Troisième dimanche de l'Avent

Temps liturgique: Avent
Année liturgique: B
Date : 13 décembre 2020
Auteur: André Wénin


« Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance »

(1re Lettre aux Thessaloniciens 5,16-18)

Un optimisme rayonnant (Isaïe 61,1-2.10-11)

L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a donné l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux affligés. Il m’a envoyé guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux déportés la délivrance, aux prisonniers la libération, proclamer une année de faveur de la part du Seigneur [, un jour de vengeance de la part de notre dieu pour consoler les endeuillés…]

Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon être exulte en mon dieu. Car il m’a vêtu [1] de vêtements de salut, il m’a couvert d’un manteau de justice, comme le jeune marié coiffe un diadème, comme la jeune mariée se pare de ses bijoux. Comme la terre fait sortir son germe et comme le jardin fait germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer justice et louange devant toutes les nations.

Le contexte historique de l’oracle d’Isaïe 61 (dont on a extrait le début et la fin – le centre étant jugé inutile) est probablement celui des années qui suivent le premier retour des déportés de Babylone à la fin du 6e siècle. Ceux qui sont revenus à Jérusalem – non sans enthousiasme, sans doute – se retrouvent dans une situation bien plus difficile que prévu. Le reste de l’oracle l’évoque par différents traits. Il est question de deuil, de langueur, de honte et d’outrages ; les villes sont dévastées, les décombres sont partout ; l’élevage manque de bras, l’agriculture est à l’arrêt… Mais tout cela, le prophète l’évoque dans un discours positif : cette situation va cesser. Le deuil se changera en joie, les villes seront rebâties et les décombres rénovés ; des travailleurs afflueront et relanceront la production agricole ; les nations contribueront à redresser le pays. Israël retrouvera sa grandeur et Dieu conclura avec lui une alliance pour toujours, de sorte que son peuple réalisera sa vocation : assurer le lien entre le Seigneur et toutes les nations.

Celui qui affiche ce bel optimisme se présente comme un prophète. Il a été rempli de l’esprit de Dieu en vue d’une mission sacrée : porter une bonne nouvelle qui va permettre à ses concitoyens de relever la tête, eux qui sont affligés par une situation qui les laisse sans énergie ni courage. Il annonce la guérison de ces gens blessés, la libération de ceux qui sont encore en exil, l’affranchisse­ment de ceux dont la vie est entravée. C’est que Dieu va enfin se montrer favorable ; enfin, il va consoler tous ceux qui sont marqués par la mort en leur rendant justice (c’est cela, la « vengeance » dont parle la fin du verset 2, censurée pour la liturgie). Car la grande majorité de ces gens rentrés à Jérusalem 50 ans après l’exil, ce sont des victimes des injustices de l’histoire : leur vie a été emportée dans une tourmente qui a frappé leur peuple quelques décennies plus tôt, bien qu’elles n’aient personnellement aucune responsabilité dans ce qui est arrivé. Le dieu juste ne peut tolérer pareille situation, et le prophète annonce qu’il est sur le point d’y mettre un terme.

C’est pour cela que le prophète tressaille déjà de joie devant les affligés à qui il s’adresse. Cette joie pourrait sembler insolente, voire blesser ceux dont le cœur est brisé après un retour au pays cruellement décevant. En réalité, sûr de son dieu, le prophète ne fait qu’anticiper la joie qui sera bientôt celle du peuple. Car c’est bien Dieu qui est source de sa joie. Dieu dont le salut et la justice transforment déjà son être tout entier (représenté par le vêtement). Le prophète se sent neuf, prêt à vivre une nouvelle vie, comme des fiancés sur le point de se marier qui exultent déjà en se préparant à la noce. Cette nouveauté exaltante est destinée à tous. Une semence plantée en terre peut-elle faire autre chose que germer et annoncer le fruit ? De la même manière, Dieu a planté une semence de justice : elle ne peut que germer. Son fruit sera la louange du Seigneur que chantera Israël. [2]

Une voix dans le désert [bis] (Jean 1,6-8.19-28)

Il y eut un homme envoyé d’auprès de Dieu ; son nom était Jean. Il est venu pour un témoignage, pour témoigner de la lumière, afin que tous croient par lui. Il n’était pas lui-même la lumière, mais… pour témoigner de la lumière. […]

Voici le témoignage de Jean, quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem prêtres et lévites pour le questionner : « Qui es-tu, toi ? » Il reconnut et ne nia pas, il reconnut : « Moi, je ne suis pas le messie. » Ils le questionnèrent : « Quoi donc ? Es-tu Élie, toi ? » Il dit : « Je ne le suis pas. – Es-tu le prophète ? » Il répondit : « Non. » Ils lui dirent donc : « Qui es-tu ? Il faut que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu sur toi-même ? » Il dit : « Moi ? Je suis une voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droit le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. » Or, des envoyés faisaient partie des pharisiens. Ils le questionnèrent et lui dirent : « Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le messie, ni Élie, ni le prophète ? » Jean leur répondit en disant : « Moi, je baptise avec de l’eau. Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas, celui qui vient derrière moi, duquel je ne suis pas digne de délier la courroie de la sandale. » Ces choses se passèrent à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain, là où Jean baptisait. 

Puisque Marc est assez discret à propos de Jean le baptiste (voir dimanche dernier), on est allé chercher ce que dit de lui le 4e évangile, et on a fait du collage. Deux brefs passages de ce qui fait fonction de « prologue » de cet évangile (1,1-18) parlent du baptiste. Le premier a été retenu ici, mais le découpage ne favorise guère sa compréhension. Quelle est en effet cette « lumière » en faveur de laquelle Jean témoigne – puisque tel est l’essentiel de la mission pour laquelle il est envoyé ? Selon les versets 1-5, la Parole créatrice de Dieu déborde de vie : c’est elle, la lumière des humains, une lumière irrésistible. Porte-parole envoyé par Dieu, cet homme est « témoin de la lumière ». C’est donc qu’il a vu la lumière, qu’il a entendu la Parole, qu’il a expérimenté la vie qui en jaillit. Et c’est ainsi qu’il peut témoigner de la parole lumineuse du dieu de vie, dans l’espoir qu’elle suscite la confiance de ses auditeurs. La suite du prologue révèle que cette Parole a pris chair pour résider un temps chez les humains. Et c’est l’objet du témoignage de Jean qui annonce que la lumière vient par celui qui donnera chair à la parole créatrice.

Tout ceci est obscur (volontairement sans doute) et l’auteur se sert de cela pour créer une attente. Celle-ci est comblée après le prologue : l’évangéliste explicite le témoignage que Jean délivre, sollicité par les autorités de Jérusalem qui, tout comme le lecteur, sont curieuses d’en savoir plus. Ici, l’évangéliste reprend en substance ce que Marc dit du baptiste et de son rôle. Il développe ce qui concerne l’identité de Jean en commençant par le situer par rapport à des figures dont l’Ancien Testament annonce la venue. Jean lui-même affiche clairement qu’il n’est pas le messie, le roi sauveur qui établira le règne de Dieu – il n’est pas la lumière, disait le prologue. Serait-il alors Élie, dont le prophète Malachie disait qu’il viendra préparer les cœurs au « Jour du Seigneur » (Malachie 3,23-24) ? Serait-il le prophète semblable à Moïse que, par la bouche du même Moïse, le Seigneur promet d’envoyer à son peuple (Deutéronome 18,15-19) ? Jean refuse d’être assimilé à ces personnages prestigieux. Alors, sommé de se situer lui-même, il affirme qu’il n’est qu’une voix que Dieu emprunte pour faire retenir à nouveau la parole d’Isaïe pour sa génération, une parole qui invite à donner au Seigneur la possibilité de venir avec la vie et la joie dont il souhaite combler son peuple.

Concernant le baptême, le 4e évangile est plus discret que Marc (suppose-t-il connu cet évangile ?). Ici, ce baptême ne semble servir qu’à éveiller ceux qui s’y prêtent, à les alerter sur la présence « au milieu d’eux » de quelqu’un qu’ils ne connaissent pas, mais qui est bien plus important que Jean, même s’il le suit. Car comme il l’affirme en 1,15, celui-là vient de bien plus loin que lui, car « avant moi il était » : il n’est autre que la parole de Dieu elle-même qui éclaire tout être humain pour le faire vivre. Ainsi, en répondant aux questions sur lui et son baptême, Jean ne parle en réalité que de cet Autre : le Seigneur à qui il prépare le chemin, celui qui vient derrière, mais qui le précède. En précisant en finale que cela se passe « de l’autre côté du Jourdain », dans une zone désertique qui ne fait pas vraiment partie de la « terre promise », l’évangéliste suggère que Jean se tient aux portes du royaume. Son baptême, alors, pourrait figurer une traversée vers le lieu où se tient cet inconnu dont la présence est promesse d’une vue en plénitude (voir Jean 10,10).

Invitations de l’apôtre Paul (1re Lettre aux Thessaloniciens 5,16-24)

Une fois n’est pas coutume : l’épître est « en phase » avec la première lecture et l’évangile du jour. Les recommandations que Paul adresse à la communauté chrétienne de Thessalonique tout à la fin de sa lettre. Il commence avec des attitudes générales qui conviennent à un disciple de Jésus parce que Dieu le veut ainsi.

Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance :
c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus.

Voilà qui fait écho à la joie d’Isaïe qui sait que Dieu est proche et qu’il travaille à la vie. Vivre joyeux, se faire proche de Dieu par la prière et l’action de grâce (tiens ! c’est d’« eucharistie » que Paul parle. Mais rien à voir avec la messe…).
Suit un conseil pour la vie en communauté (je ne vois pas comment le relier aux autres lectures du jour) :

N’éteignez pas l’esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose :
ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal.

Des membres de la communauté prennent la parole pour édifier celle-ci, pour l’exhorter par des paroles qu’ils présentent comme venant de Dieu et prononcées sous l’impulsion de son esprit (des « prophéties »). Il ne s’agit pas de s’en méfier a priori, mais de faire preuve de discernement pour n’en garder que ce qui contribue au bien de tou(te)s. – Je note que c’est à la communauté de le faire, pas à une quelconque hiérarchie…
Paul termine par une bénédiction.

Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ;
que, tout entiers, votre esprit, votre âme et votre corps, soient gardés sans reproche
                         lors de la venue de notre Seigneur Jésus Christ.
Il est fidèle, celui qui vous appelle : cela, c’est lui aussi qui le fera.

Cette bénédiction vise la sainteté des membres de la communauté : que, dans sa fidélité sans faille, Dieu leur donne de vivre accordés à lui, de sorte qu’ils soient prêts à accueillir le Seigneur quand il viendra. Car si Jésus est venu comme Jean l’a annoncé, il « vient » encore dans son désir de se rendre présent à chacun(e) pour donner à sa vie son épanouissement plénier. C’est là une des dimensions de l’Avent (en latin, adventus, venue, qui traduit le grec parousia).

André Wénin

[1] La traduction liturgique met la phrase au féminin. Ce qui induit que le « je » qui parle n’est pas le même sujet que celui du début du texte. Ce choix n’a aucune base dans l’hébreu !

[2] En écho à la joie du prophète, la liturgie propose le chant du Magnificat, mais… censuré d’une strophe : « Déployant la force de son bras, il disperse les superbes ; il renverse les puissants des trônes, il élève les humbles ». Ce sont les versets (51-52) qui ont un jour été censurés lors d’une célébration pontificale au Chili, en présence du général Pinochet de sinistre mémoire.

 

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin