La Nativité du Seigneur

Temps liturgique: Temps de Noël
Année liturgique: C
Date : 25 décembre 2021
Auteur: André Wénin

Noël (messe du jour [1])

« Chantez au Seigneur un chant nouveau, car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire »
(Psaume 98,1)

La consolation de Jérusalem (Isaïe 52,7-10)

Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager de bonne nouvelle, celui qui annonce la paix, du messager de bonheur, celui qui annonce le salut, en disant à Sion : « Il règne, ton Dieu ! » Une voix : tes guetteurs élèvent la voix, tous ensemble ils crient de joie car, les yeux dans les yeux, ils voient le retour du Seigneur à Sion. Éclatez en cris de joie, toutes ensemble, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! Le Seigneur a déployé son bras de sainteté aux yeux de toutes les nations et toutes les extrémités de la terre verront le salut de notre Dieu.

Cet oracle de salut fait écho au début du chapitre 40 du livre d’Isaïe qui annonce la consolation d’Israël et de Jérusalem (versets 1-11). Il s’adresse à celles et ceux qui ont été déportés en Babylonie, ou sans doute plutôt à leurs enfants nés en exil, mais élevés dans la fidélité à leurs racines et dans le refus de se laisser assimiler par la population du pays des bourreaux de leurs parents. (Une soixantaine d’années ont passé, en effet, depuis la première déportation). Ici, le prophète prend le point de vue de Jérusalem, Sion, une ville en ruine, qu’il invite à la joie, à la jubilation, car elle va bientôt renaître de ses cendres.

En soi, il est plutôt paradoxal d’inviter des ruines à sauter d’allégresse. Mais ici, c’est différent : un messager bondissant sur les montagnes arrive de Babylone avec de bonnes nouvelles : il annonce la paix, le bonheur, le salut. Le malheur va donc laisser la place à une prospérité nouvelle, car celui qui règne n’est pas le roi de Babylone qui a pris Jérusalem et l’a mise à sac – ce que beaucoup ont compris comme la défaite du dieu d’Israël, vaincu par celui des Babyloniens. Le seul roi, c’est le dieu de Jérusalem. Un temps, juste retour des choses, il a abandonné le peuple qui l’avait abandonné. Mais à présent, le messager l’annonce : Dieu a repris les rênes, il règne à nouveau, pour la paix et le bonheur de son peuple.

La voix des guetteurs proclame alors l’incroyable nouvelle. Eux qui sont chargés de surveiller les abords de la ville pour l’avertir de possibles dangers, cette fois, ils ne lancent pas d’alerte : leurs cris sont de joie ! Une fois arrivée la bonne nouvelle du messager, ils guettaient sa concrétisation. Cette fois, ils n’en croient pas leurs yeux : c’est Dieu qui leur revient, consolation pour le peuple, signe qu’il va le « racheter ». En d’autres termes, il va agir comme quelqu’un qui ne laisse pas son proche parent dans la dèche, mais restaure en même temps son droit et sa dignité. Mais que Jérusalem n’aille pas croire que le Seigneur agit seulement pour ses beaux yeux : en rachetant son peuple, Dieu manifeste qui il est à la vue de toutes les nations. Bien sûr, c’est en faveur de Jérusalem qu’il « déploie son bras de sainteté » – en clair : en utilisant sa force (« son bras ») pour relever, pour sauver son peuple, il montre sa « sainteté », sa différence, car il agit autrement que les puissants ou les autres dieux qui punissent et oppriment. Ainsi, en sauvant Israël, le Seigneur espère se faire remarquer jusqu’aux extrémités de la terre et attirer les nations à lui.

Une parole lumière (Jean 1,1-18)

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des humains ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.

Il y eut un humain envoyé par Dieu ; son nom était Jean. Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet humain n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière. Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout humain en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu vers ce qui est à lui, et ceux qui sont à lui ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ce n’est pas du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme, mais de Dieu qu’ils ont été engendrés. Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.

Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant : « C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. » Tous, nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ; car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.

L’auteur du 4e évangile entame son écrit autrement que Matthieu et Luc. Loin d’évoquer la naissance de Jésus par des récits pleins de charme mais à la dimension théologique appuyée, il choisit de renouer avec le grand récit qui démarre à la première page de la Genèse : « Au commencement ». Il en donne d’ailleurs une exégèse. Car au chapitre 1 de la Genèse, la création est initiée par la parole divine : « Qu’il y ait de la lumière ». Ah oui ! Pardon ! Le « Verbe » de la traduction n’a rien à voir avec ce que ce mot désigne en français courant. C’est un liturgisme calqué sur le latin verbum, un mot qui signifie « parole »… et qui masque le sens du texte évangélique sous une couleur ésotérique.

Donc, au commencement – plus exactement « au fondement » car ici, le commencement n’est pas d’abord une notion chronologique – au fondement, donc, il y a le Dieu-parole. Et quand il parle, il fait surgir tout un univers, comme le dit Genèse 1 qui raconte le surgissement des éléments du monde, surgissement scandé par la parole du créateur. Une parole vive qui fait vivre, une parole qui est lumière et fait brèche dans l’obscurité : « Et Dieu dit : “Qu’il y ait de la lumière“, et il y eut de la lumière. Et Dieu vit que la lumière était bien, et il sépara la lumière des ténèbres » (Gn 1,3-4). Ainsi donc, la lumière est manifestation de Dieu, et le monde est un message qu’il adresse aux créatures, aux humains en particulier. Tout ce qui est, existe par une parole de Dieu, et parle donc de Dieu.

Comme tous les prophètes qui l’ont précédé, Jean rend témoignage à la parole divine dont la fonction est de faire jaillir la lumière pour éclairer le chemin des humains. Son but, comme celui de tous les prophètes, c’est que les humains croient en ce Dieu dont la parole est vie et qui tente de faire reculer les ténèbres pour que cette vie donnée puisse s’épanouir. Mais même si le monde est cette parole de vie que Dieu adresse à tous et à chacun, les humains ne l’ont pas reconnue. Alors, la parole est venue en Israël – ce peuple qui est à Dieu par l’alliance – mais ceux qui sont « les siens » ne l’ont pas accueilli. (Tel est du moins l’avis de l’évangéliste qui ne tient pas les Juifs en très haute estime, c’est le moins que l’on puisse dire !) Il est néanmoins des humains, à commencer par Abraham, qui ont accueilli la lumière de la Parole et ont vécu une nouvelle naissance.

Après avoir inlassablement envoyé ses prophètes dans l’espoir que sa parole soit reçue, Dieu a fait un pas de plus dans la même ligne : la parole est devenue chair, et c’est ce dont témoignent l’évangéliste et sa communauté (le « nous » dont il parle). La parole-chair a planté sa tente au sein du peuple, comme autrefois la Tente qui accompagnait Israël dans sa marche au désert, présence mystérieuse de son allié divin. C’est ce peuple qui, aujourd’hui, témoigne : il a vu en cet humain la gloire même de Dieu ; il a reconnu en lui le Fils qui incarne la bienveillance fidèle (la « grâce ») et la présence fiable (la « vérité ») de Dieu. Et de même que Jean le Baptiste, à l’instar de tous les prophètes, a témoigné de la parole lumière de Dieu, il a aussi témoigné de la présence de la parole-chair en la désignant à ceux qui l’écoutaient.

Ce témoignage de Jean, c’est la communauté qui le porte à présent, après avoir reçu de la parole-chair tant de grâce. Et elle témoigne : Moïse a donné la Loi qui enseigne comment plaire à Dieu ; mais à travers Jésus, le Christ, Dieu a manifesté ce qu’il est en vérité dans sa bienveillance gratuite et à jamais fidèle. Par ce qu’il a été – une parole lumière – il a déployé aux yeux de tous ce qu’est le dieu invisible et indicible. Et il a ouvert à tous les humains un chemin pour naître à nouveau, pour être « engendrés par Dieu », donnés à eux-mêmes par celui qui dit « que soit lumière ».

Voilà comment l’auteur du 4e évangile entame son livre. Il témoigne de l’expérience qu’il a faite en naissant à nouveau grâce à Jésus reconnu comme Christ. Et il a vu d’autres parcourir eux aussi ce chemin, apprenant à voir le monde comme un message d’amour du dieu de vie. Aussi, par son récit, va-t-il témoigner de façon à inviter la lectrice, le lecteur à aller à Jésus, à écouter sa parole, à se laisser prendre par sa lumière et à répondre à l’invitation de Dieu à vivre pleinement, de manière à refléter à son tour quelque chose de cette lumière.

André Wénin


[1] Pour le commentaire des lectures de la messe de la nuit, voir Noël - année B.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin