Troisième dimanche de l'Avent A

Temps liturgique: Avent
Année liturgique: A
Date : 11 décembre 2022
Auteur: André Wénin

 « Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur aime les justes. »

(Psaume 146,8)

 

Joie ! (Isaïe 35,1-6a.10)

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme une rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et jubile ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sharôn. Ils verront la gloire du Seigneur, la splendeur de notre dieu. Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui flageolent, dites aux gens dont le cœur s’impatiente : « Soyez forts, n’ayez pas peur. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. C’est lui qui vient pour vous sauver. » Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds s’ouvriront. Alors un boiteux bondira comme le cerf, et la langue du muet jubilera. […] Ceux que le Seigneur a libérés reviendront, ils entreront à Sion en jubilant, une éternelle joie sur leur tête. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront.

Le prophète Isaïe annonce ici la joie du salut. Celui-ci commence dans la nature : la renaissance du pays ravagé par la sécheresse et l’aridité est le signe que le créateur fait œuvre de vie. La terre est ainsi le premier témoin de la gloire et de la splendeur de Dieu, qui se manifestent quand le pays se vêt d’une forêt digne de celle des cèdres du Liban, quand la campagne se couvre de champs fertiles et de fleurs multicolores comme le mont Carmel et la plaine du Sharôn. Signe évident de la venue du Seigneur, cette renaissance doit, selon le prophète, être un puissant encouragement pour les gens du pays qui s’impatientent de ne pas voir Dieu intervenir et qui ont perdu tout espoir (les mains leur en tombent) et tout dynamisme (ils ne tiennent plus sur leurs jambes). C’est en tout cas l’objet de l’exhortation du prophète à l’adresse de ceux qui perdent cœur et que la peur paralyse : avec le dieu qui s’approche, c’est « la vengeance » qui vient, « la rétribution » de Dieu.

Isaïe emprunte ici son langage au monde de la justice. Dans le cadre judiciaire, « faire vengeance », c’est rétablir la justice là où elle a été bafouée, en faisant la lumière sur la culpabilité des uns et l’innocence des autres. C’est ensuite « rétribuer » chacun en fonction du mal commis (peine) ou du tort subi (compensation). Ce jugement permet en quelque sorte que le bien prenne sa « revanche » (mot retenu par la traduction liturgique) sur le mal. Repousser le mal, tel est le cœur du salut que le prophète annonce. Les signes s’en manifestent dans le corps des humains diminués par le mal : les aveugles voient, les sourds entendent, les muets parlent, les estropiés se mettent à danser, les déportés rentrent chez eux pleins d’une joie d’autant plus grande qu’elle fait oublier la souffrance. (Les v. 6b-9 racontent la préparation du chemin pour faciliter ce retour.)

Cela dit, il est assez étrange que le rétablissement de la justice se traduise par des guérisons physiques. Cette étrangeté me pousse à risquer une lecture plus symbolique de ces signes d’un salut établi par un jugement qui vainc le mal et restaure la vie que ce mal a meurtrie. Un jugement en effet a notamment pour but d’« ouvrir les yeux et les oreilles » des malfaisants. Le mal, en effet, aveugle et rend sourds ceux qui le commettent, aussi bien sur leur propre méchanceté que sur la souffrance qu’ils infligent à autrui (« Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds s’ouvriront. »). Quant aux victimes, elles sont souvent paralysées et réduites au silence par le mal qui leur est fait. Libérées par le jugement qui leur rend justice, elles peuvent exprimer leur joie en chantant et en dansant (« Alors un boiteux bondira comme le cerf, et la langue du muet jubilera. »). Enfin, puisque le mal entrave aussi bien les bourreaux que les victimes, mais chacun à sa façon, le jugement représente une libération pour les uns comme pour les autres (« Ceux que le Seigneur a libérés reviendront »). Et puisqu’il est aussi un puissant facteur de division, le jugement pose les bases d’une possible réconciliation (« ils entreront à Sion en jubilant, une éternelle joie sur leur tête »). Celle-ci porte la victoire de Dieu sur le mal à son accomplissement. 

Jean et le messie (Matthieu 11,2-11)

Dans la prison, Jean [le baptiste] entendit parler des œuvres du Christ. Il l’envoya dire par ses disciples : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus répondit et leur dit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : des aveugles retrouvent la vue, et des boiteux marchent, des lépreux sont purifiés et des sourds entendent et des morts sont relevés et des pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas un obstacle ! »

Tandis que ces [envoyés de Jean] s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? Un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu de façon raffinée ? Mais ceux qui portent des habits raffinés sont dans les maisons des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est celui dont il est écrit : “Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, qui préparera ton chemin devant toi”. Amen, je vous (le) dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en n’est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ; pourtant le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. »

Lorsqu’il évoque le baptiste au début de son récit, l’évangéliste Matthieu le présente comme un prophète annonçant le jugement sévère que le « plus grand » que lui viendra prononcer et exécuter (cf. évangile du 2e dimanche). Il procédera à un tri sans concession et détruira tout ce qui est sans fruit : « Il nettoiera son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas » (3,12). On apprend ici que Jean est désormais en prison (les détails seront donnés plus loin, en 14,3-4). C’est là qu’il entend parler de ce que devient Jésus qu’il a baptisé, mais à son corps défendant (3,13-15). La question qu’il envoie poser à Jésus trahit sa perplexité. Manifestement, les informations qui lui parviennent ne confirment pas ce qu’il annonçait. Jésus ne répond pas à sa question : il préfère confronter Jean aux faits, sans pour autant se mettre en avant. Et en faisant clairement allusion à Isaïe (35,5-6 et 61,1), il lui fait comprendre que l’Écriture est en train de s’accomplir : les humains dont la vie affectée par le mal est amoindrie retrouvent leurs pleines capacités, de sorte que la mort est vaincue. C’est là une bonne nouvelle pour tous les pauvres, les mendiants de vie. Et Jésus d’inviter indirectement Jean à ne pas se scandaliser s’il ne réalise pas le jugement comme il l’imaginait.

En agissant comme il le fait, Jésus réalise ce que le baptiste annonçait : il combat bel et bien le mal. Mais au lieu de le faire au moyen d’un jugement sans ménagement et de condamnations violentes, il le fait en libérant les victimes des maux qui entravent leur personne. Plutôt que de châtier les fauteurs de mal, c’est au mal lui-même qu’il s’en prend pour le vaincre. Mais ses armes ne sont pas le feu destructeur prédit par Jean ; ce sont des actes positifs comme la guérison (par ex. 4,23-24 ; 8,1-5), l’exorcisme (8,16-17.28-34), le pardon (9,1-2.9-13), la résurrection (9,18-19.23-25). En invitant Jean à considérer le salut en marche, Jésus lui propose de se déplacer pour voir que, malgré des apparences contraires, c’est bien au recul du mal qu’il travaille. Il lui faut cependant renoncer à l’image qu’il avait du messie pour reconnaître celle que Jésus incarne.

La méprise de Jean concernant celui qui vient ne doit pas toutefois amener les gens à jeter le soupçon sur lui. D’où le discours que Jésus adresse à la foule tandis que les messagers s’en vont porter sa réponse à leur maître. Lorsque ce dernier baptisait dans le désert, pourquoi sont-ils « sortis » vers lui ? Que cherchaient-ils à voir ? Pas un personnage original mais insignifiant – ce que pourrait donner à penser son erreur à propos du messie. Pas non plus un courtisan raffiné – son ascétisme et son emprisonnement font de lui l’opposé des gens de la cour d’Hérode ! S’ils sont allés vers lui, c’est parce qu’ils voyaient en lui un vrai prophète (3,5-6). Ils ignoraient pourtant que Jean n’était pas un prophète comme les autres, mais le messager annoncé par le prophète Malachie (3,1a). Certes, il a donné une image inexacte de celui dont il préparait la venue (3,11-12). Mais en appelant à la conversion (3,2 et 8) et en administrant le baptême qui authentifiait celle-ci (3,6), il réalisait sa mission d’ouvrir la voie à l’intervention salvatrice de Dieu en Jésus. Ce faisant, il guidait le peuple sur un chemin de liberté, à l’instar du messager menant Israël vers la terre promise (Ex 23,20, grec : « Voici que j’envoie mon messager en avant de toi afin qu’il te garde sur le chemin, de sorte qu’il te fasse entrer dans le pays que j’ai préparé pour toi. »).

Point culminant de l’ère de l’ancienne alliance, le baptiste est une figure de transition apparue à un moment clé de l’histoire, celui du basculement vers l’avènement du règne de Dieu. Cet avènement crée un nouvel ordre en complète rupture avec l’ancien, de sorte que plus petit dans le nouveau monde est irrémédiablement supérieur à l’être humain le plus important dans l’ancien. Celui-ci pouvait seulement apercevoir la nouveauté et en préparer la réalisation. Le premier bénéficie de la nouveauté que Dieu inaugure en se faisant proche en Jésus.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin