Deuxième dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: B
Date : 17 janvier 2021
Auteur: André Wénin

« Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint,
lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu. »
(1re lettre aux Corinthiens 6,19)

Le Seigneur appelle Samuel (1er livre de Samuel, 3,3b-10.19)

Ce jour-là, le jeune Samuel était couché dans le temple du Seigneur à Silo, où se trouvait l’arche de Dieu. Le Seigneur appela Samuel, qui dit : « Me voici ! » Il courut vers le prêtre Éli, et il dit : « Me voici, puisque tu m’as appelé. » Éli répondit : « Je n’ai pas appelé. Retourne te coucher » et il alla se coucher. De nouveau, le Seigneur appela encore Samuel. Et Samuel se leva. Il alla vers Éli et dit : « Me voici, puisque tu m’as appelé. » Éli dit : « Je n’ai pas appelé, mon fils. Retourne te coucher ». Or, Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur, et la parole du Seigneur ne lui avait pas encore été révélée. De nouveau, le Seigneur appela Samuel la troisième fois, et il se leva et alla vers Éli, et il dit : « Me voici, puisque tu m’as appelé. » Alors Éli comprit que c’était le Seigneur qui appelait l’enfant, et il lui dit : « Va te recoucher, et si on t’appelle, tu diras : “Parle, Seigneur, ton serviteur écoute.” » Samuel alla et il se coucha à sa place. Le Seigneur vint, il se tint là et il appela comme les autres fois : « Samuel ! Samuel ! » Et Samuel dit : « Parle, ton serviteur écoute. » […] Samuel grandit. Le Seigneur était avec lui, et il ne laissa aucune de ses paroles sans effet.

Voici un bref récit tout au plus anecdotique. Dieu appelle Samuel. Le garçon se méprend, mais il a des excuses : c’est la première fois. D’ailleurs, il est diligent, réagit à l’instant même et fait preuve de patience vis-à-vis d’un vieux prêtre lent à comprendre ce qui se passe. Quand il comprend enfin, il met Samuel sur la piste et le contact s’établit avec Dieu. Le garçon invite celui-ci à parler… mais on ne saura pas ce que le Seigneur lui dit, ni même en vue de quoi il l’appelle de façon aussi patiente qu’insistante… C’est que le récit a été largement amputé et privé de son contexte.

L’histoire que raconte la Bible est autrement plus forte. Elle aurait même des relents d’anticléri­calisme. (Ceci explique cela ?) Résumons le contexte. L’histoire se passe à Silo, le sanctuaire où se trouve l’arche de Dieu, qui, depuis que Moïse l’a fait fabriquer, est le lieu où le Seigneur peut se rendre présent et parler à son peuple. Depuis quelques années, le jeune Samuel réside dans ce sanctuaire. C’est en quelque sorte sa mère, Anne, qui « a eu la vocation » pour lui quand elle l’y a amené très jeune suite à un vœu. Là, Samuel est au service de Dieu, tandis que le sacerdoce est exercé par le prêtre Éli assisté de ses deux fils. (Dans l’Ancien Testament, la charge de prêtre est héréditaire.) Totalement dévoyés, les fils d’Éli méprisent les pèlerins et profitent honteusement de ce que ceux-ci offrent à Dieu. Leur père est mécontent, mais c’est un faible : il se contente de leur adresser des reproches mais n’intervient pas pour faire cesser leurs agissements. Le Seigneur envoie alors un prophète à Éli pour l’informer qu’ils sont allés trop loin : aussi, c’en est fini de cette famille sacerdotale. Les prêtres en charge vont périr et Dieu suscitera à leur place un prêtre fidèle selon son cœur.

C’est ici qu’intervient la scène retenue pour ce dimanche. Elle commence par situer les personnage (passage zappé dans la lecture liturgique) : « Le jeune Samuel servait le Seigneur en présence d’Éli. Mais la parole du Seigneur était rare en ces jours-là, aucune vision ne se produisait » (v. 1), comme si l’infidélité des prêtres faisait obstacle à ce que Dieu se fasse proche de son peuple. « Or, ce jour-là, Éli était couché à sa place ; ses yeux commençaient à décliner et il ne pouvait plus voir. Pourtant la lampe de Dieu n’était pas encore éteinte. Quant à Samuel, il était couché dans le temple du Seigneur où se trouve l’arche de Dieu » (v. 2-3). Une opposition se dessine ici : d’un côté, le vieux prêtre couché à sa place, presque aveugle (pas seulement physiquement, on le verra bientôt), de l’autre, le jeune desservant couché à proximité de l’arche de Dieu. Entre les deux : la lampe qui indique le lieu de la présence de Dieu, une lampe qui risque de s’éteindre bientôt. Seul Samuel est éclairé par cette flamme vacillante alors qu’Éli est plongé dans le noir.

La scène des trois appels infructueux souligne à nouveau l’opposition entre les deux personnages. D’une part, Samuel fait preuve d’une disponibilité à toute épreuve, même s’il se méprend sur l’origine des appels qui lui sont adressés. Croyant qu’ils viennent du vieux prêtre, il se précipite à son chevet, et sa réponse trois fois répétée (« Me voici, puisque tu m’as appelé ») manifeste à la fois sa diligence, son respect et sa patience vis-à-vis de celui qu’il pourrait prendre pour un vieillard gâteux. La parenthèse insérée après le deuxième appel a toute son importance : « Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur, et la parole du Seigneur ne lui avait pas encore été révélée ». D’une part, elle dédouane le jeune Samuel : il se méprend parce qu’il n’a pas encore bénéficié d’un contact personnel avec un dieu dont les manifestations sont plus que rares. Il ne peut donc identifier l’origine de l’appel qu’il entend. D’autre part, elle suggère l’aveuglement du vieux prêtre : lui devrait connaître le Seigneur, mais même quand Samuel lui dit avoir été appelé une seconde fois, il est incapable de comprendre que c’est Dieu qui se manifeste. Le manège se répète « la troisième fois » (un mot « oublié » dans la version liturgique), et c’est Samuel se rend à nouveau près d’Éli. Cette fois, le vieillard comprend enfin…

« La troisième fois ». Quiconque connaît un peu les contes sait que des choses y vont souvent par trois, la troisième fois étant fréquemment la bonne, et donc la dernière. Ici, au troisième appel du Seigneur, « le franc d’Éli tombe » enfin. Mais n’est-ce pas trop tard ? La lampe de Dieu ne va-t-elle pas s’éteindre à jamais par la faute d’un vieux prêtre aveugle, incapable d’encore reconnaître son dieu ? Le Seigneur a appelé trois fois : le fera-t-il une quatrième ? Éli semble le croire puisqu’il dit indirectement à Samuel que c’est sans doute le Seigneur qui appelle, en lui conseillant de l’inviter à parler et de se dire prêt à l’écouter. Mais Dieu ne se laisse pas arrêter par les lenteurs coupables du prêtre : il s’approche et appelle, et cette fois, on l’entend répéter le nom du garçon, « Samuel, Samuel ». Quand celui-ci répond, il ne répète pas tout à fait ce qu’Éli lui a conseillé de dire. Il ne reprend pas le mot « Seigneur », comme s’il n’osait pas identifier celui qui l’appelle et qu’il ne connaît pas.

Répondant à l’invitation de Samuel « Parle… », le Seigneur lui communique une information qu’Éli connaît déjà, à savoir que sa maison sacerdotale est condamnée sans appel, car sa faute est telle qu’il est impossible de l’expier (v. 11-14). Dieu ne confie aucune mission à Samuel : il se contente de le mettre au courant de ce qu’il a décidé et qui aura bientôt lieu. Samuel se recouche alors. Le lendemain matin, reprenant son service, « il ouvrit les portes de la maison du Seigneur » (v. 15a). Ce geste a une portée symbolique : en ouvrant ces portes, le jeune Samuel rend à nouveau possible la communication entre le Seigneur et son peuple. Cela dit, le récit le précise : Samuel est dans ses petits souliers car il redoute de devoir parler de son expérience nocturne à Éli. Et on le comprend puisqu’on connaît la teneur de la parole qu’il a reçue.

Et Éli appela Samuel et dit : « Samuel, mon fils », et il dit : « Me voici ». Et [Éli] dit : « Quelle est la parole que l’on t’a dite ? Je te prie, ne me le cache pas ! Que Dieu amène le malheur sur toi, et pire encore, si tu me caches un mot de toute la parole que l’on t’a adressée ! » Alors Samuel l’informa de toutes les paroles sans rien lui cacher. Et [Éli] dit : « C’est bien le Seigneur ! Qu’il fasse ce qui est bien à ses yeux ». 

Après ce qui s’est passé pendant la nuit, Éli sait que le garçon a sans doute reçu une parole du Seigneur. Et, si c’est le cas, il tient à savoir lequel. Mais sa façon de poser la question est aussi insistante que bizarre : d’une part, il menace Samuel des pires malheurs s’il ose faire de la rétention d’information, mais d’autre part, il ne nomme pas celui qui a parlé à Samuel. En réponse, celui-ci lui répète tout ce qu’on lui a dit, mais lui non plus n’identifie pas la source du message. Mais en entendant le récit du garçon, Éli s’entend confirmer la condamnation que le prophète lui a déjà communiquée de la part de Dieu. Pour lui, il n’y a plus de doute et il dit à Samuel : « C’est bien le Seigneur (qui t’a parlé) ». C’est bien le Seigneur qui appelait Samuel, comme il en avait eu l’intuition pendant la nuit. Cette déclaration d’Éli est capitale : le vieux leader religieux disqualifié et condamné authentifie l’expérience du garçon et reconnaît que c’est désormais par lui que Dieu se manifestera au peuple. La lampe de Dieu qui vacillait à cause de la faute des prêtres pourra briller à nouveau pour Israël à travers Samuel.

Pourtant, Samuel ne sera pas le prêtre fidèle annoncé à Éli. Il sera plutôt un prophète, comme si ce n’était plus à travers le culte que Dieu entendait se faire proche d’Israël, mais au moyen d’une parole vivante. C’est ce que dit avec insistance la finale de l’épisode : « Samuel grandit, tandis que le Seigneur était avec lui. Et il ne laissa aucune de ses paroles sans effet, et Israël tout entier sut que Samuel était accrédité comme prophète du Seigneur. Et le Seigneur continua à apparaître à Silo, car le Seigneur se révélait à Samuel à Silo au moyen de la parole du Seigneur » (v. 19-21). Ainsi, ce n’est pas seulement un jeune garçon plein de zèle, disponible et capable d’écoute qui remplace un vieux prêtre aveugle, lent à la détente et résigné. C’est aussi la parole vivante qui prend la place du culte comme lieu où Dieu manifeste sa présence au milieu de son peuple. Et la répétition à cinq reprises du mot « Seigneur » fait contraste avec le début du récit qui enregistre que « la parole du Seigneur était rare en ces jours-là ». Il fallait que le contact s’établisse entre Dieu et Samuel pour que la parole du Seigneur revienne habiter le présent du peuple.

Lu de cette façon, le récit de la « vocation de Samuel » prend de l’ampleur. Il raconte que les institutions, aussi sacrées soient elles, ne sont jamais à l’abri de la faillite, car les personnes qui les incarnent sont susceptibles de les ruiner – ne fût-ce que par lassitude ou par faiblesse. Des ruptures sont alors nécessaires, des changements de cap, la disparition de ce qui a vieilli et l’émergence de formes qui sauront rendre l’essentiel à nouveau accessibles. Ici, le culte, les rites, les prêtres, sont devenus incapables de rendre possible l’accès au dieu qui veut la vie : aussi, Dieu les délaisse et trouve un autre moyen de rétablir le contact pour que la vie puisse circuler à nouveau entre lui et son peuple : une parole prophétique qui révèle son vrai visage. 

L’appel des premiers disciples (Jean 1,35-42)

Jean [le Baptiste] se trouvait avec deux de ses disciples. Posant son regard sur Jésus qui marchait, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu. » Les deux disciples, l’entendant parler, accompagnèrent Jésus.

Se retournant, Jésus vit qu’ils l’accompagnaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui dirent : « Rabbi (ce qui veut dire : Maître), où demeures-tu ? » Il leur dit: « Venez, et vous verrez ». Ils allèrent donc, virent où il demeurait et restèrent près de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure.

André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux disciples qui avaient entendu la parole de Jean et avaient accompagné Jésus. Il trouve d’abord son propre frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie (ce qui veut dire : Christ) ». Il l’amena à Jésus. Posant son regard sur lui, Jésus dit : « Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t’appelleras Kèphas (ce qui veut dire : Pierre) ».

Je ne commenterai pas ici cette page où l’évangéliste Jean relate l’appel des premiers disciples. L’évangile de dimanche prochain, qui présente une autre version du même « événement », celle de Marc, me donnera l’occasion d’y revenir…                                                                                             (à suivre…)

André Wénin

 

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin