16ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 18 juillet 2021
Auteur: André Wénin


 « En sa personne, le Christ Jésus a tué la haine. »
(Lettre aux Éphésiens 2,16)

De nouveau, les lectures de ce dimanche surfent sur l’image biblique du berger. Le 4e dimanche de Pâques (année B) et déjà la fête du Christ roi (dernier dimanche ordinaire A) proposaient des lectures jouant sur cette thématique… Difficile de se renouveler !

Des brebis sans berger… (Marc 6,30-34)

[Après leur mission] les apôtres se réunissent auprès de Jésus, et lui annoncèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné. Il leur dit : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » De fait, ceux qui arrivaient et ceux qui partaient étaient nombreux, et ils n’avaient même pas le temps de manger. Alors, ils partirent en barque pour un endroit désert, à l’écart. Des gens les virent s’éloigner, et beaucoup comprirent leur intention. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et les précédèrent. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger. Alors, il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.

L’image du berger est particulièrement adaptée à la figure de Jésus telle que les évangiles la dessinent. Dans ce bref passage, le Jésus de Marc manifeste sa sollicitude envers les apôtres à peine rentrés de la mission où il les a envoyés : il désire se retrouver avec eux en un lieu calme permettant de se reposer et de se restaurer – ce que fait un berger pour le troupeau. Mais étant donné le monde qui s’agite autour d’eux, ce n’est pas possible ! Il veut alors leur trouver un endroit tranquille. Quand il y arrive, une foule l’attend. Touché de les voir ainsi, Jésus va se faire le pasteur dont ils ont besoin, un pasteur à l’image de Moïse, comme le suggère la citation de Nombres 27,17 (en italique dans le texte). Comme Moïse, en effet, Jésus va les enseigner puis les nourrir au désert, sa parole étant une nourriture plus urgente et plus vitale que le pain qu’il partagera ensuite et qui en sera le signe concret. Faut-il voir derrière le constat de ce « troupeau sans berger » une critique des autorités religieuses du temps qui laissent le peuple sans guide ? Peut-être. Mais l’essentiel pour Marc est de mettre en évidence l’attitude de Jésus, « pris aux tripes » devant une foule qui court derrière lui, comme si elle voyait en lui sa seule chance de salut.

Cette métaphore du berger utilisée à propos du dieu de Jésus (parabole de la brebis égarée en Mt 18,12-14 // Lc 15,3-7) et de Jésus lui-même (Mt 25,32 ; 26,31 ; Jn 10, mais aussi 1 Pierre 2,25 et Apoc 7,17) sert à souligner divers traits essentiels : le souci de chacune et chacun, la miséricorde envers les pécheurs, la protection contre les maux, la libération et le salut, le jugement indispensable pour éloigner voire éradiquer le mal… Cette image dédouble par ailleurs la thématique royale car, dans la Bible, la figure du pasteur est directement liée au roi David. Elle sera élargie ensuite aux disciples qui poursuivront l’œuvre de Jésus (Jn 21,15-17 à propos de Pierre, Ac 20,28 et 1 Pierre 5,1-4, à propos des Anciens des communautés). Si elle est ainsi présente, c’est qu’elle est empruntée non seulement à une réalité connue, mais surtout à l’Ancien Testament. Ce livre, en effet, était la seule « Bible » des premiers chrétiens. Authentifier Jésus comme prophète, messie et fils de Dieu ne pouvait se faire qu’à partir d’elle. Proclamer la foi en Jésus ne pouvait être légitime que si cette foi s’appuyait sur une parole de Dieu reconnue comme authentique. Voilà pourquoi le Testament de la première alliance est si présent dans le Nouveau. Celui-ci ne peut être considéré comme parole de Dieu que dans la continuité avec celui-là.

Or, en plus du dieu pasteur qu’évoque le Psaume 23 (« Le Seigneur est mon berger… », voir ci-dessous), deux figures capitales de l’Ancien Testament ont été identifiées à des pasteurs. Je les ai déjà citées : ce sont Moïse et David, deux leaders grâce auxquels Israël a trouvé son identité de peuple de Dieu. À ce titre, et malgré leur inévitable côté sombre (en particulier chez David), ils ont fourni la mesure permettant d’évaluer les leaders qui les ont suivis. C’est dans cette ligne que se situe la lecture de Jérémie (assez proche de son contemporain Ézéchiel, voir chap. 34).

Dieu se fera lui-même pasteur de son peuple (Jérémie 23,1-6)

Malheur ! Des pasteurs laissent périr et dispersent les brebis de mon pâturage – oracle du Seigneur ! C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur, le dieu d’Israël, à propos des pasteurs qui font paître mon peuple : « Vous avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées, et vous ne vous êtes pas occupés d’elles. Voici que je vais m’occuper de vous, à cause de la méchanceté de vos actes – oracle du Seigneur. Puis, je rassemblerai le reste de mes brebis de tous les pays où je les ai chassées. Je les ramènerai dans leur enclos, elles fructifieront et se multiplieront. Je susciterai sur elles des pasteurs qui les feront paître ; elles ne seront plus apeurées ni effrayées, et aucune ne sera perdue – oracle du Seigneur. Voici venir des jours – oracle du Seigneur –, où je susciterai pour David un germe juste : il régnera en roi, agira avec sagesse, exercera le droit et la justice dans le pays. En ses jours, Juda sera sauvé, et Israël habitera en sécurité. Voici le nom qu’on lui donnera : Le-Seigneur-est-notre-justice ».

Le prophète Jérémie est le témoin de la fin d’un monde, puisqu’il a vécu l’écroulement tragique du royaume de Juda, tombé sous les coups des Babyloniens de Nabuchodonosor. Son analyse de cette crise est claire : Israël a été victime de rois indignes qui n’ont pas été à la hauteur de leur tâche. Ils devaient prendre soin du peuple de Dieu, de sa vie, de son avenir. Pour ce faire, ils avaient à le maintenir sur le chemin de l’alliance et de la Loi. Au lieu de quoi, par négligence ou par malice, ils l’ont conduit à sa perte. Les envahisseurs qui ont ravagé le pays et dispersé sa population ont été le bras armé de Dieu. Mais en réalité, celui-ci n’a fait qu’abandonner le peuple aux conséquences de ses choix malheureux, des choix que les rois n’ont pas été capables d’empêcher, quand ils ne les ont pas encouragés ou même provoqués. C’est ainsi que le prophète peut faire ce raccourci : « Vous (les pasteurs, les rois) avez dispersé mes brebis, vous les avez chassées, et vous ne vous êtes pas occupés d’elles. » Et il suggère que, si ces rois ont mal fini (l’un meurt en pleine crise ; son fils est vaincu puis déporté ; le frère du premier, qui a succédé à son neveu, est exilé à son tour, les yeux crevés après avoir assisté à l’assassinat de ses enfants), c’est parce que le Seigneur « s’est occupé » d’eux, et qu’ils ont récolté les fruits de leur mauvais gouvernement.

Mais l’échec des rois dévoyés qui n’ont rien fait pour empêcher la dérive d’Israël, ne ruine pas le dessein de Dieu pour son peuple. Pour Jérémie, le Seigneur va refermer ce qui aura été une parenthèse ouverte avec David – un bon roi, certes, mais déjà gravement infidèle. Il prendra à nouveau son peuple en main. Tel un berger attentionné, il va le recréer de sorte que, sur sa terre, il puisse « fructifier et se multiplier » grâce à la bénédiction retrouvée (voir Genèse 1,28 dont les termes sont repris ici). Il donnera ensuite d’autres pasteurs à Israël : ceux-là prendront à cœur leur mission de nourrir le troupeau, de le protéger et de le rassurer, de veiller sur la vie des brebis, une vie que Dieu aura restaurée. Au-delà de ces pasteurs fidèles, ajoute Jérémie, le Seigneur annonce qu’il suscitera un descendant (un « germe ») à David : ce roi dans le vrai sens du terme, grâce à sa façon de gouverner pleine de sagesse, instaurera la justice qui permet la paix et assure la sécurité de tous. La venue de ce roi sera le signe que Dieu est juste, comme son nom le proclame : juste d’avoir laissé le malheur faire comprendre à Israël ses erreurs, juste d’avoir rendu au peuple un nouvel avenir, juste de lui donner un roi qui le guidera vers la justice.

Des textes comme celui de Jérémie étaient porteurs d’espoir à l’époque où ils ont vu le jour. Ils continueront à l’être pour les générations suivantes, lourds de l’autorité d’un prophète authentique. Car si les faits ont donné raison à Jérémie quand il annonçait le malheur, les promesses de restauration dont il est porteur se réaliseront elles aussi. En vivant avec Jésus une expérience qui les a bouleversés, en l’entendant annoncer la Parole et en le voyant agir, les disciples ont compris qu’en lui, Dieu se montrait fidèle aux promesses faites à travers les prophètes. Quoi de plus normal alors qu’ils reprennent les images du berger et du roi juste pour parler de la fidélité de Dieu et de la profonde continuité de son projet de vie, mais aussi pour dire la nouveauté indicible dont Jésus est porteur, non seulement pour eux et pour Israël, mais pour toute l’humanité ?

Psaume 23

Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. 

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin