27ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 02 octobre 2022
Auteur: André Wénin

« Oui, il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit. »

(Psaume 95,7)

Violence… (Habaquq 1,2-3 ; 2,2-4)

Combien de temps, Seigneur, vais-je crier au secours, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu secoures ? Pourquoi me fais-tu voir l’injustice et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. » […] Et le Seigneur me répondit et dit : « Mets la vision par écrit clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle vise la fin et ne décevra pas. Si elle semble hésiter, attends-la : elle viendra certainement, elle ne tardera pas. Voici un insolent, son âme n’est pas droite ; mais un juste vivra par sa fidélité.

Le texte ici proposé aligne deux tranchettes d’un discours prophétique très articulé. Visiblement, ce qui intéresse le censeur ecclésial, c’est la fin de l’extrait qui semble en lien avec le passage évangélique du jour. Mais il ne pouvait quand même pas se contenter d’un demi-verset ! Ç’aurait été un peu maigre…

Le prophète Habaquq vit à la fin du 7e siècle. Il est témoin de la violence effrénée d’un grand empire, celui des Babyloniens, une violence dont son peuple est ou risque d’être victime. Ce à quoi il assiste le révolte profondément. Voilà pourquoi il appelle Dieu au secours : c’est la violence qui lui arrache ses cris. Et il poursuit : « Aussi la loi est engourdie, le droit ne s’exprime plus jamais ; quand le méchant circonvient le juste, le droit qui s’exprime est perverti » (v. 5). Il faudrait lire l’ensemble du chapitre 1 où le prophète horrifié décrit la violence des Babyloniens – un peuple impitoyable et impétueux – à qui il donne parfois la parole. Cet empire dicte sa loi, il se joue des rois, envoie des hordes de cavaliers prendre des villes, faire des prisonniers, s’approprier des maisons. « Sa force, voilà son dieu ! », s’exclame le prophète (v. 11). Mais le Seigneur ne semble rien voir et, de façon incompréhensible, il garde le silence « quand un méchant engloutit un plus juste que lui » (v. 13). Habaquq compare les ennemis à des pêcheurs armés d’hameçons, de filets et de chaluts, qui capturent des humains comme des poissons et, en exultant, « assassinent des nations sans pitié » (v. 17).

Face à ce spectacle atroce qui ne semble pas toucher le Seigneur, le prophète reste à son poste de garde et attend une réponse qui ne vient pas. Pourtant, il n’a pas hésité à reprocher à Dieu son silence et s’attend donc à une réprimande de sa part… (2,1). C’est alors que la réponse arrive (2e partie du texte ci-dessus). Elle est assez étonnante. Dans un premier temps, Dieu invite Habaquq à écrire ce qu’il voit, à témoigner ainsi de ces événements pour ceux qui viendront. Car ce qui se produit sous ses yeux est destiné à se répéter jusqu’à la fin, le temps fixé du jugement. Chaque génération pourra y reconnaître la violence qu’elle observe, elle pourra partager la révolte du prophète mais aussi ses questions concernant l’absence de réaction de Dieu.

Plus loin (v. 5-8), Dieu explicite aussi à l’adresse du prophète la ruine qui attend immanquablement les violents, la fin qui ne saurait tarder, comme il le dit au v. 3…

Assurément, comme le vin est traître, l’homme fort est arrogant, sans repos ;
il ouvre large sa gorge comme les enfers, il est comme la mort, jamais rassasié ;
il s’annexe toutes les nations, il regroupe en lui tous les peuples.
Tous ne feront-ils de lui un objet de satire, de pamphlets et d’énigmes contre lui ?
Ils diront : Quel malheur pour celui qui s’enrichit du bien des autres – jusqu’à quand ? –
et augmente ainsi le poids de ses dettes !
Ne vont-ils pas se dresser soudain, tes créanciers, se réveiller, ceux qui te feront trembler ?
Par eux, tu seras mis au pillage !
Comme tu as pillé de nombreuses nations, tout le reste des peuples te pillera
à cause du sang de l’humain et de la violence faite au pays, à la cité et à tous ses habitants.

Ainsi, même si l’anéantissement des violents se fait attendre, il ne manquera certainement pas d’advenir – cela aussi, l’histoire l’enseigne. Mais que faire, entre-temps ? C’est au v. 4 que se lit la réponse. D’une part, il s’agit d’éviter l’insolence qui consiste à incriminer l’attitude de Dieu : c’est, en effet, le signe d’un esprit tordu, susceptible de verser à son tour dans la violence, ne serait-ce que par impatience. D’autre part, il s’agit de développer une attitude qui permet de se dresser face à la violence plutôt que de la nourrir. Le terme hébreu utilisé ici (’èmounah) évoque la fermeté, la constance et, en ce sens, la fiabilité par rapport à autrui et la loyauté envers Dieu, la fidélité. Une telle disposition intérieure et les comportements qui la traduisent dans le concret ne réduisent en rien la violence. S’ils ne sont donc pas une solution au problème, ils n'en constituent pas moins une manière de rester humain malgré tout, une façon de contenir la violence, au moins celle sur laquelle un individu ou une communauté peut avoir prise.

Simples serviteurs (Luc 17,5-10)

Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente notre foi ! » Le Seigneur dit : « Si vous aviez de la foi, (gros) comme une graine de moutarde, vous diriez à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait. Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare de quoi dîner, mets ton tablier et sers-moi, jusqu’à ce que j’aie mangé et bu. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir fait ce qui était ordonné ? De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous avons fait ce que nous devions faire’. »

Notre censeur ecclésial semble tellement focalisé sur la foi, qu’il en oublie le contexte de la demande des apôtres. Pourtant, ce qui précède pourrait bien être important pour en saisir la portée. Au début du ch. 17, Jésus évoque deux situations qui ne peuvent manquer de se présenter dans la vie d’une communauté. La première – dont l’actualité n’échappera à personne – concerne le respect des petits (v. 1-3a) :

Jésus disait à ses disciples : « Il est inévitable que surviennent des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive ! Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite à la mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà. Prenez garde à vous-mêmes ! »

Aucun responsable de communauté n’est à l’abri de cette dérive consistant à mettre des obstacles à la progression des petits dans leur découverte de l’évangile et dans leur façon de le vivre. Au moyen d’une hyperbole tout orientale, Jésus fait prendre conscience à ses disciples de la gravité d’une telle dérive. Qu’ils soient donc attentifs à ce qu’ils font. Après le mal que le disciple peut faire, la seconde recommandation de Jésus concerne le mal qu’il peut subir (v. 3b-4).

Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et, s’il se repent, pardonne-lui. Même si sept fois par jour il commet un péché contre toi, et que sept fois de suite il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. »

Pour Jésus, réagir au mal que l’on subit de la part d’autrui au sein de la communauté se fait en deux temps : d’abord le reproche – le Lévitique le recommande aussi, et précise : ne pas agir ainsi avec le prochain, c’est se charger d’une faute à son égard car cela pousse à le détester pour le mal qu’il a fait (Lv 19,17). Ensuite, le pardon pour celui qui se repent, un pardon à répéter indéfiniment si c’est nécessaire. Voilà qui n’est certainement pas simple !

Bref, là où le disciple risque de causer du mal, qu’il reste bien vigilant pour l’éviter ; s’il en est la victime, qu’il en parle d’abord, puis qu’il pardonne. Dans ces situations délicates, et pourtant courantes, il est si difficile de rester juste. N’est-ce pas ce qui pousse les apôtres à prendre conscience que, sans un lien solide avec Dieu et sans une grande confiance en autrui, il est peut-être impossible de trouver, dans les situations où le mal s’impose, un comportement qui puisse faire échec à ce mal. De là leur cri : « Ajoute à notre pistis (fidélité, confiance) » – et la réponse de Jésus : une telle attitude intérieure est capable de faire des choses qui semblent impossibles, impensables, folles même.

Jésus enchaîne ensuite, toujours à l’adresse des apôtres, avec des paroles étranges qui semblent n’avoir rien à voir avec ce qu’il vient de dire. À moins que ce soit une sorte de contre-point. Il part d’un exemple tout simple pour dire qu’un serviteur qui fait son travail ne mérite aucune reconnaissance particulière. Par ailleurs, il n’est pas indispensable : ce qu’il fait, un autre serviteur pourrait s’en charger. Sa petite histoire est en réalité un avertissement destiné aux apôtres, ces serviteurs de Jésus et de sa parole : même s’ils font suffisamment attention à eux-mêmes pour ne pas scandaliser les petits et respecter au mieux les plus humbles de la communauté, même s’ils parviennent à pardonner sans mesure, même s’ils vivent la pistis qui leur permet de tenir le cap, ils n'ont pas à en tirer gloire ou à attendre une récompense. Ils n’ont fait que leur devoir, ce qu’ils avaient à faire pour le service de leurs frères et sœurs et de leur dieu.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin