« Dieu, donne au roi tes pouvoirs, à ce fils de roi ta justice.
Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie. »
(Psaume 72,1.13)
Une bonne nouvelle (Isaïe 40,1-5.9-11) [1]
Consolez, consolez mon peuple – dit votre Dieu – parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est terminé, que sa faute est expiée, qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses erreurs. Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit dans la steppe une route pour notre Dieu : tout vallon sera rehaussé, toute montagne et toute colline, abaissées ; et les escarpements deviendront plaine, les sommets, une large vallée ! Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair la verra, car la bouche du Seigneur a parlé. »
Une voix dit : « Proclame ! », et j’ai dit : « Que dois-je proclamer ? » – « Toute chair est comme l’herbe, et toute sa loyauté est comme la fleur des champs. L’herbe sèche et la fleur fane quand le vent du Seigneur souffle dessus. » – « Vraiment, le peuple est pareil à l’herbe : l’herbe sèche et la fleur fane, mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais. »
« Monte sur une haute montagne, toi qui portes une bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : Voici votre Dieu ! Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras le rend souverain. Voici : son salaire est avec lui, et devant lui, sa récompense. Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte en son sein, il mène les brebis qui allaitent. »
Nous sommes dans la seconde moitié du vie siècle. Une bonne partie du peuple de Jérusalem et de Judée a été déportée en Babylonie à la suite d’une défaite cuisante face aux armées de Nabuchodonosor. Ces gens sont désemparés, perdus ; leur avenir est incertain, ils ne savent à quel saint se vouer (si je puis dire). C’est à eux qu’un disciple d’Isaïe adresse un message de consolation de la part de Dieu. Désormais, dit-il, le peuple a payé pour avoir rompu l’alliance avec son Seigneur. Il n’y a donc plus de raison qu’il reste asservi aux Babyloniens. Voilà ce dont le prophète doit convaincre les gens de Jérusalem en « parlant à leur cœur ». Écarté par les siens, le Seigneur était loin, mais voilà qu’il revient. Il va à nouveau révéler qui il est (sa gloire) : un dieu qui pardonne, qui console, qui rétablit la relation rompue, signe de sa fidélité, de son respect de la parole donnée.
Mais pourquoi tracer une route pour le Seigneur ? C’est qu’il s’est éloigné – Ézéchiel n’a-t-il pas dit qu’il était allé rejoindre les déportés ? Mais pour revenir de Babylonie, la route à travers le désert est longue et les obstacles ne manquent pas. C’est ici que les interlocuteurs du prophète ne peuvent rester inactifs. Accueillir la bonne nouvelle d’un Dieu qui revient à eux suppose qu’ils y mettent du leur, se donnent à faire pour permettre au Seigneur de les rejoindre. Cela dit, la description de la tâche à réaliser pour préparer ce chemin est suffisamment irréaliste pour que l’on comprenne qu’il ne s’agit pas de sortir les bulldozers et d’aménager une autoroute rectiligne à travers le désert. C’est dans le désert des cœurs ravagés par l’épreuve qu’il s’agit de lever les obstacles qui risquent d’empêcher ou de ralentir la venue de Dieu, d’offusquer le rayonnement de sa gloire quand elle se révélera. Ainsi, la concrétisation de la bonne nouvelle du pardon offert par le dieu de miséricorde résultera de la synergie entre l’initiative du Seigneur et son accueil actif par ceux à qui elle est destinée. Dieu d’alliance, le dieu d’Israël prend au sérieux son partenaire et ne le prive ni de sa liberté ni de sa responsabilité.
Une voix se fait alors entendre (que les liturges ont fait taire !). J’y entends la voix d’un ou de plusieurs opposants qui interpellent le prophète : « Proclame, vas-y, cause toujours »… Le prophète prend la balle au bond : « Que voulez-vous que je proclame ? » Et les autres d’enchaîner, sceptiques : « Les humains ne sont rien, ils ne font que passer comme l’herbe. Leur capacité à être loyaux et bienveillants est nulle : elle est plus qu’éphémère, comme les fleurs. Que Dieu souffle sur eux, et c’est fini ! » Le prophète, sans rien dire de la loyauté humaine, comme s’il n’était pas d’accord sur ce point, concède néanmoins : « Le peuple – dit-il – est pusillanime, instable, d’accord. Et sa vie ne fait que passer ». Mais l’essentiel n’est pas là ! « L’essentiel – ajoute-t-il – c’est que la parole de notre Dieu tient bon. Quelles que soient les fragilités du peuple, lui reste loyal, fidèle, généreux ». On peut donc s’appuyer sur lui, et son annonce de salut ne restera pas sans lendemain.
Dieu prend alors la parole, comme pour couper court à la discussion qui risque d’être stérile. Et puisque le prophète vient de proclamer que sa parole est fiable, il l’invite à s’adresser de nouveau aux habitants de Jérusalem (Sion) et des villes de Judée ravagées par les troupes de Nabuchodonosor. À ces villes, aussi, la bonne nouvelle doit être annoncée. Aussi le prophète ne doit-il pas craindre les contradicteurs ! Et la bonne nouvelle, c’est celle-ci : Dieu revient vers ces communautés pour être à nouveau leur Seigneur. Comme un berger, il nourrit son troupeau, aussi bien les gens qui ont été déportés que ceux qui étaient restés au pays de Juda. Il rassemble ainsi tous ses agneaux ; il en prend soin, réservant une attention particulière à celles et ceux qui réclament davantage d’attention et de sollicitude. Voilà comment Dieu entend commencer à consoler son peuple, à le réconforter.
Baptême de Jésus (Luc 3,15-16.21-22)
Or le peuple [venu auprès de Jean le Baptiste] était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ. Jean répondit alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, le plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera avec le souffle saint et le feu. […] » […]
Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
Ce petit collage entre deux morceaux du récit de Luc concernant le Baptiste est tout à fait artificiel. Inutile d’épiloguer. Il suffit de renvoyer au commentaire du premier extrait lu le 3e dimanche de l’Avent C (Luc 3,10-18). Il n’y a pas si longtemps, donc. Ce collage maladroit a malgré tout un avantage : il rapproche deux brefs textes qui situent Jésus par rapport à ses prédécesseurs et par rapport à ses contemporains.
Dans le premier extrait, le Baptiste se situe par rapport à celui qui doit venir, à propos duquel tous se demandent s’il n’est pas le messie. Et comme Jean représente en quelque sorte tous les prophètes de l’Ancien Testament, c’est la question du rapport entre la première alliance et Jésus qui est en cause. Le baptême d’eau est dans la ligne des prophètes qui appellent à la conversion, cet effort toujours à reprendre pour se rapprocher de Dieu et chercher à être fidèle à sa loi. Annoncé par le prophète Ézéchiel (36,26-28), le baptême dans l’Esprit – celui que Jésus amène – rend possible une nouvelle alliance, car il ne s’agit plus d’efforts à produire par les humains, mais d’une transformation du cœur par Dieu lui-même : « C’est mon Esprit que je mettrai en vous. Ainsi, je vous ferai suivre mes prescriptions, garder et respecter mes règles » (v. 27). Ainsi, « celui qui baptise dans l’Esprit saint » permet une véritable renaissance qui accorde l’être à Dieu. Il est en cela infiniment « plus fort » que tous les prophètes qui l’ont précédé et n’ont pu qu’annoncer que Dieu le susciterait un jour.
Pour situer Jésus par rapport à ses contemporains, Luc raconte comment il est baptisé comme tout le peuple. Lui qui est « le plus fort » ne se présente pas comme supérieur. Il entre dans l’humble démarche de conversion proposée par Jean, une démarche qui – selon l’enseignement de ce dernier (cf. 3,10-14) – signifie le désir d’entrer dans le partage, la droiture, le refus de la violence, et la sobriété. Ainsi solidaire du peuple, Jésus se tourne aussi vers Dieu dans la prière, et celui-ci se manifeste (le ciel s’ouvre) : il envoie son Souffle saint sur celui qui en baptisera le peuple, un Souffle qui, comme la colombe sur les eaux du déluge, est signe de paix, de réconciliation et d’alliance. Puis il lui dit qu’il est son fils bien-aimé : il le donne ainsi au peuple au milieu duquel il se tient, en en faisant son roi, le messie sauveur.
Baptême du chrétien (Lettre à Tite 2,11-14 ; 3,4-7)
Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les humains. Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. […]
Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les humains, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce, nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle.
Ce que Jean annonçait, l’auteur de la lettre à Tite l’actualise pour les chrétiens et il en dévoile le sens dans le passage retenu comme 2e lecture pour ce dimanche. Comme le dit la seconde partie de l’extrait, le don de l’Esprit au baptême fait que Dieu considère la personne comme juste, non en raison de ses actes ou de ses mérites, mais par pure bienveillance, par pure miséricorde. Il lui signifie ainsi son espoir de voir se réaliser en cette personne la promesse d’une vie sur laquelle la mort n’aura aucun pouvoir.
Le début de l’extrait l’a cependant dit d’emblée : ce salut entièrement gratuit de Dieu est destiné à tous les humains. Il est cependant en devenir. Au départ, Jésus a fait don de lui-même pour arracher les humains à leurs erreurs et faire d’eux un peuple plein de zèle pour le bien. Au terme, sa gloire en partie cachée éclatera pleinement et l’on verra le caractère décisif de ce don dans l’histoire. Entre-temps, c’est aux croyants d’être cohérents avec la grâce reçue. « Renoncer à l’impiété », à une façon de vivre qui ne tiendrait pas compte de la bienveillance miséricordieuse de Dieu. Dire non aux convoitises qui mènent le monde (tout, tout de suite, tout le temps)… et le mènent à sa perte. Vivre le présent, donc, avec sagesse et justice, selon le désir de Dieu. C’est ainsi que les croyants se conformeront au don que Jésus a fait de lui-même, dans l’espérance que son fruit de vie s’accomplisse en eux.
André Wénin
[1] Ce passage d’Isaïe est lu aussi le 2e dim. de l’Avent B. Mais j’ai beaucoup revu mon commentaire et j’y ai ajouté un paragraphe concernant les v. 6-8, censurés dans le lectionnaire de l’Église romaine.