Deuxième dimanche de l'Avent (année A)

Temps liturgique: Avent
Année liturgique: A
Date : 4 décembre 2022
Auteur: André Wénin

2e dim. de l’Avent A – 4 décembre 2022

« Le roi délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre, du pauvre dont il sauve la vie.»

(Psaume 72,12)

La liturgie du 2e dimanche de l’Avent donne la parole à deux prophètes : l’un des premiers (Isaïe), et celui dont il est dit dans l’évangile qu’il est le dernier et le plus grand d’entre eux (Jean).

Utopie ! (Isaïe 11,1-10)

Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton de ses racines fructifiera. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur – et il lui inspirera la crainte du Seigneur. Il ne jugera pas sur ce que voient ses yeux ; il ne se prononcera pas sur ce qu’entendent ses oreilles. Il jugera les petits avec justice ; avec droiture, il se prononcera en faveur des humbles du pays. Du bâton de sa bouche, il frappera le pays ; du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant. La justice sera la ceinture de ses hanches, et la fiabilité, la ceinture de ses reins. Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse paîtront ensemble, ensemble se coucheront leurs petits. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du co­bra ; sur le trou de la vipère, le nourrisson étendra la main. On ne fera plus de mal ni de destruction sur toute ma sainte montagne, car le pays sera plein de la connaissance du Seigneur comme les eaux recouvrent la mer. Ce jour-là, la racine de Jessé sera dressée comme étendard des peuples, des nations la chercheront, et la gloire sera sa demeure.

Cet oracle d’Isaïe fait écho au rêve de Dieu lors de la création du monde et de l’humanité. Dans le récit qui ouvre la Genèse, au 6e jour, le créateur ordonne aux humains de maîtriser les animaux, mais sans les leur donner à manger, limitant leur nourriture aux végétaux. Il leur propose ainsi d’adopter une manière de vivre compatible avec son désir d’harmonie et de paix universelles. Mais incapable de maîtriser sa propre force et entraîné par sa convoitise, l’être humain sombre dans la violence destructrice. Dieu n’en renonce pas pour autant à son rêve de douceur : c’est ce que le prophète annonce ici au moyen d’images animales surprenantes. Les prédateurs cohabitent pacifiquement avec leurs proies, les carnivores deviennent végétariens, les bêtes dangereuses sont comme domestiquées, et le plus faible d’entre les humains est le pasteur de fauves apaisés. Ces images visent évidemment une société humaine d’où la violence a disparu, rendant enfin possible un vivre-ensemble qui ne soit plus sans cesse menacé par le mal et la destruction. C’est en tout cas ce que le prophète entrevoit pour le peuple qui habite sur « la montagne sainte », le peuple de Juda.

Une telle pacification est permise, selon Isaïe, par « la connaissance du Seigneur ». Cette connaissance n’a rien d’un savoir sur Dieu. C’est plutôt le résultat d’une relation ajustée avec lui, le fruit de la fidélité à l’alliance et à ses conditions. Une telle fidélité sera elle-même le résultat de l’action d’un homme, un descendant du roi David (et de son père Jessé), dont la dynastie semble ici avoir été fauchée, puisque seule subsiste une souche. Mais ce reste suffit à Dieu pour faire renaître l’arbre coupé de sorte que le rameau qui poussera puisse porter de nouveau un fruit. Cette image, végétale cette fois, évoque la figure d’un roi (anonyme) que l’esprit de Dieu revêtira. Il lui accordera les qualités qui feront de lui un bon gouvernant : sagesse, discernement, intelligence, force ou héroïsme, relation juste avec Dieu, fondée sur un profond respect qui le pousse à épouser ses volontés. Ainsi pourvu, le descendant de David fera régner la justice au sein de son peuple. Dans l’exercice du jugement nécessaire à cette fin, il ne se fiera pas aux apparences, à ce que ses yeux et ses oreilles perçoivent ; et s’il doit faire preuve de partialité, ce ne sera pas en faveur de puissants, mais plutôt de petits que ces derniers écrasent. Ce ne sera que justice ! Sa parole de juge intègre et donc fiable est « le bâton de sa bouche, le souffle de ses lèvres ». Voilà avec quoi il frappe le pays de façon à « faire mourir » le méchant – ou peut-être la méchanceté en lui. Une fois le mal éradiqué, et la justice rétablie, la paix pourra régner dans le pays, selon le rêve de Dieu.

La fin du texte ouvre largement l’horizon à l’universel. Ce que le nouveau David aura réalisé attirera l’attention des peuples, comme un étendard hissé en haut d’une hampe. Alors ils s’approche­ront pour voir, son exemple fera tache d’huile et ce sera pour lui un titre de gloire.

Jean (Matthieu 3,1-12)

En ces jours-là, paraît Jean le baptiste, proclamant dans le désert de la Judée : « Convertissez-vous, car le royaume des cieux est tout proche. » Jean est celui qui était annoncé par le prophète Isaïe : « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers ». Lui, Jean, portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de peau autour des reins ; sa nourriture, c’étaient des sauterelles et du miel sauvage. Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain sortaient vers lui et étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés.

Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens venir à son baptême, il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Faites donc un fruit digne de la conversion, et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : ‘Nous avons Abraham pour père’ ; car, je vous dis que, des pierres que voici, Dieu peut faire lever des enfants à Abraham. Déjà la cognée est à la racine des arbres : tout arbre qui ne fait pas un bon fruit est coupé et jeté au feu. Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de porter ses sandales. Lui vous baptisera dans l’esprit saint et le feu. Il tient dans sa main la pelle à vanner, il nettoiera son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

Jean est présenté par l’évangéliste Matthieu comme celui qui prépare et annonce la venue du roi dont parle Isaïe. Son accoutrement le donne à voir comme le nouvel Élie (voir 2 Rois 1,8) annoncé par le dernier prophète de l’Ancien Testament (Malachie 3,23-24). Pour asseoir davantage encore la légitimité de ce nouveau prophète, l’évangéliste précise qu’il est lui-même annoncé par Isaïe comme précurseur dont la voix retentit dans le désert (voir Isaïe 40,3). Cette voix invite à la conversion : la proximité du règne des cieux – tournure juive pour parler de Celui qui trône dans les cieux – suppose un terrain favorable pour pouvoir se déployer. À l’initiative de Dieu doit répondre la disponibilité de ceux-là qui attendent le monde nouveau dont Isaïe s’est fait le chantre inspiré.

Apparemment, la population de Jérusalem et de la région répond massivement à l’appel prophétique : les gens affluent auprès de Jean et manifestent leur désir de conversion en confessant le péché qui les détourne de Dieu et de son alliance, tandis que le baptême les en purifie symboliquement. Le message musclé du baptiste s’adresse cependant aux seules élites religieuses, pharisiens et sadducéens, ceux qui se revendiquent fils d’Abraham, se posant de la sorte en vrais croyants. Ils se sont mêlés au peuple qui afflue vers Jean pour être baptisé. Mais le prophète n’est pas dupe et démasque la fausseté de leur démarche[1] : s’ils sont là, ce n’est pas par désir authentique de conversion, mais parce que, conscients de leur vertu, ils n’en redoutent pas moins de tomber sous le coup du jugement que l’oracle d’Isaïe évoque. Avec beaucoup d’à-propos, Jean enfonce le clou de leur crainte et les menace, dans l’espoir de les amener à un véritable retournement. Car on ne naît pas fils d’Abraham, le père des croyants : on apprend à le devenir en se comportant comme lui. Dès lors, sans conversion en actes, l’arbre sera coupé, les déchets des céréales seront dispersés et la paille sera brûlée quand paraîtra ce « plus fort » que le baptiste annonce. Car le baptême auquel il procédera ne se fera pas dans l’eau comme celui que Jean propose : cette fois, la purification se fera par le feu, avec la puissance (le souffle) qui est celui de Dieu lui-même (saint). Il ne s’agira plus de se préparer au jugement, mais de s’y confronter en direct. Alors, il sera trop tard.

Le langage de Jean est fort, et la suite du récit évangélique ne lui donnera pas entièrement raison dans sa mise en scène de l’action et du message de Jésus. Celui-ci ne se présentera pas comme le juge eschatologique implacable dont Jean brosse un terrible portrait. Il n’endossera la robe de juge qu’en parabole, celle du jugement dernier (Matthieu 25,31-46) où les élites juives ne sont pas seules à se présenter devant le Fils de l’humain. Cela dit, Jésus saura se montrer plus que ferme avec ces élites religieuses : il dénoncera leur hypocrisie avec vigueur en leur annonçant le malheur auquel elles se vouent par leur manière d’être et d’agir (23,13-39). En parlant ainsi, il fera écho à la dureté des menaces du précurseur, les traitant comme lui de « race de vipères » (12,34 ; 23,33). Mais cette condamnation sévère leur laisse encore une chance : le jugement par le feu reste à venir.

[1] Je précise tout de suite que le contexte dans lequel l’évangile de Matthieu a été composé a poussé l’écrivain à charger les élites juives en donnant d’eux une image caricaturale, très souvent fort éloignée de la réalité.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin