15ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 11 juillet 2021
Auteur: André Wénin


Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ !

Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ.
(Lettre aux Éphésiens 1,3)

Une parole libre (Amos 7,12-15)

Amacias, prêtre de Béthel, dit à Amos : « Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; gagnes-y ton pain et fais le prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de faire le prophète, car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit et dit : « Je ne suis pas un prophète ni un fils de prophète ; je suis un bouvier, et je cultive des sycomores. Mais le Seigneur m’a pris de derrière le troupeau, et le Seigneur m’a dit : ‘Va, sois prophète pour mon peuple Israël.’ »

Conflit à Béthel. Le prêtre en charge du sanctuaire de ce bourg s’en prend à Amos. Celui-ci est un étranger : il vient du pays de Juda. Or, à l’époque, Juda constitue, au sud du pays de Canaan, un État à part entière distinct du royaume d’Israël qui occupe le centre et le nord. Et Béthel est un centre religieux important de ce royaume. Mais pour quelle raison le prêtre expulse-t-il Amos ? Mystère et boule de gomme ! Les liturgistes se sont encore donné à faire pour rendre incompréhensible un texte de l’Ancien Testament… Qu’est-ce que cela aurait coûté d’ajouter les deux versets qui précèdent ?

Amacias, le prêtre de Béthel, envoya dire à Jéroboam, roi d’Israël : « Amos conspire contre toi au milieu du temple d’Israël. Le pays ne peut plus supporter toutes ses paroles. En effet, ainsi a dit Amos : “C’est par l’épée que mourra Jéroboam, et Israël sera exilé – oui ! exilé – loin de sa terre”. »

Dans l’ancien Israël, le sacerdoce est une institution sacrale en charge du culte – une fonction qui, de soi, est une tâche royale. Le prêtre est donc une sorte de fonctionnaire du roi, dans une charge qui se transmet de père en fils. Il est le garant des rites et du bon fonctionnement du culte. Amacias doit donc réagir aux annonces de malheur pour le roi et le pays, qu’Amos proclame à Béthel, au cœur du lieu de culte dont le prêtre est responsable. Il dénonce donc au roi l’oiseau de mauvais augure, non sans le charger d’ailleurs, puisqu’il le présente comme un conspirateur. Puis, sans attendre, il s’en prend à Amos et l’expulse de Béthel : il est intolérable, en effet, que, dans un « sanctuaire royal, un temple du royaume », il s’en prenne au roi et à la nation.

En réalité, pour le lecteur ou la lectrice du livre d’Amos, le rapport d’Amacias au roi Jéroboam est assez biaisé. Loin de conspirer, en effet, Amos dénonce plutôt sans concession les travers d’Israël : le culte fastueux, mais déviant ; le luxe de notables qui amassent leur fortune sur le dos des pauvres, leur arrogance, la grande vie qu’ils mènent avec la complicité de juges vénaux ; et surtout, le refus d’écouter Dieu et ses appels à un changement de vie. Il s’en prend également au roi qui laisse faire, alors qu’il est le garant de la justice et de la loi. Une telle situation ne peut plus durer et le châtiment divin est pour bientôt. Voilà les paroles que « le pays ne peut plus supporter ». Elles dérangent trop ! Elles visent trop haut ! Sans compter qu’elles viennent d’un étranger…

Cela dit, le discours d’Amacias est méprisant et il trahit la façon dont il voit Amos. Traiter un prophète de « voyant », c’est lui contester la qualité d’authentique porte-parole de Dieu : dans la Bible, en effet, la vision est dévalorisée par rapport à la parole, car elle est facilement victime des apparences. De plus, pour le prêtre, Amos fait de ses visions un métier, comme le ferait un fonctionnaire. Sous-entendu (puisque le royaume d’Israël est nettement plus riche que celui de Juda) : il vient gagner sa vie là où « ça paie plus ». Mais puisqu’il vient de Juda, il n’a rien à faire à Béthel : qu’il rentre donc chez lui éructer ses soi-disant oracles.

Amos ne se laisse pas dire. Il commence par contester ce qu’Amacias dit de lui, plus ou moins clairement. Pour lui, être prophète, ce n’est pas un métier. Un métier, il en a un – c’est un homme de la terre – et il a dû l’abandonner à cause du Seigneur au nom duquel il parle à Israël. Il souligne ainsi qu’être prophète ne relève pas d’une institution établie et n’est en rien un gagne-pain. Cela vient d’une initiative du Seigneur qui « prend » un homme pour lui confier une mission spécifique. Au début du livre, pour évoquer cette initiative impérieuse de Dieu à laquelle il est impossible de résister, Amos dit ceci : « Un lion rugit : qui ne serait pas effrayé ? le Seigneur Dieu parle : qui ne prophétiserait ? » (Amos 3,8).

À lire le livre d’Amos, on comprend que Dieu a appelé le prophète parce que la religion et le culte s’étaient institutionnalisés et risquaient de se scléroser dans des façons de faire privées de sens et dans des habitudes plus ou moins déviantes. Il envoie son porte-parole quand l’injustice s’installe et quand les responsables du peuple s’en rendent complices ou simplement ferment les yeux. La parole tranchante du prophète dénonce ces déviations qui, à l’insu des responsables, menacent l’ave­nir même du peuple et sa relation avec son dieu ; elle rappelle que l’essentiel n’est pas la ritualité religieuse, mais l’éthique qui donne sens et légitimité au culte du dieu de l’alliance. Pour prononcer une telle parole et ramener le peuple vers l’alliance, il faut un homme libre. Amos en est un depuis que le Seigneur l’a appelé. C’est pour cela qu’il dérange l’ordre – en réalité le désordre – établi et ceux qui, comme Amacias et Jéroboam, en sont les garants.

La liberté d’Amos se vérifie encore à la fin de la scène : les deux derniers versets (passés eux aussi à la moulinette liturgique) rapportent en effet la fin de la réponse d’Amos à Amacias. Elles ne sont pas tendres à l’égard de ce haut fonctionnaire sacral du royaume d’Israël : « Écoute maintenant la parole du Seigneur, toi qui dis : “Ne prophétise pas contre Israël et ne prêche pas contre la maison d’Isaac [1] !” À cause de cela, voici ce que dit le Seigneur : “Ta femme se prostituera dans la ville, tes fils et tes filles tomberont par l’épée, ta terre sera partagée au cordeau et toi, tu mourras sur une terre impure. Quant à Israël, il sera exilé loin de sa terre”. » (Amos 7,16-17). À refuser de voir la vérité et à faire taire ceux qui la disent, on s’expose au malheur qu’ils annoncent, et on y précipite les petits avec soi.

En mission… (Marc 6,7-13) 

Jésus appela les Douze et il commença à les envoyer deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs. Et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton : pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture ; chaussés de sandales, « et ne mettez pas deux tuniques ». Et il leur disait : « Si vous entrez quelque part dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Et si une localité ne vous accueille pas et ne vous écoute pas, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds, en témoignage pour eux. » Ils partirent, et proclamèrent afin qu’ils se convertissent. Ils expulsaient de nombreux démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades et les guérissaient.

Dans le récit qui précède en Marc, Jésus a été mal accueilli dans sa patrie – c’était l’objet du passage d’évangile de dimanche dernier. Cela ne le décourage en rien : non seulement, il « parcourait les villages d’alentour en enseignant », mais il envoie aussi les Douze, comme s’il voulait accélérer l’annonce de la bonne nouvelle refusée à Nazareth. En effet, l’objet de la mission des disciples – brièvement évoquée ici – est de prolonger celle de Jésus : user de l’autorité qu’il leur donne pour chasser les démons, appeler les gens à la conversion et guérir les malades. Ces gestes sont des signes qui manifestent qu’il s’agit de faire barrage au mal sous toutes ses formes, que ce mal gagne l’esprit ou le corps, qu’il vienne du dedans ou d’ailleurs.

Les recommandations de Jésus aux Douze au moment du départ portent sur le dépouillement assez drastique qu’ils doivent s’imposer : ne prendre que l’indispensable, le strict nécessaire. Peut-être la brève description que Jésus en fait est-elle inspiré de la tenue des Hébreux qui, avant de quitter l’Égypte et leur esclavage, mangent la pâque, « ceinture aux reins, sandales aux pieds et bâton à la main » (Exode 12,11), libres et prêts pour le grand départ, à la hâte. Ainsi libres – d’autant qu’à la différence des Hébreux de l’Exode, ils ne peuvent emporter ni pain, ni sacs, ni argent –, les disciples sont vulnérables et dépendent de l’hospitalité de celles et ceux qu’ils rencontreront. Jésus évoque ensuite l’accueil qu’ils recevront (« Si vous entrez quelque part dans une maison », c’est-à-dire si on vous y fait entrer, comme l’explicite la traduction liturgique), mais ajoute aussitôt qu’il ne faudra pas s’y installer, mais envisager le départ dès la mission remplie. Aucune autre précision n’est donnée sur ce qu’il y a lieu de faire dans ce cas.

En revanche, en cas de non-accueil dans une localité – c’est-à-dire si aucune maison n’y est accueillante pour les disciples –, un signe de « rupture de communion » (C. Focant) témoignera de ce qu’ils se sont exclus de l’annonce du règne de Dieu : « secouez la poussière de vos pieds ». Cette auto-exclusion sera préjudiciable aux gens de ce lieu, comme le rejet d’Amos entraînera le malheur de celui qui le renvoie de Béthel après avoir refusé d’accorder foi à ses paroles. La finale de la scène évangélique ne va cependant pas en ce sens : elle évoque au contraire le succès de la mission des Douze, victorieux contre le mal, tout comme Jésus.

André Wénin

 

[1] Ce nom est une autre façon de désigner le royaume d’Israël (ou royaume du Nord).

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin