23ème dimanche

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 4 septembre 2022
Auteur: André Wénin

« Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nous arrivions à la porte de la sagesse. »

(Psaume 90,12)

Sagesse et salut (Sagesse de Salomon 9,13-18)

Quel humain peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre ce que veut le Seigneur ? Les raisonnements des mortels sont sans valeur, et nos pensées, instables ; car un corps périssable appesantit l’âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre intelligence aux mille préoccupations. Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; mais ce qui est dans les cieux, qui donc l’a exploré ? Et qui aurait connu tes intentions, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? C’est ainsi que les sentiers de ceux qui sont sur terre ont été rendus droits ; c’est ainsi que les humains ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés.

Ce passage du livre de la Sagesse suggère que la conception que l’auteur se fait de l’être humain est marquée par la philosophie grecque. On croirait entendre Platon, par endroits. Mais cette vision réaliste de ce que nous sommes n’est pas proposée pour nourrir un pessimisme morbide, mais pour mettre en évidence le salut apporté à l’être humain par la Sagesse et par son Esprit Saint. La révélation par Dieu de ses volontés passe donc par la sagesse humaine, qui apprend à vivre en accord avec l’ordre du monde créé, ou par l’Esprit de Dieu qui « a parlé par les prophètes » en commençant par Moïse et la Loi. Chacune à sa façon, la sagesse et la parole prophétique ont enseigné aux humains comment se conduire avec droiture en apprenant ce qui plaît au dieu de la vie.

Cela dit, un tel discours peut nourrir une tendance fâcheuse qu’il n’est pas rare de rencontrer chez les croyants, bien qu’elle soit peu présente dans les textes bibliques (l’Ancien Testament, en tout cas). Cette tendance est d’abaisser l’être humain dans le but de grandir Dieu et sa bienveillance envers les humains. Mais honore-t-on Dieu en soutenant qu’il a créé un être débile, incapable de quoi que ce soit par ses propres forces, et donc nécessairement dépendant de sa bonté ? Ne serait-ce pas plutôt là un dieu pervers ?…

 

Devenir disciple (Luc 14,25-33)

De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père, et sa mère, et sa femme, et ses enfants, et ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne se charge pas de sa croix pour venir derrière moi ne peut pas être mon disciple. Quel est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense, s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, si jamais, une fois qu’il a posé les fondations, il n’est pas capable d’achever, tous ceux qui verront commenceront à se moquer de lui en disant : ‘Voici quelqu’un qui a commencé à bâtir et n’a pas été capable d’achever !’ Ou quel roi, partant en guerre contre un autre roi, ne s’assied pas d’abord pour voir s’il est capable, avec 10 000 hommes, d’affronter celui qui marche contre lui avec 20 000 ? Si ce n’est pas le cas, il envoie, pendant que l’autre est encore loin, une délégation pour demander les conditions de paix. Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. »

L’évangile de Luc a beau être réputé comme évangile de la miséricorde divine, il sait aussi se faire exigeant quand il s’agit de mettre en lumière les choix radicaux que requiert une vie évangélique. Le texte proposé pour ce dimanche est un modèle du genre. Selon le récit de Luc, Jésus est en route vers Jérusalem où s’accomplira son « exode » (Lc 9,31.51). Il est accompagné par des foules nombreuses qui, en le suivant, se comportent comme des disciples, mais ignorent sans doute tout de l’adversité à laquelle il s’expose là où il a choisi d’aller. Il met donc les choses au point. Le suivre demande lucidité et réflexion sur le type d’engagement que cela implique et sur la capacité que l’on a d’assumer un tel engagement. Tel est le sens des deux petites paraboles de l’homme qui décide de bâtir une tour ou du roi qui envisage de partir en guerre. Au début et à la fin de ce passage, Jésus expose clairement ce qu’exige le fait de devenir disciple : essentiellement de se faire libre de tout ce qui peut entraver l’adhésion à lui.

D’une part, il y a les liens familiaux : « haïr » les membres de sa famille (la traduction liturgique propose : « sans me préférer à son père… »). Le verbe ici employé relève probablement du vocabulaire de l’alliance, où « aimer et haïr » ne se réfèrent pas à des sentiments, mais à un choix prioritaire de fidélité (voir par ex. dans le décalogue, Exode 20,5-6 où « haïr Dieu » signifie ne pas être fidèle à l’alliance avec lui). Ici, Jésus réclame que ce soit la fidélité à lui qui régisse les autres relations dans lesquelles le disciple est impliqué. Les relations familiales peuvent emprisonner, être paralysantes. Jésus lui-même, d’ailleurs, les fait passer clairement au second plan, quand il déclare que « [s]a mère et [s]es frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Luc 8,19-21). Donner priorité à Jésus et à sa parole, c’est dès lors aussi renoncer à soi-même, à cette image de soi qui s’est construite au sein de ces relations proches ; c’est trouver une identité nouvelle dans le devenir disciple de l’Évangile.

D’autre part, il y a les biens que l’on possède et qui sont autant de pièges : la richesse peut emprisonner la personne, la rendre esclave, la priver d’elle-même – alors même qu’un riche pense sans doute qu’elle garantit sa vie, son futur. Le Jésus de Luc met sévèrement en garde contre le risque d’esclavage que la richesse fait courir, lorsqu’il déclare en 16,13 (aussi Mt 6,24) : « Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon ». C’est ce qu’il illustre par la parabole du riche et de Lazare (Luc 16,19-31) où il montre à quel aveuglement mais aussi à quel malheur la richesse peut conduire.

Si l’on en croit la répétition de la formule « il ne peut pas être mon disciple », c’est cette double renonciation à ce qui risque d’empêcher la liberté intérieure qui est visée par l’expression « se charger de sa croix ». En effet, un tel choix peut être pesant, déchirant, voire crucifiant. Il implique une forme de mort à soi-même, à l’image de Jésus qui s’est dépouillé de lui-même jusqu’à la mort de la croix (lettre de Paul aux Philippiens 2,7-8). Mais, selon Luc, devenir disciple n’est pas fait pour les foules, pour ceux et celles qui se contentent de suivre un mouvement. Ce n’est possible que pour les gens qui sont prêts à des ruptures, à des renoncements pour s’attacher personnellement à Jésus.

Esclave ou frère ? (Billet de Paul à Philémon 9b-10.12-17)

Bien-aimé, moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus, j’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ. […] Je te le renvoie, lui qui est comme mon cœur. Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile. Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais de bon gré. S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi.

Ce petit billet écrit par Paul (verset 19 : « Moi, Paul, j’ai écrit de ma propre main ») a été conservé dans le canon du Nouveau Testament, bien qu’il concerne une affaire privée. Philémon est un homme qui est devenu chrétien grâce à Paul. C’est un membre éminent d’une communauté qui se réunit chez lui. Un de ses esclaves, Onésime (= Utile), s’est enfui de chez lui et a rencontré Paul, alors en prison. Paul l’a converti à la foi chrétienne et s’est lié avec lui par un attachement réciproque. Ce lien n'est cependant pas sans problème : d’un point de vue humain, Philémon pourrait trouver indélicat de la part de Paul de garder un de ses esclaves à son service ; d’un point de vue juridique, surtout, un esclave en fuite est punissable, de même que celui qui lui offre protection. Paul décide donc de renvoyer Onésime à son maître, mais il y met la manière. Devenu chrétien, l’esclave est à présent un « frère » dans le Christ. Dès lors, Paul invite Philémon à l’accueillir comme il le ferait pour un autre chrétien, voire pour Paul lui-même. Ensuite, il pourra soit le garder, soit le renvoyer à l’apôtre, à qui il est si utile.

En écrivant cela, Paul ne prive en rien Philémon de sa liberté d’action par rapport à l’esclave qu’il lui renvoie. Au contraire, il la suscite, tout en l’invitant à voir Onésime sous un autre jour et avec d’autres yeux que ceux d’un maître lésé qui a le droit de le châtier. Il ne conteste pas l’esclavage en tant que tel – cela n’aurait aucun sens dans le contexte de cette époque –, mais il suggère avec force que « dans le Seigneur », à la lumière de l’évangile du Christ, un esclave n’est plus d’abord un esclave pour son maître, même s’il reste à son service. C’est désormais un frère. La logique de l’évangile est donc, pour lui, une puissante invitation à renoncer à lui-même en tant que maître et de transformer ainsi la relation de pouvoir en relation fraternelle. On n’est pas très loin de ce que Jésus recommande à quiconque veut « être son disciple ».

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin