25ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 18 septembre 2022
Auteur: André Wénin

 « De la poussière le Seigneur relève le faible,
il retire le pauvre de la cendre pour qu’il siège parmi les princes »

(Psaume 113,7-8)

La question de l’argent et de son usage fait l’objet des lectures de deux dimanches, car elle est au centre du ch. 16 de l’évangile de Luc. La toute grande partie de ce chapitre, qui commence et s’achève par une parabole, est d’ailleurs propre à cet évangéliste particulièrement soucieux des pauvres et des humbles. En écho aux réflexions du Jésus de Luc, la liturgie donne la parole au prophète Amos, sans doute le plus « social » de tous. (Profitons-en ! C’est si rare que la liturgie nous donne à entendre la voix de ce prophète[1].)

 L’argent inique (Amos 8,4-7)

Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays. Vous dites : « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé, et le sabbat, pour que nous puissions ouvrir les greniers ? Nous allons diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances pour tromper, de manière à pouvoir acheter les faibles pour de l’argent, le malheureux pour une paire de sandales. Nous vendrons jusqu’aux déchets du blé ! » Le Seigneur le jure par la Fierté de Jacob : « Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs agissements ».

Originaire du royaume de Juda (au Sud), Amos a reçu mission d’aller annoncer la parole du Seigneur dans le royaume d’Israël (au Nord). Il vient d’un village, Tekoa, situé dans une zone aride du pays où, vraisemblablement, la pauvreté est grande. En revanche, le royaume d’Israël connaît une époque de prospérité. En s’y déplaçant, le prophète aura été frappé par le contraste. C’est peut-être ce qui explique que le livre qui lui est attribué témoigne d’une attention particulière au sort des pauvres et des miséreux, et que les oracles qui y figurent sont d’une dureté sans concession vis-à-vis de ceux qui s’enrichissent sur le dos des petits.

Dans cet oracle, Amos s’adresse directement à des gens qu’il interpelle en dénonçant leur principal méfait : écraser les petits, les malheureux qu’ils voudraient voir disparaître à tout jamais. Avec beaucoup de finesse, il développe sa critique indirectement, en leur donnant la parole. Il étale ainsi au grand jour non seulement leurs projets cachés, mais aussi leur hypocrisie, leur avidité et leur cynisme.

La question initiale dénonce leur hypocrisie. Ces gens pratiquent une religion de façade. Ils respectent scrupuleusement les fêtes religieuses ordinaires, celles de la nouvelle lune et de la pleine lune (probablement le sens du mot « sabbat » à l’époque d’Amos). Mais pendant ces jours chômés, ils n’ont qu’une idée en tête : que cela se termine pour pouvoir reprendre leurs affaires. La religion ne les intéresse pas. Seul l’économique compte à leurs yeux…

Sensible dès la première question, l’avidité de ces gens ressort plus clairement des projets qu’ils méditent. Trafiquer les instruments de mesure et les balances de manière à pouvoir frauder, ni vu ni connu, et augmenter les prix – inflation oblige, n’est-il pas ? – tout en vendant jusqu’aux déchets. Et pourquoi ces violations manifestes du droit (voir Lévitique 19,36 ; Proverbes 11,1 ; 20,23 ; Michée 6,1 ; Ézéchiel 45,10) ? Pour maximiser les profits, bien sûr. Mais aussi pour appauvrir davantage encore les miséreux, et endetter ceux qu’ils ont déjà affaiblis. En payant les dettes de ces pauvres (pour ces gens pleins aux as, ce n’est pas un problème !), ils les acquerront comme esclaves, puis ils les contraindront, en les exploitant, à rembourser ce qu’ils doivent. On voit ici comment, en donnant la parole à ces riches, Amos fait éclater toute leur duplicité et leur cynisme.

La « paire de sandales » a fait couler l’encre des exégètes. Pour les uns, l’expression est une façon de parler d’une somme dérisoire. Nous dirions « une croûte de pain ». Pour d’autres, c’est une allusion à une pratique juridique attestée une ou deux fois dans la Bible hébraïque. Ôter une sandale du pied est un geste symbolique par lequel on valide une transaction juridique (voir Deutéronome 25,9-10 ; Ruth 4,5-6). Dans ce cas, « acheter un malheureux pour une paire de sandales » revient à donner un vernis de légitimité juridique à une pratique contraire à la loi. Nouveau signe de l’hypo­crisie de ceux qui masquent leurs injustices derrière un écran de légalité.

Si l’on peut tromper allègrement les humains, c’est autrement plus difficile avec le Seigneur, un dieu qui a libéré les esclaves du pharaon, et qui aime la justice et le droit. Il connaît ces pratiques cachées, aussi frauduleuses qu’injustes. À ses yeux, elles sont intolérables. Elles crient vengeance au ciel car elles frappent les pauvres, les protégés de Dieu (voir Deutéronome 24,14-15 ; Isaïe 11,4 ; Psaume 82). Voilà ce qui justifie le serment solennel par lequel il répond à ces artisans d’iniquité : en jurant par lui-même – c’est lui, la Fierté de Jacob-Israël –, le Seigneur engage sa crédibilité au moment où il va annoncer le châtiment par lequel le pays sera bientôt frappé. Mais ce châtiment n’est autre que la conséquence de l’iniquité qui le pourrit jusqu’à la moelle (voir la suite : Amos 8,8-14). 

Choisir la vie (Luc 16,1-13)

Jésus dit à ses disciples : « Il y avait un homme riche ; il avait un gérant et celui-ci lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens. Il le convoqua et lui dit : ‘Qu’est-ce que j’entends à ton sujet ? Rends-moi compte de ta gestion, car tu ne peux plus être mon gérant’. Le gérant se dit en lui-même : ‘Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gestion ? Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force. Mendier ? J’aurais honte. Je sais ce que je vais faire, pour qu’une fois renvoyé de ma gérance, des gens m’accueillent chez eux.’ Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il disait au premier : ‘Combien dois-tu à mon maître ?’ Il répondit : ‘100 barils d’huile.’ Il lui dit alors : ‘Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris 50’. Puis il dit à un autre : ‘Et toi, combien dois-tu ?’ Il répondit : ‘100 sacs de blé.’ Il lui dit : ‘Voici ton reçu, écris 80’. Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté. En effet, les fils de ce monde sont plus habiles vis-à-vis de leur génération que les fils de la lumière. Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.

Celui qui est fiable dans la moindre chose est fiable aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si donc vous n’avez pas été fiables pour l’Argent [Mamôn] malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été fiables, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent [Mamôn]. »

Si Amos prend pour cible ceux qui s’asservissent à l’argent en vue de s’enrichir toujours plus à coup d’injustices répétées, le Jésus de Luc va plus loin : il dénonce l’argent comme ayant partie liée avec l’injustice. Il met donc en garde face à l’usage que l’on fait de cet « argent malhonnête », littéralement « argent d’injustice » ou « d’iniquité » (adikia). L’histoire du gérant licencié pour faute grave et sommé de rendre des comptes débouche ainsi sur l’éloge non de la malhonnêteté de cet homme, mais de son habileté. Puisque l’iniquité régit le monde de l’argent, ce gérant qui a su en jouer finement mérite d’être félicité pour s’être montré le plus malin. C’est la capacité à gérer habilement l’in­justice à laquelle l’argent donne prise qui est à imiter. Savoir se montrer astucieux, inventif comme le gérant de la parabole, c’est « placer » son argent judicieusement en le subordonnant à autre chose : des relations humaines authentiques, l’amitié, la vie.

En réalité, si l’argent est trompeur (selon la traduction parfois proposée), c’est parce qu’il est une idole redoutable, une idole que Jésus désigne par le nom de Mamôn. Comme toute idole, en effet, l’argent fascine et attise la convoitise, tout en aveuglant la personne sur l’injustice que produit toujours l’inévitable répartition inégale des richesses. Dès lors, autant rester lucide et user autrement de l’argent ; autant casser l’idole pour ramener l’argent à un simple moyen au service de l’es­sentiel : le chemin vers la vie éternelle. Du reste, gérer l’argent n’est qu’une « moindre affaire », puisqu’il s’agit seulement de biens matériels. La grande affaire, qui concerne chacun personnellement, c’est l’épanouissement de la vie donnée par Dieu. Et il faut choisir son camp, car servir en même temps deux maîtres antagonistes n’est pas possible. Idolâtrer l’argent est radicalement incompatible avec le service de Dieu. Et mettre sa confiance en Dieu est incompatible avec la recherche de sécurité que l’argent semble garantir… Il importe donc de se montrer fiable en traitant l’argent comme un simple moyen de servir au mieux le véritable Seigneur.

[1] L’unique autre texte d’Amos lu un dimanche est le bref récit de sa « vocation » (7,12-15 -15e dim. B), par ailleurs amputé de son contexte et de sa finale (un peu trop crue pour des oreilles chrétiennes ?).

 
Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin