repas, buvez des liqueurs douces, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est saint pour notre seigneur ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »

Le récit du livre de Néhémie décrit une vaste liturgie de la Parole. Selon la lecture proposée, elle semble être organisée par Esdras. Lire le verset 1 corrige cette impression : « Tout le peuple se rassembla comme un seul homme sur la place qui est devant la porte des eaux, et ils dirent au scribe Esdras d’apporter le livre de la Torah de Moïse que le Seigneur avait prescrite à Israël ». C’est donc le peuple tout entier qui se rassemble spontanément et demande à Esdras de lui lire la Torah. Pourquoi Esdras ? Parce qu’il est connu comme un « scribe expert dans la Loi de Moïse donnée par le Seigneur à Israël », et « il appliquait son cœur à scruter la Torah du Seigneur et à la mettre en pratique et à en enseigner en Israël les lois et les coutumes » (Esdras 7,6.10). Autres passages supprimés du lectionnaire : les deux listes de 13 noms mises entre crochets ci-dessus. Cela change pourtant beaucoup au cadre de cette liturgie. Esdras n’est pas seul sur le podium : il est entouré de 13 autres personnes auxquelles il prête en quelque sorte sa voix. Quant aux lévites qui commentent et expliquent ce qui est lu, 13 d’entre eux sont nommés également, signe que l’interprétation n’est pas moins importante que la lecture. De plus, la traduction liturgique réduit leur rôle à l’explication en corrigeant le texte de la fin du 2e paragraphe. Voici cette traduction qui, loin de l’hébreu, ne reflète que ce que le traducteur entend faire comprendre [1] : « Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre. » Quant aux noms de personnes, le seul que la liturgie mentionne à côté d’Esdras, c’est celui du gouverneur Néhémie… Pouvoir religieux et politique se donnant la main, assistés d’un groupe de sous-fifres sans visage.

On le voit, le découpage du texte pour la liturgie modifie le cadre du tout au tout : d’une volonté collective (le mot « peuple » est le plus fréquent dans tout le passage), on passe à l’initiative personnelle d’un seul qui, Torah en main face à tous, laisse à des anonymes le soin d’expliquer ce qu’il lit devant des gens tout ouïe. Cette façon de simplifier et de clarifier le cadre en ne retenant que les autorités et en gommant tout ce qui peut faire penser à un acte vraiment collectif et, à vrai dire, un peu cacophonique (que l’on pense à tous ceux qui, pendant qu’Esdras proclame la Loi, la lisent, l’expliquent, répondent aux questions…) ne revient-elle pas à remodeler implicitement (et inconsciemment je l’espère) l’Écriture sur la base d’un type d’assemblée et de liturgie typiquement chrétiennes ?

J’ai disposé le texte en trois parties selon le découpage de la Bible hébraïque. Chacune d’elle met l’accent sur un aspect de l’événement relaté. La première (v. 1-4) souligne les circonstances de la lecture de la Torah réclamée par le peuple : le jour (au cœur de l’année) et le moment (toute la matinée) ; l’endroit précis et les personnes présentes (avec – c’est à noter car le texte se répète sur ce point – les femmes et les jeunes en âge de comprendre), leur disposition sur la place face à la tribune spécialement aménagée et au centre de laquelle, portée par Esdras, se tient la Torah. C’est vers elle que se tendent les oreilles de l’assemblée, au moment où Esdras en commence la lecture. Tout dans cette scénographie contribue à faire sentir le caractère particulièrement solennel de ce moment. Le livre écrit devient proclamation, comme le précise le mot qui désigne l’Écriture dans la Bible hébraïque et le judaïsme : Miqra’, lecture publique qui donne voix et vie à la Parole.

La deuxième partie revient en arrière, au moment où Esdras déroule le rouleau à la vue du peuple. Celui-ci se lève alors, non devant le prêtre scribe, mais devant celui dont la parole résonne au cœur du livre ouvert. Et avant même de se mettre à lire, Esdras bénit le Seigneur. C’est là une façon de reconnaître – et d’inviter le peuple à reconnaître – que la parole qui vient du livre est source de vie et de bien pour toutes et tous. Et le peuple d’adhérer joyeusement à cette bénédiction par un double « Amen ! » – c’est solide, fiable ! – avant de se prosterner. Mais le texte précise : les gens ne se prosternent pas devant le livre comme devant un objet sacré. C’est bien devant le Seigneur qu’ils s’inclinent profondément. C’est alors qu’entrent en scène d’autres personnages dont on n’a pas encore parlé : 13 hommes, sans doute des lévites, se mettent à lire la « Torah de Dieu » au peuple, tout l’en expliquant. La lecture n’est plus le fait du seul Esdras ; elle devient un acte collectif, qui ne va pas sans un commentaire permettant d’éclairer la parole, d’entrer dans une démarche d’intelligen­ce. C’est là une façon de souligner que la parole de Dieu est complexe et riche, de sorte que la comprendre est exigeant ; une façon aussi de souligner que, sans la parole humaine qui y fait écho, la parole de Dieu reste lettre morte.

La troisième partie est centrée sur la réaction émotionnelle des gens : ils prennent le deuil, se mettent à pleurer. La cause de cette réaction apparaîtra plus loin, lorsque, quelques semaines plus tard, ils se rassembleront pour un jeûne pénitentiel lié à la confession des fautes que, plein d’ingratitude, le peuple a commises contre le dieu qui a fait pour lui des merveilles (Néhémie 9). C’est que la Torah ne révèle pas seulement la volonté de vie du Seigneur, mais aussi l’incapacité du peuple à s’y conformer. Cependant, le jour de la proclamation de la Torah n’est pas jour de deuil, mais de joie. C’est un jour saint, différent des autres à cause du Seigneur qui a donné sa Loi en vue de la vie et du bonheur du peuple (voir le ch. 30 du Deutéronome). En cela, le don de la Loi est une fête à célébrer par un bon repas, dans un esprit de partage. Car si Israël a péché, la joie que communique la Loi du Seigneur et l’alliance qu’elle soutient est une force pour aller de l’avant en revenant à Dieu.

C’est en ce sens que l’on peut comprendre la seconde partie du Psaume 19 proposée à la méditation après cette lecture : « La loi du Seigneur est parfaite, qui redonne vie ; la charte du Seigneur est sûre, qui rend sages les simples. Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du Seigneur est limpide, il clarifie le regard. La crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours ; les décisions du Seigneur sont justes et vraiment équitables » (v. 8-10).

Jésus lecteur de l’Écriture (Luc 1,1-4 ; 4,14-21)

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus.

En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde lui rendait gloire. Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, proclamer une année favorable accordée par le Seigneur. Et ayant roulé le livre qu’il rendit au servant, il s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit cette Écriture que vous venez d’entendre ».

La lecture de l’évangile de Luc comprend deux morceaux distincts. Il y a d’abord le prologue du récit évangélique qui en présente le projet: transmettre le témoignage de ceux qui ont reconnu en Jésus « la Parole » et s’en sont fait les serviteurs. Pour cela, s’informer le plus précisément possible. Puis rédiger un récit pour les amis de Dieu (les Théophile) qui le confronteront aux enseignements qu’ils ont reçus et dont ils éprouveront ainsi la solidité. L’écrit n’est donc pas là pour susciter la foi, mais pour soutenir l’enseignement oral, ce témoignage qui passe de bouche à oreille au long d’une chaîne potentiellement infinie.

La seconde partie correspond au début du ministère public de Jésus après le baptême de Jean et les tentations au désert. Poussé par l’Esprit venu sur lui au baptême et auquel il s’est montré fidèle en refusant d’entrer dans le jeu du diable, Jésus revient en Galilée, sa patrie où il est accueilli avec enthousiasme (il n’en ira pas de même à Nazareth, mais ce sera pour dimanche prochain !). Dans la synagogue de son village, il se présente pour lire le passage du prophète puisqu’on lui tend le rouleau d’Isaïe. Ce n’est donc pas la Torah que Jésus proclame puis actualise, mais les Prophètes. En cela, l’évangile se distancie du passage d’Esdras qui témoigne de la primauté de la Torah pour les juifs. Pour les chrétiens, en effet, les prophètes sont davantage centraux car, pour eux, leur message anticipe l’événement Jésus. Cela dit, je note que le passage d’Isaïe (61,1-2a) renvoie lui-même à la Torah : il annonce en effet que le Serviteur du Seigneur viendra réaliser ce qui est écrit dans la Torah. La libération des captifs, la liberté pour les opprimés, n’est-ce pas l’essentiel de l’expérience de l’exode d’Égypte ? Quant à « l’année favorable », elle correspond à l’année jubilaire (voir Lévitique 25). Au cours de cette année qui revient tous les 50 ans, les Israélites sont tenus de faire les uns pour les autres ce que Dieu a fait pour le peuple lors de l’exode.

En réalité, en mettant les paroles du prophète sur les lèvres de Jésus, Luc présente le programme du récit de son évangile : il n’est autre que le programme de Jésus consistant à accomplir les Écritures, comme il le souligne dans le bref commentaire qu’il propose suite à la lecture : investi par l’Esprit reçu au baptême, Jésus annoncera la bonne nouvelle du Royaume ; et les principaux destinataires de sa prédication et de son action seront en effet les pauvres que Luc évoque volontiers dans son récit. Car il ne se contentera pas de proclamer cette bonne nouvelle : il mettra en œuvre la libération dont parle le prophète au moyen de guérisons, d’exorcismes, de dons en tous genres. Il manifestera ainsi comment Dieu montre sa miséricorde (autre thème privilégié dans le 3e évangile). La suite du récit évangélique illustrera donc ce programme. Mais pas seulement car la suite immédiate de cette scène anticipe à sa façon une autre dimension du récit évangélique. Mais cela, ce sera pour la semaine prochaine (à suivre…) !

André Wénin


[1] Le texte comporte des éléments difficiles. En italique, ce qui vient du traducteur. La version grecque diffère de l’hébreu, mais inverse les rôles par rapport à la version liturgique : « Et ils lisaient dans le livre de la loi de Dieu, et Esdras enseignait et ouvrait à la connaissance du Seigneur ; et le peuple comprenait pendant la lecture ».

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin