23ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 5 septembre 2021
Auteur: André Wénin


« Dieu n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde 

pour en faire des riches dans la foi ? »
(Lettre de Jacques 2,5a)

Un salut réjouissant (Isaïe 35,4-7a)

Dites à ceux dont le cœur s’affole : « Soyez forts, ne craignez pas.
Voici votre Dieu : la vengeance arrive, la revanche de Dieu.
Il vient lui-même pour vous sauver. »

Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds s’ouvriront.
Alors comme un cerf bondira le boiteux, et criera de joie la bouche du muet ; 
car jailliront dans le désert des eaux, des torrents dans la steppe.
La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif, en jaillissements d’eaux.

Encore une fois, le texte du prophète est extrait de son contexte. Dans le chapitre précédent, Isaïe a annoncé un jugement de Dieu contre les nations qui ont combattu Israël, en particulier Édom dont le contentieux avec Jérusalem va être enfin réglé. Mais ce jugement n’est pas le mot de la fin. Celui-ci réside dans la venue de Dieu. Les lieux habités que son jugement a transformés en un désert hanté par des bêtes sauvages vont devenir l’endroit où sa gloire va éclater : « Que se réjouissent le désert et le lieu aride, que la steppe exulte et fleurisse comme un narcisse : qu’elle fasse germer des germes, et qu’elle exulte en exultations et crie sa joie […] : ils verront la gloire du Seigneur, la splendeur de notre dieu » (Isaïe 35,1-2). Mais cet éclatement de vie joyeuse n’est pas réservé à la nature qui, débarrassée des fauteurs de mal, resplendira de la gloire du créateur. Il est destiné à s’étendre aux êtres humains qui ont souffert aussi des méchants à présent châtiés : ceux dont les bras sont affaiblis et dont les genoux flageolent verront leurs membres raffermis et revigorés (v. 3). Quant à ceux qui sont affolés par les destructions provoquées par le jugement de Dieu, il faut les rassurer : Tout cela, c’est l’œuvre d’un Dieu qui fait vengeance et qui prend sa revanche…

Ces deux termes feront sans doute problème : un dieu revanchard qui se venge, ce n’est pas très en phase avec le dieu annoncé par Jésus. Mais la difficulté relève davantage du vocabulaire de la traduction que du texte lui-même. Car le texte ne dit pas que Dieu se venge de ses ennemis, mais qu’il venge. Pour le dire avec des mots français plus adéquats, Dieu restaure la justice bafouée par ses ennemis qui s’en sont pris à des innocents. Quant à la « revanche », le terme hébreu suggère plutôt la rétribution dont Dieu est l’artisan : ceux qui se sont gardés du mal sont récompensés, tandis que ceux qui s’y sont adonnés sont rétribués en fonction de leurs œuvres. C’est sa façon de restaurer la justice au moyen d’un jugement qui fait éclater la vérité en identifiant clairement les coupables et leurs victimes. Inutile donc de s’affoler, dit le prophète à ses interlocuteurs : pour vous, ce jugement, c’est le salut qui vous réhabilite et restaure vos droits.

Poursuivant son développement, le prophète évoque avec beaucoup de poésie le salut dont il vient de parler à travers des images miniatures de renversements spectaculaires. Dans le monde humain, d’abord : des personnes malmenées par la vie voient leur handicap disparaître de manière inattendue (la syntaxe de l’hébreu évoque la surprise que provoquent ces renversements). Dans le monde de la nature ensuite, quand Isaïe reprend les lieux qu’il évoquait aux v. 1-2 (cités ci-dessus) pour expliquer enfin le miracle d’un désert qui fleurit, d’une steppe aride qui se met à bourgeonner : c’est que l’eau se met à y jaillir de façon tout aussi inattendue, et selon des modalités variées : les eaux deviennent un torrent, le torrent forme un lac et des fontaines jaillissent là où l’on mourait de soif…

Mais qui sont ces gens aux mains et jambes flageolantes, ces gens qui s’affolent et qu’il faut inviter à la confiance, parce que le jugement de Dieu est en leur faveur ? C’est toute la fin du poème (v. 8-10) qui donne la clé du mystère : « Là [dans le désert et la steppe aride], il y aura une route, un chemin, “le Chemin de la sainteté”, l'appellera-t-on. L’homme impur ne l’empruntera pas – mais il sera pour ceux qui vont [ce] chemin – et les insensés n’y erreront pas. Là, il n’y aura pas de lion, aucune bête féroce ne surgira, il ne s’en trouvera pas ; mais les rachetés y marcheront. Ceux que le Seigneur s’est acquis en les libérant reviendront, ils entreront à Sion avec des cris de joie, couronnés d’une allégresse durable. Réjouissance et allégresse les atteindront, s’enfuiront douleur et plainte. » Ainsi, ce sont ceux qui ont été déportés loin de chez eux et auxquels le Seigneur aura finalement rendu justice, qui rentreront chez eux en empruntant une route sûre, où ils n’auront rien à craindre ni de la part d’humains dévoyés, ni de la part de fauves. Car ils appartiendront désormais au dieu du salut.

Cet oracle d’Isaïe a du souffle : il n’évoque rien de moins que l’action de Dieu dans le monde, de manière à inviter à la confiance ceux qui doutent de sa présence efficace, bien que cachée, au cœur de l’histoire humaine si souvent tragique. Il parle de son sens de la justice qui n’est pas dupe des apparences, de manière à encourager les justes à tenir bon dans leurs choix de vie. Il met en évidence sa capacité à retourner des situations de mort pour y faire jaillir la vie, de manière à soutenir l’espoir de quiconque chancelle et s’affole. Il proclame sa volonté de salut, même dans les pires crises, de manière à pousser ceux qui y croient à soutenir ceux qui souffrent de ces crises. Ceux qui ont composé le lectionnaire liturgique lui ont coupé le souffle et les ailes pour en tirer une évocation assez générique du salut, sans doute pour montrer que ce salut vient par Jésus dont les miracles sont le signe que ce salut est en marche (ce que raconte l’évangile). Encore un rendez-vous manqué avec la richesse de l’Ancien Testament.

Une guérison dont il ne faut pas parler… (Marc 7,31-37)

Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et ils le supplient de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, ayant craché, il toucha sa langue. Et les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent et le lien de sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »

Nouveau récit de miracle au profit d’un sourd-muet cette fois. Jésus le réalise à la demande de gens qui se soucient du sort de cet homme et croient dans ses pouvoirs de thaumaturge. Mais, soucieux de discrétion sans doute, il s’éloigne des regards de la foule. Puis, plutôt que d’imposer les mains, comme demandé, il pose des gestes qui sont ceux d’un guérisseur de l’époque. Puis il lève les yeux au ciel – peut-être vers Dieu, mais ce n’est pas explicite – avant de grogner (comme le laisse entendre le verbe grec traduit par « soupirer » ci-dessus) un effata qui a un effet immédiat. Une telle accumulation de détails n’est pas très courante dans les récits de miracle, de même que la passivité totale de la personne qui bénéficie de la guérison. On a le sentiment que Marc cherche à mettre précisément en évidence un point sur lequel il est habituellement discret : la puissance du guérisseur opérant un miracle. Mais si Jésus est capable de faire entendre et parler un sourd-muet, il est incapable de faire taire les témoins du miracle qui ne peuvent s’empêcher de lui faire de la publicité !

Dans ce récit (à mes yeux, assez insipide comparé à la force poétique de l’oracle d’Isaïe), une insistance est toutefois remarquable : ce sont les termes soulignés dans le texte. Par quatre fois en quelques versets, la paire « oreilles et langue » est reprise sous différentes formes. Cela renvoie à la phrase d’Isaïe (34,5), mais aussi à d’autres passages, à commencer par la déclaration de Dieu à Moïse dans la fameuse scène du buisson ardent : « Qui a donné une bouche à l’être humain ? Qui rend sourd ou muet ? […] N’est-ce pas moi, le Seigneur » (Exode 4,11) : à la lumière de ce texte, l’action de Jésus en faveur du sourd-muet apparaît comme le signe qu’en lui, sont à l’œuvre la puissance et l’autorité de Dieu. Un autre passage d’Isaïe est également parlant : « Ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre et, délivrés du noir et des ténèbres, les yeux des aveugles verront » (Isaïe 29,18). Les précisions en italique ouvrent le texte à une interprétation métaphorique : la vraie surdité consiste à ne pas (vouloir) entendre la parole de Dieu, la vraie cécité, à préférer les ténèbres à la lumière que cette parole dispense. En ce sens, quand Jésus fait don de l’ouïe et de la parole au sourd-muet, il le rend capable d’entendre sa parole et d’accorder sa propre parole à celle de Jésus, de sorte qu’il puisse parler « avec droiture », selon le terme grec utilisé par Marc.

André Wénin

 

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin