25ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 19 septembre 2021
Auteur: André Wénin

 

« C’est dans la paix qu’est semée la justice,
qui donne son fruit aux artisans de la paix. »
(Lettre de Jacques 3,18)

Parole des méchants… (Sagesse de Salomon 2,12.17-20)

Ceux qui méditent le mal se disent en eux-mêmes : « Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie, il s’oppose à nos entreprises, il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu, et nous accuse d’être infidèles à notre éducation. […] Voyons si ses paroles sont vraies, regardons comment il en sortira : si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera, et l’arrachera aux mains de ses adversaires. Soumettons-le à des outrages et à des tourments : nous saurons ce que vaut sa douceur, nous éprouverons sa patience. Condamnons-le à une mort infâme, puisque, dit-il, quelqu’un interviendra pour lui.

En donnant la parole à « ceux qui trament le mal », l’auteur de la Sagesse démonte leur logique. Ils perçoivent le juste comme un ennemi. Sa seule présence, sa façon d’être dénoncent en effet leur fausseté, dévoilent la malignité de leurs agissements et mettent en lumière l’ampleur de leur infidélité aux valeurs transmises par le judaïsme. C’est que – disent-ils – le juste prétend connaître Dieu et vit à contre-courant en s’éloignant de ceux qui se compromettent avec le mal. Il annonce que les justes connaîtront le bonheur et qu’il a Dieu pour père – ajoute le sage dans des phrases tombées sous la censure romaine (v. 13-16).

Dans l’esprit des méchants, le mal qu’ils trament contre le juste sera comme un test. Ils préméditent même une tactique en trois temps, de plus en plus violents. Premier temps : attirer le juste dans un piège permettra de voir s’il croit vraiment ce qu’il dit ou s’il y renonce devant l’adversité. Si le sage est vraiment fils de Dieu, comme il l’affirme, il ne devrait pas avoir de peine à s’en sortir, car son dieu sera à ses côtés pour le soustraire à ses adversaires. Deuxième temps : lui infliger des outrages corporels, le soumettre à des tourments moraux permettra de tester sa (prétendue) douceur : ne réagira-t-il pas avec violence ? Se montrera-t-il endurant, à la longue ? Troisième temps : le condamner à la mort, mais à une mort honteuse, celle d’un maudit : puisqu’il proclame que le sort final des justes sera le bonheur, forcément « quelqu’un » le tirera de ce mauvais pas. En attendant, ils seront débarrassés de celui qui est pour eux un reproche vivant. Mais, poursuit le sage, « ainsi raisonnent-ils, mais ils se trompent : leur perversité les aveugle ! »

On ne sait pas si celui qui a écrit ces lignes pensait à un individu – comme le Serviteur du Seigneur d’Isaïe ou le Juste du Psaume 22 – ou plus largement, à tous les innocents victimes de persécution. Toujours est-il qu’il n’a pas été difficile aux chrétiens des premières générations de rapprocher un tel texte de ce que les récits évangéliques racontent des adversaires de Jésus : ils sont bien allés jusqu’à le mener au supplice. Mais Dieu a pris parti pour lui et l’a relevé de la mort infâme qu’ils lui ont imposée. 

Qui est le premier ? (Marc 9,30-37)

Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant: « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il se relèvera. » Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils craignaient de l’interroger. Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. » Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa et leur dit : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » 

J’imagine que la 1re lecture a été choisie en écho avec l’annonce par Jésus de sa mort et de sa résurrection par Dieu, annonce qui se trouve au début de ce passage de Marc. Cependant, ceux qui ont condamné Jésus à mort ne sont pas comme les méchants que dénonce le sage. En effet, ils ont agi avec l’idée qu’ils défendaient l’honneur de Dieu et de sa Loi contre un imposteur. Ainsi, la mort de Jésus dévoile au grand jour de quelle violence peuvent se rendre coupables des gens qui croient être des justes au regard de la Loi. Le pire sous les dehors du meilleur ! Des apparences que Dieu démasque en cassant le jugement des hommes et en réhabilitant celui qu’ils ont condamné.

Non seulement les disciples n’ont pas compris ce que Jésus leur disait de ce qui allait lui arriver, mais ils n’ont évidemment pas saisi non plus les incidences de ses paroles. Le fait qu’ils aient discuté pour savoir qui est le plus grand le montre à l’évidence. Et même eux en ont l’intuition puisqu’ils ne répondent rien à Jésus quand il leur pose la question de savoir de quoi ils ont parlé. Chercher à savoir qui est le plus grand, vouloir classer les gens selon leur importance, c’est penser que les rapports humains sont une question de supériorité et d’infériorité. Mais cela ne peut mener qu’à une chose : juger en s’en tenant aux apparences.

En une phrase, Jésus démasque la logique des disciples en la renversant : le premier, c’est celui qui se fait le dernier et se met au service des autres. Voilà le sens de la Passion qu’il a évoquée : il va se faire le serviteur de tous jusqu’au bout, et montrer de cette manière le chemin de la vraie vie. C’est en prenant le même chemin qu’un véritable disciple tentera d’atteindre la seule « grandeur » qui vaille aux yeux de Dieu. Et à propos de l’enfant qu’il place au milieu d’eux, Jésus leur montre ce qui est crucial pour devenir humain : non pas regarder vers ceux qui semblent être les plus grands ou se présentent comme tels, mais accueillir les plus fragiles. Voilà ce qui permet d’accueillir Dieu et sa logique paradoxale.

Jalousie ou sagesse ? (Lettre de Jacques 3,16–4,3) 

Là où il y a jalousie et esprit de rivalité, il y a désordre et toute espèce d’action malfaisante. Au contraire, la sagesse d’en haut est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie.

C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit à ceux qui œuvrent à la paix. D’où viennent les guerres, d’où viennent les conflits entre vous ? N’est-ce pas justement de ces désirs qui mènent leur combat en vous-mêmes ? Vous êtes pleins de convoitises et vous n’obtenez rien, alors vous tuez ; vous êtes envieux et vous n’arrivez pas à vos fins, alors vous entrez en conflit et vous faites la guerre. Vous n’obtenez rien parce que vous ne demandez pas ; vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser pour vos plaisirs.

En évoquant la « sagesse d’en haut », l’auteur de la lettre de Jacques se montre plein de sagesse. Non seulement il décrit positivement la sagesse qui vient de Dieu, mais il pointe également du doigt son contraire : l’envie, la jalousie, et le mal qu’elles produisent. Il est utile de proposer des valeurs. Mais c’est pécher par idéalisme que ne pas évoquer les comportements qui empêchent d’en vivre et ne pas chercher à être lucide sur ce qui les provoque. Il est aussi important de comprendre pourquoi la sagesse est nécessaire : parce que, en œuvrant à la paix, elle est source de justice et permet d’en recueillir les fruits.

Si la paix – intérieure et entre les personnes – est aussi importante pour la justice, il est capital de se demander ce qui génère son contraire, à savoir les guerres et les conflits qui transforment les frères en ennemis ? Ici, l’auteur pointe la convoitise – ce qu’il nomme au début « jalousie et esprit de rivalité ». La convoitise, c’est ce désir qui, faute d’être canalisé ou maîtrisé, pousse à s’emparer de tout, et de préférence tout de suite (selon Jacques, il mène même la guerre en nous pour s’imposer). Elle est là, la racine de tout ce qui a un lien avec la guerre. Car la convoitise empêche de voir en l’autre un sujet qui, lui aussi, a des désirs légitimes. Vu au prisme déformant de la convoitise, l’autre est comme un rival qui a ce que je veux ou qui veut me prendre ce que je veux garder pour moi ; il est pris comme un objet dont je cherche à m’accaparer, que je veux pour moi seul ; il est perçu comme un instrument qui, au service de mes désirs, m’aide à acquérir ce que je veux ou à le garder. Mais dans tous ces cas, l’autre n’existe pas en lui-même, il est satellisé par mon désir. Dès le départ, la convoitise le tue en tant qu’autre, en tant que sujet en tant que partenaire possible, en tant que frère. D’où les conflits, les guerres, les meurtres (physiques ou moraux).

Pourtant, ajoute Jacques, obtenir ce que l’on désire peut se faire autrement qu’en cherchant à le saisir de force sous l’emprise de la convoitise : c’est demander. Mais, demander, c’est se reconnaître manquant, c’est se mettre en position seconde vis-à-vis d’autrui, c’est respecter sa volonté, son désir, sa personne. C’est aussi consentir à attendre, voire être prêt à renoncer. C’est souhaiter la rencontre avec l’autre autant, sinon plus, que la possession de l’objet désiré. C’est un chemin de sagesse, un chemin de paix qui conduit à la justice. Un chemin qui n’est pas loin de celui que Jésus suggère aux disciples quand il leur dit de se faire serviteurs.

André Wénin

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin