22ème dimanche

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 28 août 2022
Auteur: André Wénin

« Père des orphelins, défenseur des veuves,
tel est Dieu dans sa sainte demeure »

(Psaume 68,6)

Humilité (Ben Sira 3,17-18.20.28-29)

Mon fils, accomplis tes travaux avec douceur, et tu seras aimé plus qu’un faiseur de cadeaux. Plus tu es grand, plus il te faut te faire humble : tu trouveras grâce devant le Seigneur. Grande est la puissance du Seigneur, et par les humbles il est glorifié. […]La misère de l’orgueilleux est sans remède, car une plante de mal est enracinée en lui. Le cœur d’un (homme) sensé médite les maximes de la sagesse, et une oreille à l’écoute est le désir du sage.

Yoshua fils de Sira (ou Siracide) est un sage dont le livre a été longtemps connu seulement dans sa traduction grecque, œuvre de son petit-fils. De larges fragments en hébreu – assez différents de la version grecque – ont été retrouvés à la fin du 19e s. au Caire et au 20e s. en Palestine. Ben Sira vivait à Jérusalem, où il a rédigé son ouvrage sans doute au début du 2e s. avant l’ère commune. Son but, dans une période d’hellénisation forcée, était de promouvoir la tradition juive et de soutenir ses partisans. S’adressant à « mon fils », terme qui désigne le disciple du sage, il formule des conseils en vue de développer un art de vivre de façon authentiquement humaine dans une juste relation à soi-même et aux autres.

Les extraits retenus ici opposent deux attitudes que la traduction liturgique réduit à la paire humilité – orgueil. Le texte est davantage nuancé et plus riche, car il ne recommande pas l’humilité de manière globale comme une valeur en soi. Il commence par évoquer une autre vertu : la douceur, la bonté alliée à la modestie – car être bon en se posant en supérieur peut être écrasant pour le bénéficiaire de cette bonté. Quant à l’humilité, c’est aux grands qu’elle est recommandée (et, selon l’hébreu, aux riches). Elle consiste à se faire d’autant plus petit que l’on croit être grand ou que l’on est considéré comme tel par les autres. Celui qui veut être sage agira avec « douceur » : cela lui vaudra d’être estimé et aimé davantage que s’il couvrait les autres de cadeaux. S’il est « grand » ou se croit tel, il s’abaissera et Dieu lui sera favorable.

Le grand ne se fait pas humble est « orgueilleux », ou plus exactement arrogant. À l’opposé de la fierté qui peut être légitime, l’orgueil est le sentiment exagéré de sa propre valeur, de sa propre importance. Il conduit à prendre les autres de haut, à les mépriser (l’hébreu a ici le mot « railleur »), mais sans en avoir conscience. En effet, l’orgueilleux est centré sur lui-même au point d’en devenir aveugle, incapable de voir ses limites et ses faiblesses, incapable de se voir lui-même avec les yeux de celles et ceux à qui il s’estime supérieur. L’antidote n’est pas à chercher loin : se faire petit. Plus exactement, peut-être, en particulier pour le « grand », être réaliste et apprendre à reconnaître lucidement sa petitesse, sa fragilité, son peu de poids effectif au regard de la « puissance » de Dieu et, plus globalement de ce qui transcende tout humain : l’immensité de l’espace et du temps, des domaines du savoir qui échappent, du non-pouvoir radical face à la mort, sans parler de tout ce que chacun ignore de son propre monde intérieur et du mystère qu’est l’autre…

Cela dit, Ben Sira se montre réaliste : le mal de l’arrogant, dit-il, est sans remède. En hébreu, il écrit : « Ne cours pas pour soigner la blessure de l’effronté, car il n’y a pas de remède ». La plante, en effet, a sa racine en lui. Que peut viser cette métaphore ? Peut-être le fait que l’orgueil est une façon de chercher à guérir d’un mal enfoui au plus profond de soi : l’angoisse de n’être rien parce que l’on n’est pas tout, et la peur que ce rien – cette « vanité » – soit démasqué. En ce sens, le sage a raison de dire que cette plante dont les racines sont tout intérieures produit un fruit de mal et de malheur (selon le double sens des termes hébreu et grec) : le malheur que l’on s’inflige à soi-même produit un mal que l’on inflige à autrui. Comment une telle manière d’être pourrait-elle être l’objet de la faveur du Dieu de la vie ?

Puisque ce péril est présent chez tout être humain, une personne sensée accordera toute son attention aux proverbes de la sagesse. Souvent inattendus, parfois déconcertants, ils mettent en question les certitudes dans l’espoir que s’ouvre un chemin de réconciliation avec soi-même, avec sa propre petitesse et ses limites intrinsèques, un chemin pour faire de celles-ci autant de chances de vivre des relations authentiquement humaines. Pour cela, apprendre à écouter est capital. Plus que « l’idéal » du sage comme le veut la traduction liturgique, l’écoute est l’objet du désir ardent du sage (selon le grec), l’objet de sa joie (selon l’hébreu). Or l’écoute est l’art de faire taire les bruits intérieurs, d’apaiser angoisses et aspirations, de relativiser ce que l’on croit savoir ou pouvoir ; bref, écouter, c’est entrer dans un art de vivre que l’écoute de la sagesse viendra à son tour nourrir et approfondir. C’est un tel art de vivre que le sage ne cesse de désirer et qui ne cesse de faire sa joie.

Comment avoir la meilleure place ? (Luc 14.1.7-14)

Un jour de sabbat, Jésus entra dans la maison d’un des chefs des pharisiens pour y prendre un repas, et ces derniers l’observaient. […] Jésus disait une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places. Il leur disait : « Quand tu es invité par quelqu’un à des noces, ne t’installe pas à la première place, de peur qu’un autre plus considéré que toi ait été invité par lui. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède la place à celui-ci’ ; et alors, tu iras, rouge de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Ainsi, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi une cause de fierté devant tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève lui-même sera humilié ; qui est humble sera élevé. » Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un dîner ou un souper[1], n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins, de peur qu’eux aussi t’invitent pour te donner en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu qu’ils n’aient pas de quoi te donner en retour : cela te sera donné en retour à la résurrection des justes. »

Dans cette scène propre à l’évangile de Luc, Jésus fait preuve d’une sagesse pratique. Il observe les manèges des invités qui se poussent pour tenter d’avoir une place enviable, au plus près du « chef » si possible. À voir les invités jouer à ces petits jeux, on comprend qu’ils sont des « gens bien » : des « petites gens » ne se comporteraient pas de cette façon, en effet. Cette double observation amène Jésus à une double réaction.

Le premier des deux conseils de Jésus (ou en tout cas de Luc) semble combattre l’orgueil, comme Ben Sira. En réalité, c’est la recherche de la première place qui est visée, ce qui est un peu différent même si le symptôme est le même. Ce que cette recherche révèle, c’est la surestimation de soi – alors qu’un orgueilleux, épousant la réflexion de Jésus, s’installerait dans un jeu d’humilité apparente pour obtenir ce qu’il souhaite : une place en vue… Dans le conseil qu’il donne sous la forme d’une petite histoire, Jésus parle étrangement de « noces ». Il ne pense donc pas à un simple repas : lors de noces, en effet, on célèbre une alliance. Et l’alliance est incompatible avec la surestimation de soi, avec la recherche des honneurs. Quiconque se croit plus important ou plus méritant qu’autrui est à la dernière place dans l’ordre de l’alliance. Car une véritable alliance suppose que l’on fasse place à l’autre, que l’on soit prêt à lui offrir la première place. Se mettre en avant est un comportement spontané, mais Jésus invite ses auditeurs à s’inscrire en faux contre cette tentation : une modestie de bon aloi grandit l’être humain.

Le Jésus de Luc a quelque chose d’impertinent dans cette scène et n’hésite pas à faire la leçon ensuite à ce « chef des pharisiens » qui n’a invité que du beau monde – puisque tous estiment être dignes des meilleures places. Ici aussi, le conseil inverse ce qui est considéré comme un comportement normal qui semble aller de soi. Par ce conseil, Jésus (ou en tout cas Luc) invite à adopter une autre attitude qui a deux composantes. D’une part, la priorité à donner aux pauvres et autres éclopés de la vie : en les invitant à sa réception, il élèvera ceux qui, dans la société, sont relégués aux dernières places. D’autre part, l’abandon d’une mentalité calculatrice pour entrer dans une forme de gratuité, celle qui consiste à donner sans attendre en retour. C’est l’attitude que Jésus recommandait à ses auditeurs : « Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande : vous serez les fils du Très-haut car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants » (Luc 6,35). Adopter cette manière d’être, c’est être juste, fils de Dieu et promis à une vie que la mort ne pourra anéantir.

[1] Restons belges…

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin