32ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 7 novembre 2021
Auteur: André Wénin


« Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin. »
(Psaume 146,8-9)

La force de la confiance (1er livre des Rois 17,10-16)

[Élie] se leva et alla à Sarepta, et il parvint à l’entrée de la ville. Et voici, là, une femme, une veuve ramassait du bois ; il l’appela et dit : « Veux-tu prendre pour moi, avec ta cruche, un peu d’eau pour que je boive ? » Elle alla [en] prendre. Et il l’appela et dit : « Veux-tu prendre pour moi un morceau de pain dans ta main. » Elle dit : « Par la vie du Seigneur ton dieu : je n’ai rien de cuit, mais seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Et voici que je ramasse deux morceaux de bois, je vais rentrer préparer pour moi et pour mon fils : nous mangerons, puis nous mourrons. » Élie lui dit : « Ne crains pas, va, fais ce que tu as dit. Mais avec cela, fais-moi d’abord une petite galette et apporte-moi ; pour toi et ton fils, tu en feras après. Car ainsi parle le Seigneur, dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie sur la face de la terre. » Et elle alla et fit ce qu’Élie avait dit, et elle mangea, lui, elle et sa maisonnée pendant longtemps. La jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait dit par l’intermédiaire d’Élie.

Comment interpréter un récit auquel on a coupé la tête ? Selon l’extrait liturgique, « Élie le prophète part pour Sarepta » de sa propre initiative… Selon le récit biblique, Élie n’a pas (encore) été appelé « prophète » ; et s’il part à Sarepta, il le fait sur ordre du Seigneur. Voici le début de l’épiso­de : « La parole du Seigneur lui fut adressée [à Élie] : “Lève-toi, va à Sarepta qui appartient [au territoire de] Sidon et demeures-y. Voici, j’ai ordonné à une femme, une veuve, de te nourrir.” » (v. 8-9). De la suite du récit, on déduira qu’une sécheresse prive la région de toute fertilité. Mais il faut savoir aussi que le responsable de cette sécheresse est Élie lui-même qui l’a décrétée de sa propre autorité pour prouver au roi d’Israël qu’il a tort de mettre sa foi dans le dieu cananéen de la pluie, Baal, en se détournant du Seigneur de son peuple (voir 17,1). Après avoir été mis à l’abri et nourri par le Seigneur lui-même (17,2-6), Élie est rattrapé par la sécheresse (17,7). C’est pourquoi Dieu l’envoie hors d’Israël, à Sarepta, lui ordonnant de s’en remettre à une veuve pour sa survie ! Lui qui tutoie les rois les yeux dans les yeux, va-t-il s’abaisser ainsi ? Et la femme – une veuve qui n’est sans doute pas riche et qui est victime elle aussi de la sécheresse – acceptera-t-elle de nourrir cet étranger sur ordre d’un dieu qui n’est pas le sien ? Élie en tout cas obéit à l’ordre du Seigneur.

Arrivé à destination, Élie voit une femme qui correspond à celle dont Dieu lui a parlé. Et comme il lui a dit qu’elle devrait le nourrir, il demande de l’eau, puis aussitôt après, une petite galette de pain. Cela devrait lui permettre de vérifier qu’il s’agit bien de la veuve en question. La confirmation ne se fait pas attendre : « Par la vie du Seigneur ton dieu », dit la femme, en prêtant ainsi serment. C’est donc bien elle : elle a bel et bien reçu un ordre du Seigneur et a reconnu en Élie l’homme dont il lui a parlé. Visiblement, elle a préparé sa réponse. Elle décrit en effet son extrême dénuement de façon très concrète mais avec beaucoup de dignité : sans se plaindre, sans appeler au secours, elle laisse Élie imaginer le sort pitoyable qui l’attend, elle et son fils, deux êtres totalement démunis et résignés à mourir. Avec beaucoup de finesse, elle insère sa réponse dans une opposition entre « Vivant (est) le Seigneur ton dieu » et « nous mourrons ». Le contraste est puissant entre le dieu qui lui a ordonné de nourrir un résident étranger, et la mort inévitable pour elle et son fils. La femme veut-elle ainsi mettre au défi ce dieu, qu’elle prend à témoin ? Ce « dieu vivant », qui lui envoie cet homme lui demander du pain, peut-il l’abandonner à la mort ? En tout cas, si elle meurt, elle ne pourra pas obéir à son ordre et nourrir Élie.

Cette réponse inattendue met Élie au pied du mur. Que va-t-il répondre ? Comme la femme vient d’évoquer la mort qui l’attend, il commence par la rassurer, puis il lui dit de faire ce qu’elle a dit elle-même (« Fais selon ta parole ») : rentrer et préparer le peu de nourriture qui lui reste pour elle et son fils. Mais pour que ces gestes ne débouchent pas sur la mort, elle doit modifier un peu cet ultime projet. Ainsi, malgré ce qu’il a appris du dénuement de la veuve, Élie maintient sa requête. Mais le ton est plus tranchant. Ce n’est plus une demande, mais un ordre : qu’elle lui prépare une petite galette. Il ne la prive pas de son dernier repas, mais lui demande de renoncer à une partie de ce qu’elle a et de la lui préparer en priorité avant de penser ensuite à elle et son fils. C’est alors qu’il ajoute ce qu’il présente comme une parole du dieu d’Israël, tout en reprenant des mots entendus dans la bouche de la veuve : « Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie sur la face de la terre. » Voilà pourquoi elle n’a pas à craindre la mort : le peu qui lui restera quand elle aura préparé du pain pour Élie ne s’épuisera pas tout le temps que durera la sécheresse.

D’où Élie tire-t-il cette promesse ? Le récit n’enregistre aucune parole divine en ce sens. En réalité, cette promesse à la veuve montre qu’il a pris au sérieux l’ordre initial de son dieu (celui que les liturges ont supprimé !). Si le Seigneur lui a dit qu’il prenait des dispositions pour que cette pauvre veuve le nourrisse pendant qu’il demeurera à Sarepta, c’est qu’il est prêt à lui en donner les moyens – ce que la femme sous-entendait en mettant le Seigneur au défi. Et puisqu’elle n’a presque plus de provisions chez elle, un des moyens possibles de garantir leur vie est celui dont parle Élie : Dieu ne permettra pas que les quelques vivres s’épuisent avant que la pluie revienne rendre à la terre sa fertilité. La réponse du prophète à la femme est dès lors un acte de foi en la parole de Dieu qui, au moment de l’envoyer s’établir dans le pays de Sidon, lui a dit qu’il veillerait à ce qu’il y soit nourri par cette femme.

Mais la femme va-t-elle croire Élie ? Cette promesse suffit-elle à la rassurer sur son sort ? La suite montre que oui : « Elle alla et elle fit selon la parole d’Élie » (v. 15a). Alors que ce dernier vient de lui dire « Va et fais selon ta parole » (v. 13a), c’est à sa parole à lui que la femme se conforme. Ce qui suscite sa confiance est ce que son interlocuteur lui a dit. Et cette confiance paie : « et elle mangea, lui, elle et sa maisonnée pendant longtemps ». L’ordre des pronoms est curieux, mais reflète la parole d’Élie : il mange d’abord, puis elle et son fils. Et ce n’est pas là un dernier repas, mais le premier d’une longue série qui va durer longtemps et profitera non seulement à Élie, à la veuve et à son fils, mais à toute une maisonnée. Car la promesse d’Élie se réalise avec une exactitude sans faille : « La jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait dit par l’intermédiaire d’Élie ».

Les derniers mots de l’épisode sont significatifs. Alors qu’Élie avait dit à la femme « Fais selon ta parole » (v. 13a), celle-ci « fit selon la parole d’Élie » (v. 15). Mais en finale, les choses se passent « selon la parole du Seigneur » (v. 16). Ainsi, quand la femme met en œuvre la parole d’Élie plutôt que la sienne propre, celle du Seigneur s’accomplit. En d’autres termes, c’est la confiance de la veuve en ce que dit Élie, qui permet à Dieu de réaliser la promesse que le prophète a prononcée en son nom. De la sorte, les deux parties de la parole d’Élie aux versets 13-14 sont accomplies l’une après l’autre : l’ordre « fais-moi d’abord une petite galette et apporte-moi » l’est par la femme (v. 15, voir v. 13), et la promesse « Jarre de farine point ne s’épuisera » l’est par le Seigneur au moyen du miracle (v. 16, voir v. 14). Mais cette promesse est la traduction par Élie de sa foi en Dieu qui lui a dit qu’il serait nourri par une veuve à Sarepta. Ainsi, la foi d’Élie a suscité celle de la veuve, et ce double acte de confiance permet au Seigneur de tenir parole et à la vie de triompher.

Une autre veuve (Marc 12,38-44)

Dans son enseignement, Jésus disait (à la foule) : « Attention aux scribes, qui aiment se promener en vêtements d’apparat et être salués sur les places publiques, recevoir les sièges d’honneur dans les synagogues et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront plus sévèrement jugés. »

Et assis dans le Temple en face de la salle du trésor, il regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches mettaient beaucoup. Une pauvre veuve vit et mit deux pièces, une toute petite somme. Appelant ses disciples, il leur dit : « Amen, je vous dis que cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres qui mettent dans le Trésor. Car tous, ils ont mis de leur superflu, mais elle, de son nécessaire : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

Quand on lit ce passage de Marc, on comprend ce qui a poussé le liturge à décapiter le récit du livre des Rois. Il n’était intéressé que par une chose : le don d’une pauvre veuve, celle de Sarepta anticipant celle du temple. À quoi bon, alors, allonger la lecture en gardant un ordre du Seigneur à Élie qui n’a rien à voir (aux yeux de notre cher liturge) avec le don de la veuve…

Cela dit, le passage retenu pour ce dimanche comprend deux parties. La première est une critique acerbe des spécialistes de la Loi qui se font mousser en soignant leurs apparences et en revendiquant pour eux les premières places. À défaut de posséder une autorité réelle, ils se parent de ses atours pour donner le change. Il faut donc s’en méfier comme de la peste. D’autant que ces dehors de gens bien sous tous rapports, qui aiment aussi s’exhiber en prière, cachent une cupidité d’autant plus révoltante qu’elle s’en prend à des personnes vulnérables comme les veuves. Ces gens transgressent ainsi les deux grands commandements que Jésus vient de rappeler (Marc 12,29-30) : l’amour de Dieu et du prochain. Cette transgression est rendue invisible par de brillantes apparences, et cela, sans doute à leurs propres yeux. Un tel aveuglement leur vaudra une condamnation des plus sévères.

L’autre scène met au centre une de ces veuves d’autant plus vulnérables qu’elles sont souvent dans l’indigence. Comme dans le cas des spécialistes de la loi, Jésus perçoit la vérité cachée sous les apparences. Tous les riches qui mettent de gros dons dans le tronc destiné à recueillir les offrandes pour le temple le font probablement de façon ostentatoire, selon le comportement de ces scribes qui se donnent de l’importance. Parmi eux, la veuve désargentée noyée dans la foule passera certainement inaperçue, sauf si certains la regardent de haut : deux minables piécettes ! Mais c’est elle que Jésus remarque avant d’attirer sur elle l’attention de ses disciples. Dans sa parole, on peut voir toute son admiration envers celle qui donne à Dieu, littéralement, « sa vie entière » – à l’image de ce que Jésus lui-même s’apprête à faire. Mais puisque cette parole de Jésus fait voir comment cette femme donne de son nécessaire au trésor du temple qui est aux mains de ceux « qui dévorent les biens des veuves », elle peut susciter un sentiment « de dérisoire et d’absurde » (C. Focant).

André Wénin

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin