Premier dimanche de l'Avent A

Temps liturgique: Avent
Année liturgique: C
Date : 27 novembre 2022
Auteur: André Wénin

« Quelle joie quand on m’a dit :
“Nous irons à la maison du Seigneur !” »

(Psaume 122,1)

Utopie ? (Isaïe 2,1-5)

L’événement qu’Isaïe, fils d’Amos, a vu au sujet de Juda et de Jérusalem.— Il arrivera dans la suite des jours que la montagne de la maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et s’élèvera au-dessus des collines. Vers elle afflueront toutes les nations et de nombreux peuples viendront et diront : « Venez ! montons vers la montagne du Seigneur, vers la maison du dieu de Jacob, qu’il nous instruise de ses chemins pour que marchions sur ses sentiers. » Oui, c’est de Sion que sort la Torah (l’Instruction), et la parole du Seigneur, de Jérusalem. Il jugera entre les nations et arbitrera pour de nombreux peuples. Ils forgeront leurs épées en socs, et leurs lances en faucilles. Une nation ne lèvera pas l’épée contre une autre ; ils n’apprendront plus la guerre. Maison de Jacob, venez ! Marchons dans la lumière du Seigneur.

Le texte commence par le mot que l’on traduit habituellement par « parole ». Ce mot introduit bien sûr la parole du prophète, qui consiste à rendre compte d’une vision dont Isaïe est gratifié et qui n’est pas une simple parole, mais un « événement » à venir. (En hébreu, le terme dāvār désigne aussi bien la parole que la chose dont on parle : le mot français événement correspond à cette seconde définition.) L’événement en question concerne un petit territoire, Juda, et sa capitale, Jéru­salem. À l’époque du prophète, ce pays traverse des temps troublés à cause de guerres incessantes, que la fin de l’oracle évoque indirectement. La vision a donc quelque chose de rassurant. Car cette ville qui vacille sous la pression de ses agresseurs n’est pas n’importe laquelle. C’est « la montagne de la maison du Seigneur ». C’est en tant que telle que, selon la vision, elle trouvera la stabilité qui lui fait défaut et occupera une position qui la rendra inattaquable, « par-dessus les collines ».

Est-ce cette protection providentielle dont la ville sainte jouit qui va opérer le retournement de situation ? Toujours est-il que la vision prend la réalité à rebours. Au lieu d’être la cible de l’agres­sivité d’ennemis, « la montagne du Seigneur », siège de « la maison du dieu de Jacob », va devenir le centre du monde, un pôle attirant nations et peuples désireux de se laisser instruire sur la conduite à adopter pour vivre en présence de Dieu. Reconnaissant la souveraineté du dieu « qui siège en Sion » (Psaume 9,12), ils auront compris que sa demeure est le lieu d’où émane la Torah, l’instruction qu’ils attendent, et que là aussi résonne la parole prophétique qui ne cesse de montrer l’actualité de la Torah au cœur des bouleversements de l’histoire.

Mais cette Loi n’est pas seulement une instruction sur la façon de suivre les sentiers de Dieu. Elle recèle aussi un jugement puisqu’elle dénonce les chemins de mort. En montant à Jérusalem, les nations s’exposent donc à l’arbitrage divin. Celui-ci aura pour effet d’éliminer les comportements et les façons de vivre contraires à la Loi dont la finalité est de promouvoir la vie et le bonheur (ou le bien), comme le dit Deutéronome 30,15-20. Une fois disparues ces manières d’être mortifères, disparaîtra aussi la violence qui pourrit en permanence les relations entre les nations et au sein de celles-ci, et qui pousse à apprendre à faire la guerre. Devenues inutiles, épées et lances, ces armes d’agression pourront être recyclées en outils servant à produire de quoi nourrir les vivants, les socs des labours et les faucilles des moissons[1]. Et la nourriture ainsi produite est elle-même symbole de paix : végétale, elle n’implique pas que le sang coule…

L’exhortation finale pour la « maison de Jacob » constitue sans doute le début de l’oracle sui­vant que le prophète adresse à cette « maison », le royaume du Nord, un peuple frère mais aussi souvent ennemi. Lue comme fin de l’oracle précédent, elle résonne comme une invitation lancée au peuple du Nord pour qu’il entame dès à présent cette montée vers Jérusalem (Venez !) et se joigne ainsi au peuple de Juda (Marchons !). Cette démarche les placera tous deux sous la lumière salutaire du Seigneur qui est aussi « le dieu de Jacob », comme le prophète vient de l’affirmer. Elle signifiera en effet le début de la réconciliation entre les peuples.

Vigilance (Matthieu 24,37-44)

[Jésus disait à ses disciples :] « Comme [il en fut] aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il lors de la venue du Fils de l’humain. En ces jours précédant le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; ils ne se sont doutés de rien, jusqu’à ce que survienne le déluge qui les a tous emportés. Telle sera aussi la venue du Fils de l’humain. Alors deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé ; deux [femmes], à moudre au moulin : l’une est prise, l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient. Comprenez ceci : si le maître de maison savait à quelle heure de la nuit le voleur viendra, il veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi car c’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’humain vient. »

Après un extrait du discours apocalyptique de Jésus selon Luc, en voici un autre venant de Matthieu (qui fournira la grande partie des lectures de l’année A qui commence). Personnellement, j’aurais commencé par le début de cet évangile, qui est aussi l’ouverture du Nouveau Testament : la généalogie de Jésus selon Matthieu (1,1-17). Mais la théologie implicite de la liturgie l’emporte toujours sur celle de la Bible, Nouveau Testament compris. Serait-ce qu’au début de l’Avent, il faut enfoncer le clou du Christ Roi et maintenir la pression ? Comme à dire : attention, le Fils de l’humain, le juge eschatologique, vous attend et il vous prendra par surprise.

En contrôlant la traduction de la liturgie, je constate qu’elle transpose au futur la phrase finale de l’extrait retenu (« C’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra »). Dans le grec, les verbes sont pourtant conjugués au présent. La même version change deux autres présents en futur (« l’un sera pris, l’autre laissé » et « l’une sera prise, l’autre laissée ») ; elle ajoute, toujours au futur, un verbe ne figurant pas dans le grec (« Deux femmes seront au moulin »). Pour parler du moment où « le Fils de l’humain » ou « le Seigneur » se rend présent, le grec utilise 3 verbes au futur (v. 37-40a) puis 5 au présent de l’indicatif (v. 40b-44). La liturgie met tout au futur à l’exception d’un seul verbe (« vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient »).

Pourquoi ergoter ainsi sur la traduction du temps des verbes ? Parce qu’il me semble que si la conjugaison y est ainsi maltraitée, c’est à cause d’une préconception théologique inconsciente des traducteurs (à toutes fins utiles, je précise que c’est la même chose dans les autres bibles). À leurs yeux, la venue du « Fils de l’humain » ne peut être que future puisqu’elle est pour la fin des temps. Or, il me semble que les choses sont moins tranchées, et que la variation futur - présent pourrait être signifi­cative de la nature de la « parousie », ce moment où le Seigneur « se fait présent », selon le sens du substantif grec parousia (en latin adventus). Certes, cette venue (ou survenue) est future, le début du texte le souligne, en accord avec bien des textes du Nouveau Testament qui situent le « retour » du Christ pour toute l’humanité à la fin des temps. Mais pourquoi une telle venue pourrait-elle se produire aussi maintenant, ou tout à l’heure, pour telle personne ? Pas parce que la mort peut la frapper à l’improviste, mais parce que Dieu peut à tout instant faire irruption dans sa vie et en réo­rienter radicalement le cours. Ce n’est pas Paul de Tarse qui dira le contraire.

Il est de ces moments susceptibles de bouleverser le cours ordinaire des choses, tissé de repas quotidiens et de moments exceptionnels comme les mariages, de travail aux champs ou au moulin. Collectivement, le déluge évoqué par Jésus est un bel exemple d’un tel moment totalement impré­vu. Pour un individu, c’est la même chose quand quelqu’un vient dévaliser sa maison. Et (heureuse­ment !), ce qui arrive à l’un n’arrive pas forcément à l’autre : l’un est pris, l’autre laissé. D’où l’effet de surprise, d’ailleurs. Mais la surprise peut être moins surprenante si l’on reste en éveil. La vigilance est donc recommandée par Jésus. Car si le Fils de l’humain peut se présenter à tout moment quand on n’y pense pas, il faut pouvoir saisir l’occasion pour que son passage ne soit pas vain. C’est peut-être la fonction de l’Avent que d’inviter les fidèles, à l’heure où la nature s’endort, à rester en éveil pour rester disponible à la venue toujours possible du Seigneur dans leur vie personnelle ou commu­nautaire. En ce sens la lecture de ce dimanche est sans doute choisie à bon escient.

[1] On sait combien les guerres affectent gravement la terre et la production agricole…

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin