Trinité

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 30 mai 2021
Auteur: André Wénin


"Elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait.

Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour."
(Psaume 33,4-5)

Un lien étroit pour que tous vivent (Deutéronome 4,32-34.39-40)

[Moïse disait à Israël :] « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa les humains sur la terre : d’une extrémité du ciel à l’autre, est-il arrivé une chose aussi grande, a-t-on entendu rien de pareil ? Un peuple a-t-il entendu la voix de Dieu parlant du milieu du feu, comme toi tu l’as entendue, et est resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de venir prendre pour lui une nation au milieu d’une autre, au moyen d’épreuves, de signes, de prodiges et de combats à main forte et à bras tendu, et par de terribles exploits – comme tout ce que le Seigneur ton Dieu a fait pour toi sous tes yeux en Égypte ? […]

Sache aujourd’hui, et médite cela en ton cœur : le Seigneur est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas ses décrets et ses commandements que je te donne aujourd’hui, afin que ce soit bien pour toi et tes fils après toi, et afin que tes jours se prolongent sur le sol que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. »

Dans une synthèse saisissante, Moïse condense l’action du Seigneur pour son peuple et souligne son caractère unique et surprenant. Lui qui a créé les humains, l’unique dieu de la terre entière s’est intéressé à une petite nation, « la moindre de toutes », ajoutera plus tard Moïse (7,7).

Le premier événement inouï rappelé ici est la rencontre entre le Seigneur et Israël à la montagne du Sinaï. Là, le peuple a entendu la voix de son dieu proclamer les Dix Paroles, la charte de l’alliance, « du milieu du feu », et il est resté en vie : il avait peur, en effet, qu’une telle proximité avec son Seigneur le fasse mourir (Exode 20,18-20). Qu’il soit resté en vie signifie que son dieu venait lui parler pour lui communiquer des instructions destinées à le faire vivre. Moïse en tirera la conclusion suivante, à la fin du discours (voir la dernière phrase de la lecture) : garder les commandements reçus constitue, pour Israël, le chemin du bonheur, de la vie pleinement accomplie pour les générations à venir.

Une deuxième chose étonne dans l’agir du Seigneur envers Israël : il est « venu le prendre pour lui ». Plus loin (au verset 37, censuré dans la lecture), Moïse précisera, toujours en lien avec l’alliance et la sortie d’Égypte : « il a aimé tes ancêtres et il a choisi sa descendance après eux… ». C’est ici de l’élection d’Israël qu’il est question. Aucune précision n’est donnée dans le contexte immédiat concernant ce « choix ». Mais ce qui en est dit ailleurs – notamment quand le Seigneur propose l’allian­ce à Israël (Exode 20,4-6) – manifeste que cette élection n’a rien d’une préférence qui serait au détriment des autres nations. Au contraire : le lien particulier qui unit Israël à Dieu par l’alliance est au service des nations. Israël se voit chargé d’une responsabilité à leur égard : celle de faire le lien entre elles et le Seigneur du ciel et de la terre, en manifestant qui il est par un comportement conforme à la Loi. Ce n’est donc pas seulement pour lui-même – son bonheur et sa vie – qu’Israël est invité à vivre – dès maintenant et à l’avenir – selon les instructions du Seigneur. C’est aussi pour les nations, leur bonheur et leur vie.

La troisième merveille que Moïse relève est l’action de Dieu dans le cadre de la sortie d’Égypte, quand il vient « prendre une nation du milieu d’une autre » en déployant une puissance manifeste sur laquelle le texte insiste lourdement. Ce qui est souligné ici, c’est que ces événements ont révélé qui est le Seigneur : celui qui arrache les esclaves à leur exploiteur et oppresseur, celui qui veut pour eux la liberté et la vie. Mais pour Israël, cette révélation est plus précise : « C’est toi qui as vu cela pour que tu saches que c’est le Seigneur qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui » (verset 35). Si, en effet, Israël est choisi pour servir le Seigneur au milieu des nations, c’est parce qu’il dépend de ce peuple que les nations connaissent le Dieu unique. Il faut donc qu’Israël ait fait l’expérience que son dieu peut déployer sa puissance de liberté et de vie n’importe où, même au sein de nations puissantes comme l’Égypte et qu’il est donc l’unique dieu « là-haut dans le ciel et ici-bas sur la terre ».

Bref, la synthèse de Moïse n’a pas pour seul objet de rappeler les merveilles que le Seigneur a accomplies en faveur d’Israël, en vue de le faire vivre et d’en faire son allié avec lui. C’est aussi la mission qui dérive de ce lien particulier qu’il rappelle indirectement. 

Un Esprit filial (Lettre aux Romains 8,14-17)

Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclavage qui vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption filiale, par lequel nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être nous aussi dans sa gloire.

Ces quelques lignes évoquent la façon dont l’apôtre Paul se représente les liens entre le croyant et Dieu après ce que la venue de Jésus et le don de l’Esprit ont révélé. Il traduit cette relation en termes de filiation adoptive rendue possible par l’Esprit. Selon la première alliance, la Loi permet à Israël d’être libre de l’esclavage et de la peur ; c’est elle qui, en « conduisant le peuple sur son chemin », permet un lien solide entre l’Israélite et Dieu. Selon la nouvelle alliance – conformément à ce que disent les prophètes Jérémie et Ézéchiel –, ce lien est réalisé par l’Esprit qui guide la marche du croyant et lui donne de reconnaître Dieu comme un père qu’il est permis d’invoquer par ce nom. Si ce lien entre Père et « enfant » est adoptif, c’est parce qu’il passe par le fils unique, l’unique héritier en titre, le Christ. Hériteront avec le Fils ceux et celles qui, sous la conduite de l’Esprit, vivront un passage semblable à celui par lequel le Christ est passé de la souffrance de la Passion à la gloire de la Résurrection.

Petite précision que je crois utile. À côté du terme « fils » – on ajoutera aujourd’hui « fille » –, Paul recourt à un mot traduit couramment par « enfant », teknon. En français, le sens du mot « enfant » est souvent lié à l’idée d’enfance : le terme connote donc un lien de dépendance qui unit le (petit) enfant à ses parents. Ce n’est pas le cas du mot grec : il s’applique à des personnes de n’im­porte quel âge et vise seulement le fait d’avoir été engendré (par le père) et enfanté (par la mère). Il n’implique aucunement un lien constant de dépendance ; il souligne plutôt le fait que l’on a reçu la vie d’autres personnes.

Envoi des disciples en mission (Matthieu 28,16-20)

En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » 

Je soupçonne nos amis liturgistes d’avoir retenu ce texte de Matthieu pour la fête de la Trinité à cause de la formule baptismale qu’il contient. La cohérence globale de ces derniers versets de l’évangile leur importait peu, j’imagine. J’ai commenté ces lignes pour l’Ascension de l’année A. Je reprends en substance ce que j’ai écrit l’année dernière.

Selon Matthieu, après la résurrection, Jésus envoie les femmes venues à la tombe au petit matin, porter aux disciples la nouvelle de son relèvement d’entre les morts : « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront », conclut-il. Le récit ne rapporte pas la rencontre entre les femmes et les disciples, mais celles-ci ont bien transmis le message, car les disciples se rendent en Galilée « à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre ». Là, ils le voient. C’est, selon Matthieu, la première rencontre entre les disciples et Jésus ressuscité. Leurs réactions sont significatives. Ils se prosternent en un geste d’adoration : ils ont donc reconnu leur Seigneur. Mais certains hésitent, comme si cela n’allait pas de soi. L’ambivalence suggère qu’après sa résurrection, Jésus n’est plus tout à fait le même qu’avant, bien que la « transformation » ne puisse pas être exprimée.

Le message que Jésus confie à ses disciples a trois parties. Premier élément : le Ressuscité se présente comme le Seigneur de l’univers. Dieu a remis toute autorité à celui que les hommes ont rejeté, humilié et mis à mort. Il a cassé le jugement des chefs du peuple qui ont mis leur pouvoir au service de l’injustice, soi-disant au nom de Dieu. Mais le vrai pouvoir appartient à Jésus, qui a refusé celui que le Tentateur qui lui proposait à condition qu’il se prosterne devant lui (Matthieu 4,9-10). Ici, il le reçoit de Dieu : c’est la garantie d’un pouvoir qui sera au service du bien et de la justice.

Deuxième élément : Jésus envoie les disciples en mission, ou plus exactement, il les envoie « faire des disciples [1] », faire avec d’autres ce que Jésus a fait avec eux : vivre dans une proximité bienveillante, écouter, parler, échanger de sorte qu’ils « apprennent » à connaître Jésus et le Royaume qu’il a annoncé. « Les baptiser », c’est signifier qu’il leur faut mourir à ce qui doit mourir, pour pouvoir naître à une vie nouvelle reçue du Dieu-alliance (Père, Fils, Esprit). « Leur enseigner à garder ce que Jésus leur a recommandé », c’est les introduire à une autre façon de vivre, celle qu’au début de leur compagnonnage, Jésus leur a enseignée sur la même montagne où ils se trouvent réunis (voir Matthieu 5,1). Le cœur de cette manière d’être, c’est l’amour fraternel ; elle suppose que l’on subvertisse en force de vie ce qui nourrit l’envie, la haine et la violence. Voilà la « mission » des disciples. Elle vaut pour « toutes les nations » (et non « pour toute l’humanité »). Parler de « nations », suggère la nécessité de s’adapter à chacune en particulier, à sa langue, sa culture, sa situation historique.

Troisième élément : celui qui, dès la conception a été nommé « Emmanuel », c’est-à-dire « Dieu avec nous » (voir Matthieu 1,23), assure ses disciples qu’il leur restera présent partout, une présence que sa vie terrestre ne permettait pas. Le départ de Jésus (que Mattieu ne racontera pas) est moins un départ qu’un nouveau mode de présence. Les disciples ne seront jamais seuls pour la tâche qui leur est confiée.

André Wénin

[1] En grec, le terme mathètès, « disciple », désigne celui qui apprend.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin