7ème dimanche de Pâques

Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique: B
Date : 16 mai 2021
Auteur: André Wénin


« Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint ;

aussi loin qu’est l’orient de l’occident, il met loin de nous nos péchés. »
(Psaume 103,11-12)

Les deux lectures commentées ici n’ont guère en commun que le fait de parler des disciples et, parmi eux, de Judas. Chez Jean, c’est celui que Jésus n’a pas pu garder et qui est allé à sa perte ; dans les Actes, c’est celui qui a servi de guide à ceux qui ont arrêté Jésus. Dans les deux textes, le rôle et le sort de Juda sont présentés comme une « nécessité » en référence aux Écritures.

Matthias remplace Juda (Actes des apôtres 1,15-17.20a.20c-26) 

Cet épisode se situe après le récit de l’Ascension de Jésus et avant celui de la Pentecôte.

En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères et dit – le groupe des personnes réunies était d’environ 120 : « Frères, il fallait que soit accomplie l’Écriture, où l’Esprit Saint avait d’avance parlé par la bouche de David, au sujet de Judas qui en est venu à être le guide des gens qui ont arrêté Jésus : ce Judas était l’un des nôtres et avait reçu sa part de notre service. […] Il est écrit au livre des Psaumes : “[…] Qu’un autre prenne sa charge”. Or, il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus est entré et sorti [1] parmi nous, à commençant par le baptême de Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous. Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection. » Ils en présentèrent deux : Joseph appelé Barsabbas, qui fut surnommé Justus, et Matthias. Ensuite, ils firent cette prière : « Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, désigne lequel des deux tu as choisi pour qu’il prenne, dans ce service et dans cette charge d’apôtre, la place que Judas a désertée en allant à la place qui est la sienne. » Ils tirèrent au sort entre eux, et le sort tomba sur Matthias, qui fut donc associé aux 11 Apôtres.

La Pentecôte, dont le récit suit immédiatement cet extrait, est un moment capital dans le livre des Actes. Lors de cette fête juive qui commémore l’alliance au Sinaï et le don de la Loi, la nouvelle alliance est inaugurée par le don de l’Esprit, selon ce qu’ont dit les prophètes Jérémie (31,31-34) et Ézéchiel (ch. 37). C’est donc la naissance d’un nouveau peuple de Dieu qui se prépare. Pour cela, il importe que ce futur peuple soit « au complet ». Or Israël est constitué de 12 tribus et d’un chef par tribu. D’où les précisions de nombres. Les « frères » – membres de la nouvelle communauté – sont 120, soit 12 groupes de 10 hommes (Pierre les interpelle littéralement « Hommes frères ») ; or, chez les Juifs, la présence de 10 hommes adultes est le minimum indispensable pour qu’une communauté puisse légitimement célébrer un acte de culte (c’est le miniane). Les 120 hommes représentent donc les 12 tribus (chacune étant complète symboliquement avec 10 hommes). Mais il faut aussi 12 représentants « officiels ». D’où la nécessité impérieuse de remplacer Judas.

Avant de proposer de chercher un remplaçant, Pierre explique que la place de Judas reste vide parmi les apôtres parce qu’il le « fallait ». Pour que Jésus puisse sauver l’humanité, il « devait » mourir et être relevé par Dieu d’entre les morts. Pour cela, il « fallait » qu’il soit livré, selon l’Écriture inspirée. Comment en est-on arrivé à cela ?

En réalité, la trahison de Juda a constitué une grave difficulté pour les chrétiens de la première génération. Il était nécessaire de l’expliquer. Comme pour les autres points difficiles, les disciples ont scruté leurs Écritures (l’Ancien Testament) et y ont trouvé un passage parlant d’un juste en détresse trahi par un ami : « Même l’ami sur qui je comptais, et qui partageait mon pain, a levé le talon sur moi » (Psaume 41,10). Les quatre évangiles citent ce texte ou y font allusion dans le récit de la Cène[2]. Par ailleurs, les deux versions de la mort de Judas sont reliées à d’autres textes de l’Écriture. Matthieu, le seul à relater la pendaison de Judas (27,3-10), relie les 30 pièces d’argent qu’il a reçues pour avoir « livré un sang innocent », à l’achat d’un champ, associé à deux versets du prophète Zacharie (11,12-13) et à divers passages du livre de Jérémie. La seconde version fait partie du texte des Actes proposé pour ce dimanche, mais a été censuré (pour éviter de troubler les fidèles ?). Pierre, en effet, fait état de la mort de Judas en ces termes : « Cet homme, avec le salaire de son iniquité, avait acheté une terre : il est tombé en avant, s’est ouvert par le milieu, et ses entrailles se sont toutes répandues. Tous les habitants de Jérusalem l’ont appris : aussi cette terre a-t-elle été appelée, dans leur langue, Hakeldama, c’est-à-dire Champ du sang. » En plus de l’allusion au « champ du sang » qui se réfère aux textes que Matthieu cite, Luc ajoute deux passages de Psaumes : le premier, lui aussi coupé dans la lecture, reprend la phrase d’un innocent persécuté dit à propos de ses bourreaux : « Que leur résidence devienne déserte et que personne ne n’habite sous leurs tentes… » (Ps 69,26) ; le second, « Qu’un autre prenne sa charge » (Ps 109,8), est le souhait d’un juste condamné à tort, à propos de ceux qui « m’ont rendu le mal pour le bien et la haine pour l’amitié » (v. 5). Bien que le lien entre ces citations et la mort de Judas soit indirect, il témoigne du souci de montrer comment les événements de la mort et résurrection de Jésus relevaient bien du plan de salut de Dieu.

Il est intéressant aussi de prêter attention à ce qui est dit plus ou moins explicitement des apôtres dans ce texte. Il s’agit d’un « service » (diakonia, souvent traduit « ministère » à partir du latin, mais le mot relève de la langue ecclésiastique, et je ne pense pas qu’elle soit celle de Luc) et d’une mission liée à un « envoi » (apostolè) et consistant à « veiller sur » (épiskopè). De ce service, chaque apôtre prend sa « part » (klèros). Nul ne se l’attribue à lui-même : elle vient de Jésus (pour les Onze) ou de Dieu (pour Matthias), le tirage au sort étant le moyen par lequel il exprime son choix, comme cela est précisé dans la prière que l’assemblée adresse à Dieu. Pour être apôtre, les conditions sont claires. Bien que la mission soit de témoigner de la résurrection de Jésus, il ne faut pas seulement avoir été témoin de cet événement pour être apôtre. Il faut pouvoir, en plus, dire qui est ce Jésus que Dieu a relevé d’entre les morts. D’où la nécessité de l’avoir suivi depuis son baptême par Jean jusqu’à son ascension. Car la résurrection de Jésus ne prend sens que sur l’arrière-plan de sa vie et de son action, avec l’opposition qu’elle a suscitée et qui l’a amené à donner sa vie.

Les disciples et le « monde » (Jean 17,11b-19)

Les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples en ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous. Quand j’étais avec eux, je les gardais en ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte pour que l’Écriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie accomplie en eux. Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde. Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du mal. Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde. Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. ». 

Dans le 4e évangile, avant de partir au jardin des oliviers, Jésus adresse au Père une longue prière où il prie en particulier pour ses disciples en vue de leur avenir – une prière dont la lectrice et le lecteur sauront qu’elle n’inspire absolument pas quelqu’un qui, comme moi, reste hermétique au langage de Jean.

Les disciples sont ceux qui ont accueilli la parole de Dieu que Jésus leur a donnée. Celle-ci s’op­pose à ce que l’auteur appelle « le monde ». Ce « monde » désigne tous ceux et celles qui, le plus souvent sans le savoir, vivent dans le mal. Ils épousent des valeurs tout humaines parce qu’ils y perçoivent du bien, vivant ainsi dans le mensonge ou l’illusion. Ces valeurs relèvent (c’est comme cela que je le dirais, en tout cas) de la logique de l’avoir-plus qui produit la convoitise, la concurrence, le désir d’être supérieur, et entraîne l’injustice, le conflit stérile, la violence. La parole de Dieu apportée par Jésus valorise au contraire l’être-soi, qui pousse à l’humilité, au partage, à l’alliance, et donc à la valorisation de l’autre, du différent ; le fruit en est la justice, l’harmonie, la paix.

Ceux qui ont adhéré à la parole de Jésus ne sont cependant pas hors-monde : ils y vivent, avec pour mission de gagner des gens au bien et à la vérité à travers l’annonce de la parole. Mais ils y sont aussi soumis à des tentations, qui peuvent être renforcées par la haine qu’ils suscitent. En effet, leur façon de vivre fait apparaître le mal qui sous-tend la logique du « monde » ; elle dénonce le mensonge consistant à la trouver bonne, d’où la réaction de certains qui s’opposeront aux disciples comme ils se sont opposés à Jésus (voir 7,7). C’est pourquoi il demande à son Père de les garder des pièges du « monde » et de les « sanctifier dans la vérité », c’est-à-dire de les rendre différents du « monde » et de les enraciner dans les valeurs authentiques, sans se laisser aveugler par ce que le monde présente comme « bien ». Ainsi seront-ils protégés face au mal.

À lire mon commentaire maladroit, on percevra aisément que ces propos de Jésus sont inspirés par la situation des communautés chrétiennes auxquelles le 4e évangile est adressé. Son auteur fait dire à Jésus ce que ces communautés et les croyants qui les composent doivent entendre pour rester unis et continuer à vivre de la Parole dans un monde où ils sont un signe de contradiction… Ils doivent savoir que Jésus les a confiés à la garde du Père et qu’ils ne doivent donc pas craindre et se soutenir mutuellement pour rester fidèles à l’évangile.

André Wénin

[1] Cette expression curieuse est calquée d’une locution hébraïque désignant l’activité d’un leader qui entre et sort à la tête du peuple, comme Moïse (Deutéronome 31,2), Josué (Josué 14,11), David (1 Samuel 18,13), les rois (1 Rois 3,7 ; 15,17) ou encore le prince du futur (Ézéchiel 46,10). Dans le cas de Jésus, « entrer » correspond sans doute à son entrée dans le monde, et « sortir » à sa mort-résurrection-ascension.

[2] Voir Mt 26,20-25 ; Mc 14,17-20 ; Lc 22,21-23 ; Jn 13,21-27 (davantage dramatisé).

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin