Quatrième dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 31 janvier 2021
Auteur: André Wénin

 

« J’aimerais vous voir libres de tout souci…
afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage »
(1re lettre aux Corinthiens 7,32.35)

Un prophète comme Moïse (Deutéronome 18,15-20)

Moïse disait au peuple : « Du milieu de toi, parmi tes frères, le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi : tu l’écouteras. C’est ce que tu as demandé au Seigneur votre Dieu, au mont Horeb, le jour de l’assemblée, en disant : “Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu ; cette grande flamme, je ne veux plus la voir et je ne veux pas mourir !” Et le Seigneur me dit alors : “Ils ont bien fait de parler ainsi. Je ferai se lever pour eux du milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur communiquera tout ce que je lui prescrirai. Si quelqu’un n’écoute pas mes paroles que ce prophète communiquera en mon nom, moi-même je lui en demanderai compte. Seulement, le prophète qui serait assez présomptueux pour communiquer en mon nom une parole que je ne lui aurais pas prescrite, ou qui parlerait au nom d’autres dieux, ce prophète-là mourra.” »

Le livre du Deutéronome se présente comme une série de discours que Moïse tient devant le peuple[1] au terme des 40 ans de traversée du désert qui ont suivi la sortie d’Égypte. La génération de ceux qui ont connu la libération de l’esclavage est morte dans le désert, et ce sont leurs fils qui s’ap­prêtent à entrer dans le pays où Dieu a promis de les installer. Pour eux, Moïse retrace les événements passés afin de les exhorter à rester fidèles au Seigneur et à vivre selon ses instructions. Il rappelle ensuite ces lois, tout en répétant que c’est en vue de les faire vivre que Dieu les leur donne. Il décrit également les institutions qui structureront le peuple de manière à assurer sa cohésion, pour autant que ceux qui les représentent n’en détournent pas l’esprit. Les juges refuseront les pots-de-vin qui les détourneraient de la justice (17,18-20). Quand le temps sera venu, Dieu donnera un roi qui devra se garder de l’orgueil et dont le pouvoir sera légitime s’il respecte la loi (17,14-20). Les prêtres rempliront leur office et vivront de ce que la loi leur accorde comme part sur les offrandes (18,1-8).

Les deux premières institutions sont destinées à remplacer Moïse qui, jusque-là, a été le leader du peuple et son juge pour toute affaire importante. Elles doivent être stables – tout comme le sacerdoce – pour donner à la nation une assise ferme. Mais si les représentants de ces institutions ne remplissent pas leurs tâches selon l’esprit de la loi, si les juges pratiquent une justice de classe, si le roi abuse de son pouvoir, si les prêtres profitent de leur position, qui fera le ménage ? Ce sera la tâche d’une autre figure : le prophète. Car en plus d’être leader, juge et régulateur du culte, Moïse était surtout un prophète, porte-parole de Dieu, garant de l’alliance et de ses règles. Le prophète ne relèvera donc pas d’une institution stable destinée à durer. Dieu le suscitera quand les circonstances l’exigeront, quand un dysfonctionnement au sein des institutions l’obligera à protéger l’alliance et les bienfaits qui en découlent. En d’autres termes, le dieu d’Israël n’est pas captif des institutions qu’il a voulues pour le bien de son peuple. Un dieu libre, voilà ce que le prophète représente.

Moïse rappelle alors les circonstances dans lesquelles est né le prophétisme. Le peuple était à l’Horeb, face à la montagne du Sinaï où Dieu manifestait sa présence dans la nuée d’orage et le feu. C’était sa façon de se présenter en vue de conclure une alliance avec Israël. De sa voix, il a proclamé les Dix paroles, exposant ce à quoi Israël s’engageait pour que son dieu devienne le suzerain qui allait garantir sa liberté et sa vie. Mais sidéré par ce contact direct avec son Dieu, le peuple a pris peur. Il a alors supplié Moïse, lui demandant d’être le porte-parole de Dieu, pour éviter que celui-ci ne lui parle encore sans intermédiaire. C’est donc à la demande du peuple qu’il y a des prophètes en Israël, et, à en croire ce que Moïse dit ici, cela arrange bien Dieu… Lorsqu’il aura quelque chose à dire à son peuple ou aux représentants de ses institutions, il suscitera une voix prophétique pour faire entendre sa parole. Une seule règle : il faudra écouter les paroles du prophète comme celles même de Dieu, ce qui suppose que le prophète s’en tienne à son rôle de porte-parole et évite toute initiative intempestive. Mais si la parole du prophète peut être celle de Dieu ou la sienne propre, il s’agira pour ses auditeurs de faire le tri entre la parole authentique et celle qui ne l’est pas.

Dans ce texte, le prophète est présenté comme un contre-pouvoir potentiel face aux institutions mises en place pour assurer la cohésion et la continuité de la vie commune. Échappant à ces institutions, il relève de l’initiative directe de Dieu. Sa liberté lui permet d’interpeller quiconque oublierait, négligerait ou transgresserait la loi, dont le but est de permettre au peuple de vivre libre et en paix. Il est donc signe et garant de la bienveillance du Seigneur pour son peuple, et cela, même si ses paroles peuvent faire mal lorsqu’il dénonce les déviances qui menacent d’éloigner Israël de son dieu. En réalité, le prophète met ses interlocuteurs en demeure de prendre leurs responsabilités en exerçant leur liberté. La première relève du discernement : ce prophète parle-t-il vraiment au nom de Dieu ? La seconde relève de l’action, une fois reconnue l’authenticité de la parole : vais-je régler mon agir sur ce que le Seigneur dit par la bouche du prophète ? En ce sens, le prophète ne témoigne pas seulement d’un dieu libre. Il sollicite aussi la liberté de ceux à qui il parle.

Dans le judaïsme ancien, ce texte du Deutéronome a suscité une attente. Au-delà des nombreux prophètes qui se sont succédé dans l’histoire d’Israël, les juifs fidèles ont attendu la venue d’une sorte de super-prophète à l’image de Moïse. En effet, après avoir relaté la mort de ce dernier, la fin du Deutéronome dit ceci : « Plus jamais en Israël ne s’est levé un prophète comme Moïse que le Seigneur connaissait face à face » (Dt 34,10, voir aussi Nombres 12,8), un prophète qui, comme Moïse, prête sa voix à la parole de Dieu et agisse avec puissance, parole et action ayant pour but de faire vivre Israël en alliance avec son Seigneur. La venue de ce « prophète comme Moïse » dont il est question dans le passage ici commenté ne s’est pas encore produite. On comprend que les disciples de Jésus aient dès lors vu en lui ce nouveau Moïse…

Une parole libératrice (Marc 1,21-28)

Jésus et ses disciples pénètrent dans Capharnaüm et aussitôt, le jour du sabbat, entrant dans la synagogue, il enseignait. Ils étaient frappés par son enseignement, car il les enseignait comme quelqu’un qui a autorité, et non pas comme les scribes.

Et aussitôt, il y avait dans leur synagogue un homme agité par un esprit impur ; il se mit à crier en disant : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous détruire ? Je sais qui tu es: le Saint de Dieu. » Jésus le menaça en disant : « Tais-toi et sors de cet homme. » En le secouant violemment et en poussant un grand cri, l’esprit impur sortit de lui.

Tous furent stupéfaits et se demandaient entre eux en disant : « Qu’est-ce que cela ? Un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Et il commande aux esprits impurs, et ils lui obéissent. » Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée.

Dans ce passage synthétique où il évoque les grandes orientations que va prendre ensuite la vie de Jésus, Marc n’identifie pas explicitement ce dernier comme le prophète attendu. Mais son récit suggère que c’est bien lui : comme Moïse, Jésus enseigne avec autorité et son action est libératrice. La conclusion du passage, qui raconte comment les gens présents soulignent ces deux traits caractéristiques, constitue une répétition destinée à attirer l’attention.

Quittant le rivage du lac où il a appelé Simon et André puis les fils de Zébédée, Jésus entre avec eux dans la ville de Capharnaüm. En juif fidèle, il se rend à la synagogue le jour du sabbat. Là, il se met à enseigner. Il n’est pourtant pas un « scribe », un homme de l’écrit, dont la fonction est précisément d’enseigner les Écritures et de les expliquer. D’ailleurs, les gens le notent immédiatement : Jésus étonne par sa façon d’enseigner différente de celle des spécialistes de l’explication des textes. Prenant la parole librement, sans y être « autorisé » par une fonction officielle, il s’autorise lui-même à enseigner. En cela, il est comme un prophète qui, hors de toute institution, parle parce que Dieu le lui demande. L’autorité de son enseignement lui vient d’ailleurs, comme pour un prophète.

À l’étonnement positif des gens présents, s’oppose une autre réaction, inattendue : celle d’un « esprit impur », un démon qui aliène l’homme en l’éloignant de Dieu. Cet esprit perçoit immédiatement un danger chez ce Jésus qui enseigne avec une telle autorité : il se méfie de lui (« que nous veux-tu ? ») car il perçoit chez lui la volonté de le détruire, lui et ses congénères. En effet, il affirme qu’il sait qui il est : celui que Dieu a rendu saint comme lui, et donc l’exact opposé de cet « esprit impur ». Ainsi, le premier à reconnaître en Jésus celui qui vient de Dieu et a partie liée avec lui, c’est un démon. Mais Jésus le fait taire, avant de le menacer et de libérer l’homme dont il s’était rendu maître. « Savoir » qui est Jésus peut donc être le signe qu’on lui est opposé… Prononcer une confession de foi ne garantit pas que l’on est un disciple.

Devant ce que Jésus a fait et dont l’efficacité est soulignée par la colère du démon, l’étonne­ment de ceux qui écoutaient l’enseignement de Jésus devient de la stupeur, voire de l’effroi. Et ils s’interrogent – à l’opposé de l’esprit impur qui sait ou croit savoir qui est Jésus. Leur émotion les conduit donc à se laisser interroger par ce qui les a profondément frappés : d’abord l’enseignement de Jésus, surprenant par sa nouveauté et l’autorité qu’elle manifeste, ensuite le pouvoir qui est le sien sur les esprits impurs qu’il plie à sa volonté. Pas de confession de foi tonitruante chez ces gens – ni même chez les disciples qui accompagnent Jésus. Ils ne tirent pas de conclusion hâtive, comme s’ils se laissaient travailler par leur étonnement et les questions qu’il suscite… Ce qui ne les empêchent pas de parler de Jésus, au point que sa renommée se répand dans toute la région.

La stupeur qui ébranle les certitudes, l’étonnement qui suscite l’émerveillement et le questionnement qui met en chemin rapprochent plus sûrement de la vérité de Dieu et de Jésus qu’un « savoir » tranquille. Celui-ci pourrait être même le moyen le plus sûr de s’éloigner de ce que l’on croit savoir…

André Wénin

[1] Dans ce livre, Moïse s’adresse au peuple tantôt au singulier (en « tu », car le peuple est un tout unifié), tantôt au pluriel (en « vous », car chaque membre du peuple est personnellement concerné). Cette alternance entre singulier et pluriel est présente dans la lecture du jour, sauf dans la traduction liturgique qui met tout au pluriel : Moïse s’adresse à Israël à la 2e personne du singulier, puis le Seigneur parle du peuple à la 3e du pluriel.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin