« Moi, je suis sûr de toi, Seigneur, je dis : “Tu es mon Dieu !”
Mes jours sont dans ta main : délivre-moi…
Sur ton serviteur, que s’illumine ta face. »
(Psaume 31,15-17)
La 1re lecture est un des textes de l’Ancien Testament qui ont permis aux disciples de Jésus de comprendre ce qui avait d’abord été pour eux une énigme : la souffrance du messie et sa mort. C’est le « poème du Serviteur souffrant ». En le lisant, on croit avoir affaire à une première version de la passion de Jésus…
Pour comprendre ce poème difficile, il faut savoir qu’il fait entendre trois « voix » différentes et que la chronologie des faits qu’il évoque est bouleversée. Les trois voix sont celles du Seigneur, du peuple repentant et (sans doute) du prophète. Quant à la chronologie, le poème commence par la fin, au moment où le Seigneur déclare publiquement qu’il exalte son serviteur qui, jusque-là était objet d’épouvante pour tous (1er paragraphe, ci-dessous, introduit par un sous-titre que j’ajoute pour la clarté). Sa déclaration sidère ceux qui l’étendent. Alors, à partir de là, ils repensent à ce qui s’est passé avec le serviteur et se rendent compte de leur erreur (2e paragraphe). Un prophète anonyme prolonge ensuite la méditation sur l’attitude déconcertante du serviteur pendant qu’on le persécutait et il prie Dieu que sa mort puisse obtenir le pardon du péché de ceux qui l’ont assassiné (3e paragraphe). Le Seigneur répond positivement à cette prière et répète qu’il exaltera son serviteur et le rendra fécond (4eparagraphe).
Mort et exaltation du Serviteur (Isaïe 52,13–53,12)
Le Seigneur annonce la victoire de son serviteur qui a été écrasé, et il provoque l’étonnement général.
Mon serviteur réussira ; il montera, il s’élèvera, il sera exalté !
La multitude avait été épouvantée à son sujet, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme.
De même, il étonnera une multitude de nations ; à son sujet les rois resteront bouche bée, car ils verront ce que, jamais, on ne leur a raconté, ils découvriront ce qu’ils n’ont jamais entendu parler.
Surpris par l’annonce, le peuple reconnaît que le serviteur est innocent et que lui-même est pécheur.
Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? La puissance du Seigneur, à, propos de qui s’est-elle révélée ?
Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la maladie, il était pareil à quelqu’un devant qui on se voile la face, et nous l’avons méprisé, compté pour rien. En fait, c’étaient nos maladies qu’il portait, nos douleurs dont il se chargeait.
Nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il était frappé, à cause de nos fautes qu’il était écrasé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. Nous tous, nous errions comme des brebis, chacun suivait son propre chemin. Mais le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous.
Le prophète médite sur la souffrance et la mort du serviteur, puis il prie le Seigneur de l’agréer.
Maltraité, lui s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. Arrêté, puis jugé, il a été pris. Et son avenir, qui donc s’en est inquiété ? Il a été retranché de la terre de la vie, frappé à mort pour les révoltes de son peuple. On a placé sa tombe avec les méchants, son tombeau avec les querelleurs, alors qu’il a agi avec non-violence, et qu’il n’y avait pas de tromperie dans sa bouche. Et le Seigneur s’est plu à le broyer par la maladie.
Si tu fais de sa personne un sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur se réalisera.
Le Seigneur répond à la prière du prophète et confirme que, par-delà sa souffrance, il sera comblé.
Pour la peine de sa personne, il verra une descendance, il sera rassasié de jours. Pour ceux qui le reconnaîtront, mon serviteur innocent, innocentera les multitudes, il se chargera de leurs fautes.
C’est pourquoi, parmi les grands, je lui donnerai sa part, avec les puissants il partagera le butin, parce qu’il s’est dépouillé de sa personne jusqu’à la mort, et qu’avec les pécheurs il s’est laissé compter, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il s’interposait pour les pécheurs.
Dans ce texte, le seul personnage à ne pas prendre la parole, c’est le serviteur lui-même. Le prophète souligne d’ailleurs que, confronté à ses juges et à ses bourreaux, il est resté en silence comme un agneau mené à l’abattoir. Cet homme n’avait rien pour attirer les regards, il était même méprisé. De plus, il souffrait. Pour les gens autour de lui, c’était clair : s’il souffrait, c’est parce que c’était un pécheur et que Dieu le punissait. On s’est donc éloigné de lui pour éviter d’être contaminé par son impureté ; on l’a accusé, arrêté, jugé, condamné, défiguré, mis à mort, puis jeté à la fosse commune. Mais alors que le peuple croyait s’être débarrassé de ce pécheur frappé par Dieu, alors que tout semblait enfin terminé, le Seigneur prend la parole : à la surprise générale, il déclare que cet homme est son serviteur, et qu’il l’exalte, le réhabilite, au point que ceux qui l’apprendront n’en croiront pas leurs oreilles.
Sidéré par ce qu’il vient d’entendre, le peuple se met à réfléchir. Si Dieu lui-même a approuvé et réhabilité cet homme, c’est qu’il n’était pas un pécheur – le prophète le redira : la non-violence guidait son action et il n’y avait pas de mensonge en sa bouche ! Mais – se demande le peuple – pourquoi a-t-il souffert alors, pourquoi est-il mort s’il était innocent ? Ces gens comprennent alors que ce sont leurs fautes qui ont écrasé le serviteur ; s’il a souffert et est mort, c’est à cause de leur injustice et de leur violence quand ils se sont acharnés sur lui. Mais leur réflexion se poursuit : si ce sont eux les pécheurs, n’est-ce pas eux qui auraient dû être punis par Dieu ? Comme ce n’est pas ce qui s’est passé, ils comprennent que c’est le Seigneur qui a fait porter à son serviteur leurs fautes à eux tous. Ensuite, en exaltant le serviteur, il leur a ouvert les yeux pour qu’ils prennent conscience de leur faute, une faute dont ils se repentent à présent. Le prophète répétera la même chose : le Seigneur s’est plu, dit-il, à le broyer par la souffrance ; il a permis qu’il soit frappé à mort pour les fautes du peuple.
Mais cette interprétation n’est pas exacte : c’est ce que le Seigneur souligne en finale dans son nouveau discours : non, il n’a pas a imposé ce sort pitoyable au serviteur. C’est le serviteur lui-même qui, librement, a pris sur lui des fautes des autres. Volontairement, « il s’est dépouillé de sa personne jusqu’à la mort et s’est laissé compter avec les pécheurs ». En réalité – poursuit le Seigneur –, il s’interposait pour eux : ayant choisi la non-violence, il a fait barrage à la violence de ceux qui s’acharnaient contre lui, dans l’espoir qu’elle cesse ses ravages. En le réhabilitant, le Seigneur révèle à tous la violence et la méchanceté dont ils n’étaient pas conscients. Il leur offre ainsi la possibilité d’ouvrir les yeux sur le mal dont ils sont capables, pour qu’ils choisissent librement de s’en détourner. C’est en cela que le serviteur est source de paix et de guérison et que ce qui plaît au Seigneur peut se réaliser par lui.
Ce texte peut aider à méditer la lecture de la Passion dans l’évangile de Jean (sous la traduction, des notes éclairent des détails significatifs du texte). Que met en évidence ce récit qui devrait être bien connu puisqu’il est lu chaque année ? Deux choses essentiellement.
D’une part, le récit met en lumière ce dont les humains sont capables au point de mettre à mort un innocent : la maladresse, la couardise et la trahison comme l’illustre le personnage de Pierre ; l’injustice drapée dans la bonne conscience et la violence plus ou moins affichée qui pousse à renier le meilleur de soi-même sans même s’en rendre compte : en sont la figure les grands prêtres et le peuple qui, reniant le dieu de l’alliance, affirment qu’il n’y a de Roi que l’empereur ; la lâcheté et la mollesse d’un puissant prêt à sacrifier un innocent à sa tranquillité, comme Pilate ; la morgue de gens ordinaires qui abusent du peu de pouvoir qu’ils ont, à l’instar des soldats…
D’autre part, le même récit met en relief l’attitude de Jésus au cœur de cette adversité : avec liberté et dignité, il fait face à ceux qui l’arrêtent, l’interrogent, le condamnent, se moquent de lui puis le crucifient. Jamais il ne tente de recourir à la violence et refuse même celle dans laquelle Pierre s’engage en frappant un serviteur au cours de l’arrestation de son maître. Jamais Jésus n’accuse qui que ce soit ; il ne fait que répondre aux questions, avec aplomb et droiture, sans chercher de faux-fuyants ni se dérober face aux puissants qui ont pouvoir de vie et de mort sur lui. Il va à la mort avec le même amour que celui qui a marqué son action et sa parole tout au long du récit évangélique.
En ce sens, ce récit met en lumière à la fois les bassesses dont l’humanité est malheureusement coutumière tout autant que la grandeur dont l’être humain est capable, l’amour qui le pousse à aller jusqu’au bout du don de soi. Il met en lumière combien, en Jésus, l’amour ne se laisse pas abattre par la haine et l’injustice, et il montre quel chemin il ouvre pour que l’inhumain n’ait pas le dernier mot. Dans le récit de la Passion, ce n’est pas le « serviteur » Jésus qui se tait (comme dans le poème du Serviteur d’Isaïe). C’est Dieu. Mais à travers l’attitude de Jésus, il indique un chemin de libération, il offre une chance de faire en sorte que l’inhumain trop souvent aux commandes dans l’histoire ne l’emporte pas définitivement.
La Passion et la mort de Jésus (Jean 18–19)
Après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron ; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l’endroit, lui aussi, car Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. Judas arrive à cet endroit, avec un détachement de soldats ainsi que des gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : « Qui cherchez-vous? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazaréen. » Il leur dit : « C’est moi, je le suis. » – Judas, qui le livrait, se tenait avec eux. Quand Jésus leur répondit : « C’est moi, je le suis », ils reculèrent, et ils tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau: « Qui cherchez-vous?» Ils dirent : « Jésus le Nazaréen. » Jésus répondit : « Je vous l’ai dit : c’est moi, je le suis. Si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir. »[1] Ainsi s’accomplissait la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés. »[2]
Or Simon-Pierre avait une épée ; il la tira, frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l’oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre : « Remets ton épée au fourreau. La coupe que m’a donnée le Père, vais-je refuser de la boire ? [3] » Alors la troupe, le commandant et les gardes juifs se saisirent de Jésus et le ligotèrent.
Ils l’emmenèrent d’abord chez Hanne, beau-père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là. Caïphe était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple. »[4]
Or Simon-Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre. Pierre se tenait près de la porte, dehors. Alors l’autre disciple – celui qui était connu du grand prêtre – sortit, dit un mot à la servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. Cette jeune servante dit alors à Pierre : « N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme ? » Il répondit : « Non, je ne le suis pas ! » Les serviteurs et les gardes se tenaient là ; comme il faisait froid, ils avaient fait un feu de braise pour se réchauffer. Pierre était avec eux, en train de se chauffer.
Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont écouté. Eux savent ce que j’ai dit. » À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » Jésus lui répliqua : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal. Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » Hanne l’envoya, toujours ligoté, au grand prêtre Caïphe.
Simon-Pierre était donc en train de se chauffer. On lui dit : « N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples ? » Pierre le nia[5]et dit : « Non, je ne le suis pas ! » Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, insista : « Est-ce que moi, je ne t’ai pas vu dans le jardin avec lui ? » Encore une fois, Pierre le nia. Et aussitôt un coq chanta.
Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au Prétoire[6]. C’était le matin. Ceux qui l’avaient amené n’entrèrent pas dans le Prétoire, pour éviter une souillure et pouvoir manger l’agneau pascal[7]. Pilate sortit donc à leur rencontre et demanda : « Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? » Ils lui répondirent : « S’il n’était pas un malfaiteur, nous ne te l’aurions pas livré. » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » Les Juifs lui dirent : « Nous n’avons pas le droit de mettre quelqu’un à mort. » Ainsi s’accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir[8].
Alors Pilate rentra dans le Prétoire ; il appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou d’autres te l’ont-ils dit à mon sujet ? » Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité[9]. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? »
Ayant dit cela, il sortit de nouveau à la rencontre des Juifs, et il leur déclara : « Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais, chez vous, c’est la coutume que je vous relâche quelqu’un pour la Pâque : voulez-vous donc que je vous relâche le roi des Juifs ? » Alors ils répliquèrent en criant : « Pas lui ! Mais Barabbas ! » Ce Barabbas était un bandit[10].
Alors Pilate fit saisir Jésus pour qu’il soit flagellé. Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre[11]. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : « Salut à toi, roi des Juifs ! » Et ils le giflaient.
Pilate, de nouveau, sortit dehors et leur dit : « Voyez, je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Jésus donc sortit dehors, portant la couronne d’épines et le manteau pourpre. Et Pilate leur déclara : « Voici l’homme. »[12] Quand ils le virent, les grands prêtres et les gardes se mirent à crier : « Crucifie-le! Crucifie-le! » Pilate leur dit: « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le[13], moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. » Ils lui répondirent : « Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. »
Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans le Prétoire, et dit à Jésus : « D’où es-tu ? » Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors: « Tu refuses de me parler, à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher, et pouvoir de te crucifier ? » Jésus répondit : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut ; c’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un péché plus grand. » Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher ; mais des Juifs se mirent à crier : « Si tu le relâches, tu n’es pas un ami de l’empereur. Quiconque se fait roi s’oppose à l’empereur. »
En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade[14] au lieu dit le Dallage – en hébreu Gabbatha. C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la 6e heure, environ midi[15]. Pilate dit aux Juifs : « Voici votre roi. »[16] Alors ils crièrent : « À mort ! À mort ! Crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Vais-je crucifier votre roi ? » Les grands prêtres répondirent : « Nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur. »[17] Alors, il leur livra Jésus pour qu’il soit crucifié. Ils se saisirent de Jésus. Et lui-même, portant sa croix, sortit en direction du lieu dit Le Crâne (ou Calvaire), qui se dit en hébreu Golgotha.
C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec[18]. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. »
Quand[19] les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura. » Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture[20] : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est bien ce que firent les soldats.
Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. » Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit / l’Esprit.
Comme c’était le jour de la Préparation[21], il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes[22]. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture[23] : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore[24] : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.
Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres [32,7 kg]. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. À l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin et, dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore déposé personne [25]. À cause de la Préparation de la Pâque, et comme ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus.
André Wénin
[1] La scène insiste sur l’autorité de Jésus. Il répond 3 fois « C’est moi », avec une expression avec laquelle le Seigneur s’est révèlé à Moïse dans le buisson ardent (comme Moïse, les gens reculent suite à cette déclaration), scène où il se révèle comme le dieu qui libère le peuple de l’esclavage. De plus, la scène manifeste que, si Jésus accepte la passion, c’est en toute liberté. La même liberté ressort du petit épisode avec Simon-Pierre, qui suit immédiatement.
[2] C’est ce que Jésus dit dans sa prière à Dieu en 17,12.
[3] La « coupe » renvoie à l’épreuve que Jésus s’apprête à subir. Ce passage renvoie à ce que Jésus dit en 12,27-28 : « Maintenant, mon âme est troublée, et que dirais-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu. Père, glorifie ton nom. » Dans les trois autres évangiles, c’est la scène de l’agonie à Gethsémani qui scénarise ce que Jean traduit au moyen de ces deux paroles de Jésus.
[4] Raconté en 11,49-51. Le passage est significatif du sens de la passion, selon Jean : « Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là, leur dit: “Vous n’y comprenez rien; vous ne réfléchissez pas qu’il est dans notre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation tout entière ne disparaisse pas”. Or il ne dit pas cela de lui-même, mais comme il était grand-prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation.
[5] Alors que Jésus vient d’inviter le grand prêtre à interroger ceux qui l’ont écouté pour savoir ce qu’il a enseigné, le premier d’entre eux, Pierre, déclare qu’il ne connaît pas Jésus ! Celui-ci est seul pour affronter ce qui l’attend.
[6] Palais du procurateur romain.
[7] Pour pouvoir être dans les conditions de pureté permettant de célébrer le rite de la Pâque.
[8] Renvoi à Jean 12,32-33 : « Moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. Par ces mots, il indiquait de quelle mort il allait mourir ». Seul le pouvoir romain avait le droit condamner à mort par crucifixion.
[9] Dans l’évangile de Jean, la vérité, c’est Dieu lui-même que Jésus révèle comme le Père plein d’amour pour les humains (c’est un peu rapide, mais c’est l’essentiel).
[10] Bar-abbas, signifie en araméen « le fils du père ». La foule préfère donc le bandit fils du père au Fils du Père innocent. Si le mot « bandit » désigne ici un révolutionnaire, la foule le préfère à celui qui annonce la vraie révolution : celle de la conversion du cœur.
[11] La pourpre est la couleur des rois, de l’empereur. Jésus est donc affublé comme un roi par dérision.
[12] Pilate entend simplement répondre à l’accusation des Juifs qui veulent que Jésus soit condamné pour s’être dit « roi des Juifs » (ce que les soldats viennent de tourner en ridicule) : voyez quel homme lamentable est ce type ! Mais Jean utilise ses mots pour dire autre chose : à ses yeux, Jésus est le seul homme selon le cœur de Dieu parce qu’il se livre par amour pour libérer ses frères du mal qui les aveugle et les rend injustes et violents.
[13] Comme dit ci-dessus, les juifs n’ont pas ce pouvoir. En revanche, ils peuvent lapider, comme le montre l’exemple d’Étienne dans les Actes des apôtres, mais comme la lapidation est un châtiment pour des fautes religieuses, lapider Jésus serait reconnaître le sens religieux de sa mort. Ce qu’ils semblent vouloir éviter en donnant une couleur, politique à sa condamnation. En leur disant de mettre Jésus à mort eux-mêmes, Pilate tente de les envoyer paître !
[14] Le terme désigne le lieu où se tient le juge pour rendre sa sentence. Jean suggère donc que Jésus n’est pas en position d’accusé mais de juge. Face à lui, ses accusateurs se jugent eux-mêmes.
[15] L’heure est solennelle pour les Juifs : c’est l’heure où l’on immole les agneaux dans le temple pour célébrer la Pâque (la libération par Dieu) la nuit suivante.
[16] Deuxième déclaration solennelle de Pilate après « Voici l’homme ». De nouveau, pour le romain, c’est de la dérision (ou de la pitié), mais pour l’évangéliste, c’est la vérité. Jésus est le Roi des Juifs en tant que représentant de Dieu lui-même, l’unique vrai roi d’Israël.
[17] La déclaration des plus hautes autorités religieuses est en réalité un rejet de la souveraineté de Dieu, et un assujettissement au pouvoir profane, un pouvoir qui est au service de l’injustice et de la mort.
[18] Il s’agit respectivement de langue du peuple juif, de celle du pouvoir légitime et de celle de la culture internationale. La proclamation de Pilate est universelle ! Et la suite montre qu’il persiste et signe.
[19] Les 5 dernières scènes du récit (5 derniers paragraphes) comportent des allusions à l’Église qui « naît » de la mort de Jésus, signe de la fécondité de celle-ci. (1) L’Église est une, comme la tunique non déchirée de Jésus ; (2) la « mère » de Jésus figure l’Église confiée à tout disciple aimé de Jésus ; (3) en « remettant l’Esprit », Jésus le donne à l’Église ; (4) le sang et l’eau qui sortent du côté transpercé de Jésus symbolisent respectivement l’eucharistie (voir Jean 6,53-56) et le baptême (voir 3,5-8) ; (5) Nicodème est le « disciple » à qui Jésus a dit qu’il faut naître d’en haut, de l’Esprit (3,3) : quand il embaume Jésus, c’est l’Église qui prépare sa nouvelle naissance.
[20] La citation est tirée du Psaume 22,19 : dépouiller un être humain de ses vêtements et les prendre pour soi, c’est le priver définitivement de toute existence sociale. — L’évangéliste qui, jusqu’ici, n’a guère fait d’allusions aux Écritures de l’Ancien Testament les multiplie en fin de récit en insistant [souligné] sur leur accomplissement dans le récit de la mort de Jésus. Il signifie de cette façon que celle-ci est conforme au dessein de vie de Dieu.
[21] Le mot « Préparation » est un terme technique désignant la veille de la Pâque juive qui, selon l’évangile de Jean tombe un samedi (sabbat) cette année-là (d’où notre Vendredi-saint).
[22] En brisant les jambes, on empêche le condamné de s’appuyer sur ses pieds pour reprendre souffle. La mort par asphyxie suit rapidement. Jean tire de cette pratique une autre façon de montrer que l’Écriture s’accomplit.
[23] Deux passages de l’Ancien Testament sont combinés : Psaume 34,21 où le fait que l’on ne brise les os de l’innocent est un signe de la protection de Dieu (= Jésus est le juste par excellence, sous la protection de Dieu même après sa mort) ; et Exode 12,46 où Moïse ordonne de ne pas briser les os de l’agneau pascal (= Jésus est le véritable agneau pascal, celui de la Pâque véritable qui est le passage à la vie nouvelle).
[24] Le texte cité vient de Zacharie 12,10. Il vaut la peine de citer aussi le contexte où le prophète parle au nom du Seigneur (12,10–13,1 – en italique ce qui s’applique à Jésus et à sa mort féconde) : « Alors je déverserai sur la famille de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication, et ils tourneront les regards vers moi, celui qu’ils ont transpercé. Ils pleureront sur lui comme on pleure sur un fils unique[Jésus, fils unique du Père], ils pleureront amèrement sur lui comme on pleure sur un premier-né. Ce jour-là, le deuil sera grand à Jérusalem (…). Le pays sera dans le deuil (…). Ce jour-là, une source jaillira pour la famille de David et les habitants de Jérusalem, pour laver péché et souillure ».
[25] Les détails de l’ensevelissement de Jésus (la quantité d’aromates, l’embaumement, le respect des rites et le tombeau neuf creusé dans la pierre) sont incompatibles avec un enterrement rapide et correspondent, semble-t-il, à l’ensevelissement d’un roi – dernière confirmation de ce que Jésus est reconnu comme « le roi des Juifs » par les deux disciples en secret qui l’ensevelissent.