Le Seigneur vient (Isaïe 62,11-12)
Voici ! Le Seigneur se fait entendre jusqu’aux extrémités de la terre : Dites à la fille de Sion : Voici, ton salut arrive ; avec lui, son salaire, et devant lui, ses gages. Eux seront appelés « Peuple-saint », « Rachetés-du-Seigneur », et toi, on t’appellera « Désirée » « Ville-non-délaissée ».
Le contexte de ce bref oracle de salut est le même que pour l’oracle de la messe de la veille de Noël (Isaïe 62,1-5) commenté par ailleurs. Le prophète annonce que la réhabilitation de Jérusalem (la « Fille de Sion ») ne saurait tarder. C’est le Seigneur lui-même qui l’affirme : jusqu’ici inactif, il met le salut en branle, ayant de quoi rétribuer les travailleurs qui restaureront la ville et lui rendront sa splendeur d’antan. Cette annonce renvoie sans doute à un oracle adressé à Jérusalem au ch. 60 ; il y est question de la reconstruction de la ville, ainsi que des ouvriers et des matériaux nécessaires :
Les vaisseaux de Tarsis viennent en tête pour ramener tes fils du lointain, portant leur argent et leur or, en hommage au nom du Seigneur ton Dieu, en hommage au Saint d’Israël, car il t’a donné sa splendeur. Des étrangers rebâtiront tes remparts, et leurs rois seront à ton service. Oui, dans ma colère je t’avais frappée, mais dans ma bienveillance je t’ai fait miséricorde. (…) La gloire du Liban viendra chez toi : cyprès, orme et mélèze ensemble, pour faire resplendir le lieu de mon sanctuaire ; et ce lieu où je pose mes pieds, je le glorifierai. (60,9-10.13).
La restauration ne concernera pas seulement la ville qui, ainsi reconstruite, redeviendra un lieu désirable, à nouveau habité (d’où les noms « Désirée » et « Non abandonnée »). Avec elle et grâce à elle, c’est aussi le peuple qui revivra. Lui aussi reçoit des noms qui le relient à son histoire passée. Les deux titres Peuple saint et Rachetés du Seigneur renvoient en effet aux origines mêmes d’Israël : l’exode d’Égypte. Cet exode, en effet, est parfois présenté comme le « rachat » d’esclaves par un parent qui prend à cœur son devoir de les affranchir, de leur rendre leur liberté et leur dignité (ainsi en Exode 6,6 et 15,13, voir Lévitique 25,47-49). Par ailleurs, si Dieu libère les Israélites, c’est dans l’espoir de faire d’eux un peuple saint au moyen de l’alliance (Exode 19,4-6). S’il le met ainsi à part en se l’attachant, c’est pour qu’Israël devienne, parmi les nations, le témoin de ce dieu de liberté et d’amour qui a, pour tous les humains, un projet de bénédiction et de vie. L’histoire a montré cependant que le peuple choisi a échoué, provoquant ainsi sa propre humiliation. Mais à présent, Dieu va lui rendre son statut, alors qu’il aurait pu l’oublier dans son malheur. C’est là le signe qu’il est un dieu de miséricorde, et c’est ce dont le peuple renouvelé sera le vivant témoin.
Des bergers (Luc 2,15-20)
Lorsque les messagers les eurent quittés pour le ciel, les bergers se disaient entre eux : « Allons jusqu’à Bethléem, voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. » Ils se hâtèrent d’y aller et trouvèrent Mariam et Joseph, avec le bébé couché dans la mangeoire. Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant. Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce qui leur était dit par les bergers. Quant à Mariam, elle retenait toutes ces choses et les méditait dans son cœur. Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été dit.
Cette scène est la suite immédiate du passage d’évangile lu à la messe de minuit. Là, le messager du Seigneur a annoncé une bonne nouvelle, source de joie : la naissance d’un « sauveur qui est Christ, Seigneur, dans la bourgade de David ». La brève description qu’il fait ensuite du bébé contraste radicalement avec cette grandiose annonce : il est simplement emmaillotté et son berceau est une mangeoire. Ce paradoxe du signe donné par le messager pousse les bergers à aller constater de visu, et ils trouvent en effet le signe tel qu’il leur a été décrit : nouveau-né couché dans la crèche, entouré de ses parents. Ce sont eux, ensuite, qui « font connaître » à qui veut l’entendre ce que le Seigneur leur « a fait connaître » de l’enfant.
Cela dit, on se demande bien à qui les bergers parlent de la révélation qu’ils ont eue, vu que seuls Mariam et Joseph sont là et qu’eux-mêmes n’ont pas quitté ce lieu… Mais l’essentiel n’est pas là : il suffit au propos de Luc de montrer que les premiers « évangélisateurs » sont des gens simples. Si la bonne nouvelle est « pour tout le peuple » (v. 10), et si la paix chantée par le chœur céleste est pour « tous les humains aimés » de Dieu (v. 14), c’est à ces gens-là que l’annonce en est confiée. Car si le salut est pour tous, il est en priorité pour ceux et celles dont la condition le réclame et qui en ont le désir. Eux sauront l’annoncer après l’avoir expérimenté. (La suite de l’évangile de Luc reviendra sur le thème de l’« annonce de la bonne nouvelle aux pauvres » : en 4,18 et 7,22, Luc renvoie à l’expression utilisée par Isaïe en 61,1 : la première fois, Jésus décrit ainsi la mission pour laquelle il a reçu l’Esprit ; la seconde fois, il envoie dire au baptiste que c’est bien ce qui se passe.)
Après avoir imité le messager en répétant ce qu’ils ont entendus de lui, les berges s’en retournent, imitant cette fois l’armée céleste qui s’est joint au messager. En chœur, elle s’est mise à « louer Dieu » en disant « Gloire à Dieu » (v. 13,14). De même les bergers s’en vont « glorifiant et louant Dieu » (v. 20). Sont-ils donc le « double terrestre » des messagers venus de la part de Dieu ?