19ème dimanche

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 7 août 2022
Auteur: André Wénin


« Dieu veille sur ceux qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort »
(Psaume 33,18-19a)


Exode revisité (Sagesse de Salomon 18,6-9)

La nuit de la délivrance pascale avait été connue d’avance par nos Pères ; assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie. Et ton peuple accueillit à la fois le salut des justes et la ruine de leurs ennemis. En même temps que tu frappais nos adversaires, tu nous re- vêtis de gloire en nous appelant à toi. En secret, les saints descendants d’(hommes) bons of- fraient un sacrifice, et ils acceptèrent d’un commun accord cette loi divine : que les saints partageraient les bonnes choses aussi bien que les dangers, et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères.

J’avoue ne pas comprendre pourquoi un tel texte a été choisi, pourquoi il a été tiré de son con- texte, et pourquoi il a été découpé ainsi...

La finale du livre de la Sagesse est une sorte de commentaire narratif (en termes techniques, un midrash de type haggadah) du début du livre de l’Exode. Ce commentaire cherche à montrer com- ment la Sagesse de Dieu est à l’œuvre dans l’histoire d’Israël, travaillant à faire mourir tout ce qui porte la mort pour laisse place à la vie. Le paragraphe d’où ce texte est tiré commence au verset 5 (mais comme c’est un peu violent, le verset a été censuré...). Voici le texte, ainsi qu’une traduction plus précise du verset 6 inclus (et modifié) dans la version liturgique.

(5) Lorsque (les Égyptiens) avaient décidé de tuer les nouveau-nés des saints [= le peuple de Dieu], et qu’un seul enfant exposé avait été sauvé [= Moïse], pour les reprendre, tu as éliminé la foule de leurs enfants en les faisant mourir tous ensemble dans les eaux puissantes. (6) Cette nuit-là avait été annoncée d’avance à nos pères afin que, assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils soient dans la joie...

L’auteur (qui parle fictivement à Dieu, de qui il loue la Sagesse) fait ici allusion à la sortie d’Égypte. Il voit dans la mort de l’armée de Pharaon au cœur des eaux de la mer des Joncs (voir Exode 14) une « réponse » de Dieu visant à corriger l’erreur commise par les Égyptiens. Cette erreur est d’avoir accepté l’ordre inique de leur roi et d’avoir fait périr tous les garçons des Hébreux dès la naissance. Par la mort de ces hommes, il s’agissait moins de punir les Égyptiens, que de leur montrer combien ils ont eu tort de sombrer dans le mal consistant à semer la mort. En revanche, le peuple d’Israël qui a cru aux promesses divines de libération était dans la joie d’être enfin libéré de l’oppression, de l’esclavage et de la mort. Tandis que les fauteurs de mort périssaient, le peuple libéré était revêtu de gloire par son Dieu qui l’appelait vers lui en vue de sceller avec lui une alliance pour la vie.

Mais au moment de quitter l’Égypte, les fidèles d’Israël, « saints descendants » de ces hommes bons que furent les patriarches, ont pris un engagement solennel : en sacrifiant l’agneau pascal, ils ont par avance accepté l’aventure de l’exode avec ses avantages, mais aussi ses dangers. Cette expérience, ils l’ont faite dès leur sortie du pays, quand ils ont vu la protection que le Seigneur leur ac- cordait, mais aussi quand ils ont paniqué en voyant approcher l’armée ennemie. Annonciatrice de ce qu’allait être la suite de leur chemin à travers le désert, la difficile expérience de la libération les a amenés à entonner des chants à la louange de Dieu, semblables à ceux que leurs Pères dans la foi avaient chantés.

 

 

La foi... (Lettre aux Hébreux 11,1-2.8-19)

La foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. Et quand l’Écriture rend témoignage aux anciens, c’est à cause de leur foi. [...]

Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait. Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre pro- mise, comme en terre étrangère ; il vivait sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse, car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations, la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte. Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable. C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs. Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie. S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir. En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une ville. Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : c’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.

Comme le texte tiré de la lettre aux Hébreux commente le Genèse, j’en dirai quelques mots. L’auteur relit l’histoire des patriarches, en particulier Abraham, avec la « foi » pour clé de lecture. On notera que cette « foi » n’est pas définie, mais illustrée au moyen d’exemples. Quatre de ceux-ci sont retenus dans la lecture ci-dessus (voir les italiques).

La « foi », c’est ce qui permet de prendre le risque de l’inconnu, comme Abraham qui part à l’appel de Dieu. Loin d’être recherche de sécurité, elle est plutôt acceptation du provisoire, du non définitif, comme le symbolise l’image de la tente.

Elle est encore ce qui rend fécond un sol que l’on croyait stérile, comme Sarah rendue capable d’enfanter malgré le double obstacle de la stérilité et du grand âge. La « foi » est donc à l’opposé de la résignation, du défaitisme, de la désespérance en la vie.

Elle est ce qui permet de vivre dans l’attente active de choses meilleures, comme les patriarches qui sont restés des nomades. Elle s’oppose ainsi à la tiédeur, à l’autosatisfaction, à l’épicurisme facile de qui se contente de ce qu’il a, sans plus rien attendre du futur, sans être à la recherche de ce que Dieu ou la vie ont toujours à offrir.

Elle est enfin ce qui pousse à renoncer à ce que l’on estime indispensable au bonheur – et même à l’image que l’on s’est faite de Dieu – comme Abraham qui accepte l’ordre de renoncer à Isaac. Elle est l’attitude de celui qui, comme lui, vit avec la conviction que la mort n’est pas le dernier mot de la vie, que le Dieu vivant est celui qui force les impasses.

À la base de ces comportements ou attitudes, il y a la confiance en un dieu toujours en avant des humains, un dieu dont la promesse est vie, un dieu qui donne toujours le meilleur même quand l’être humain ne le perçoit pas ainsi, un dieu dont l’amour est plus fort que la mort. L’assurance qu’une telle confiance communique permet de vivre avec les manques et les fragilités, de rester ou- vert à toute altérité, de se maintenir en éveil, prêt à accueillir ce qui vient.

Accueillir le don du Royaume (Luc 12,32-48)

Jésus disait à ses disciples : « Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.

Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur viendrait, il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Vous aussi, te- nez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »

Pierre dit alors : « Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tous ? » Le Seigneur répondit : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! Vraiment, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. Mais si le serviteur se dit en lui-même : ‘Mon maître tarde à venir’, et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles. Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups. Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, celui-là n’en recevra qu’un petit nombre. À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. »

Recevoir ce que Jésus vient donner à ses disciples – le Règne de Dieu – suppose de ceux-ci qu’ils cultivent des dispositions intérieures invitant à une certaine manière d’être. Être en état de recevoir implique d’assumer le manque, de ne pas se laisser encombré par les biens matériels ou par la re- cherche de biens. Signe de cette attitude intérieure indiqué par Jésus : savoir se défaire de tels biens en les donnant. Recevoir le don de Dieu suppose encore de ne pas se faire le centre de sa propre vie, mais à la vivre comme un service, comme une disponibilité de tous les instants qui est celle d’un serviteur. Cela implique une forme de vigilance, ou d’éveil qui est ouverture à ce qui vient, à l’attendu mais aussi à l’inattendu, à la surprise. En somme, il s’agit essentiellement de faire de la place en soi pour ce qui vient, pour ce qui sera donné.

À la question de Pierre inquiet de savoir si ce que Jésus vient de dire concerne seulement les disciples, Jésus ne répond pas directement. Il ajoute plutôt d’autres instructions destinées à (celles et) ceux qui reçoivent des responsabilités à exercer au sein des communautés. Qu’ils prennent garde : ils ne sont pas des maîtres, mais des intendants dont la charge est de donner. Jouer au petit maître en abusant de la position et du pouvoir qui accompagne toute responsabilité, c’est être profondément infidèle à la mission reçue du maître. Indigne de sa charge, celui qui se comporte de cet- te façon ne peut qu’en être irrémédiablement écarté (et subir ce qu’il a imposé aux autres !). Luc savait que le cléricalisme avait de beaux jours devant lui ! Jésus l’ignorait-il ?

André Wénin

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin